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FelixTshisekedi, la jeunesse kongolaise et la performativité du discours

FelixTshisekedi, la jeunesse kongolaise et la performativité du discours

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Par Jean-Pierre Mbelu

« Quant aux écrivains et aux auteurs, personne ne les connaît et personne ne leur accorde de valeur ou de poids. La plupart des gens aiment la futilité et l’anesthésie. Quelqu’un qui nous anesthésie pour nous éloigner de nos pensées, et quelqu’un qui nous fait rire avec des futilités, est meilleur que quelqu’un qui nous réveille à la réalité et nous fait mal en disant la vérité. C’est pourquoi la démocratie ne convient pas aux sociétés ignorantes, car c’est la majorité ignorante qui décidera de votre destin. » – Anton Tchekhov

Au Kongo-Kinshasa, la persévérance dans le traitement et l’approfondissement de certaines questions relève souvent du miracle. Cela fait que des compatriotes sont capables, après quelques années, de présenter des lieux communs comme étant des questions d’actualité. Souvent, l’amnésie aidant, ils peuvent revendre médiatiquement les artisans et les partisans de « l’idiocratie » et de la bêtise comme étant « les pères » de « la démocratie » sans en définir les contours.

Le rejet du livre et surtