Par Jean-Pierre Mbelu
Le temps qui passe peut être un mauvais conseiller au sujet du traitement de certaines questions concernant la guerre de basse intensité dans les Grands Lacs Africains. Etudier cette guerre de manière permanente, lire plusieurs articles et livres la concernant, peut être d’un grand secours dans certains débats soulevés par les habitants de cet espace africain.
Cette guerre a instrumentalisé certaines ethnies ou plusieurs de leurs membres. Ceux-ci en ont instrumentalisé bien d’ autres.L’instrumentalisation des ethnies, en général, et des ethnies minoritaires ou minorées en particulier, est une tactique de guerre. Elle obéit à la politique menée par les spécialistes du « diviser pour régner ». Démembrer les Etats-nations en de petits Etats à peine viables et corvéables à souhait pour mieux les manipuler et les dominer participe de la même tactique.
La machine de guerre américaine…
Cette politique obéit à un préalable : la conversion de ces minorités en « vassaux » pour les intérêts des forces dominantes du capital et les autres oligarques d’argent. Dès que cela est acquis, le maintien de ces « vassaux » en état de dépendance perpétuelle pour justifier la sécurité qui leur est offerte, l’évitement de collusion entre eux, l’acquisition de leur docilité moyennant une certaine protection sont des principes que « l’impérialisme intelligent » met en place pour pouvoir procéder à l’expansion de son « Grand Domaine », à l’imposition de son hégémonie (et de son unipolarité) au reste du monde.
La politique du « Diviser pour régner » obéit à un préalable : la conversion de ces minorités en « vassaux » pour les intérêts des forces dominantes du capital et les autres oligarques d’argent.
Cette politique « étrangère » coordonnée depuis les années 1940 par le Council of Foreign Affairs (CFR) sert « la sécurité nationale » de « la nation exceptionnelle » et plus particulièrement, ses oligarques d’argent. Elle use et abuse de la servilité et du décervelage des élites des pays dont les terres, les énergies, les capitaux, le marché sont dans la ligne de mire de cette « nation ».
Des études existent. Elles explicitent ce qui vient d’être écrit. A titre illustratif, deux livres peuvent être cités : P. DALE SCOTT, La machine de guerre américaine. La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan,…, Paris, Demi-lune, 2012 et N. CHOMSKY, La doctrine des bonnes intentions, Paris, Fayard, 2006. Les Grands Lacs Africains ont peut-être le malheur d’avoir des intellos qui leur font croire que la guerre de prédation et de basse intensité ayant eu lieu en leur sein dans les années 1990 est « une nouveauté ». Elle serait liée aux conflits ethniques entre les peuples de cet espace géographique. Ceci est et restera toujours un mensonge cousu de fil blanc et entretenu par les médias maintream.(Lire : Qu’est-ce qu’un média « maintream »?
Un ex-secrétaire général du FPR, proche de Paul Kagame, Théogène Rudasingwa, l’a clamé haut et fort avant de préférer l’exil à la mort : « Nous avons menti ». Il a fait cet aveu le 01 octobre 2011, une année après la publication du Rapport Mapping, dans un texte intitulé « La vérité, enfin ». Quelques années plus tard, un Congolais, ex-membre du RCD/GOMA, Lambert Mende, dira aussi sa part de vérité sur cette guerre de prédation et de basse intensité : « Les grandes puissances ont coalisé avec les criminels pour tuer les paisibles citoyens congolais. »
Le génocide congolais
Un fait est de plus en plus sûr : la guerre anglo-saxonne de prédation et de basse intensité menée dans les Grands Lacs Africains est tellement documenté que se livrer à des débats sur la persécution de telle ou telle autre ethnie au Congo-Kinshasa pourrait être une façon d’en torpiller la vérité.
Les assassinats, les meurtres, « le génocide congolais » en général, participent de cette politique d’occupation, d’inimitié et du refus de la fraternisation entre les proches de Paul Kagame, leurs parrains communs et les Congolais.
Plusieurs présidents africains en savent quelque chose. A ce propos, voici ce que Denis Sassou Nguesso confiait à Pierre Péan en 2008 à Oyo, tout en reprouvant l’attitude de Paul Kagame à l’endroit de Paris et en le comparant à un paralytique : « « Quand le paralytique assis au pied d’un manguier joue avec des feuilles vertes, c’est qu’il y a quelqu’un dans l’arbre qui les lui a jetées. Sinon, il ne joue qu’avec les feuilles mortes ! » Et d’ajouter : « Il suffirait à Paris de dire à ses »amis » les protecteurs de Kagame – les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël- de calmer un peu leur protégé pour que les attaques cessent ! » » (P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p. 531)
Dans les Grands Lacs Africains, le jeu auquel se livrent les Tutsis proches de Paul Kagame peut être compris à partir de ce qui s’est passé en Allemagne à la fin de la deuxième guerre mondiale. Les expansionnistes du »Grand Domaine » ont occupé ce pays en le considérant comme un pays ennemi. Ils l’ont dépecé et ont freiné sa reconstruction. Ils ont tout fait pour que les occupants et les occupés ne puissent pas fraterniser (Lire D. MITTERRAND, Le livre de ma mémoire, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2007, p. 417-419)
En effet, ce qui se passe à l’Est du Congo-Kinshasa rappelle étrangement cette histoire. Les assassinats, les meurtres, « le génocide congolais » en général, participent de cette politique d’occupation, d’inimitié et du refus de la fraternisation entre les proches de Paul Kagame, leurs parrains communs et les Congolais. Le sachant, il devient compréhensible que c’est au moment où certains proches du Docteur Mukwege, des membres de la société civile congolaise et plusieurs Congolais épris de justice et de paix se mettent debout pour réclamer l’application des recommandations du Rapport Mapping qu’un certain nombre de Tutsis s’agite.
Les Congolais devraient rester éveillés
La question de leur « congolité » s’invite au débat. Elle fait fi de presque toute l’histoire de la guerre de prédation et de basse intensité au cours de laquelle ils ont été instrumentalisés par Paul Kagame et ses parrains. L’ AFDL, le RCD/Goma, le CNDP, le M23, etc. en témoignent.
La question de leur « congolité » s’invite au débat. Elle fait fi de presque toute l’histoire de la guerre de prédation et de basse intensité au cours de laquelle ils ont été instrumentalisés par Paul Kagame et ses parrains. L’ AFDL, le RCD/Goma, le CNDP, le M23, etc. en témoignent.
Si au lieu de reposer cette fameuse question de leur « congolité », ils pouvaient d’abord lutter aux côtés des Congolais pour qu’un Tribunal Pénal International pour le Congo puisse être instauré et permettre la mise en pratique des recommandations du Rapport Mapping, ils feraient d’une pierre deux coups. Mais, sachant que cette question est un prétexte pour éviter que la justice et la paix s’installent dans les Grands Lacs Africains et pour préparer les cœurs et les esprits congolais amnésiques à accepter la balkanisation de leur pays, ils ne se risqueraient pas sur ce terrain-là.
Bon ! Qu’à cela ne tienne ! Le Liban a eu son Tribunal spécial et les assassins Rafic Hariri ont été jugés. Les Congolais, dans leur immense majorité, luttent pour que l’ONU, à la suite de ce qu’elle a pu faire pour d’autres pays, crée un Tribunal spécial pour le Congo-Kinshasa. Ceci semble plus important que le reste. Ils luttent sans être dupes. Plusieurs savent à quel jeu se livre cette ONU.
Cela étant, les Congolais devraient rester éveillés. Le projet de la balkanisation et de l’implosion de leur pays n’est pas une vue d’esprit. Les Allemands, les Yougoslaves, les Soudanais, les Libyens, etc. en savent quelque chose. Les spécialistes de la politique du « diviser pour régner » n’ont pas encore dit leur dernier mot.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961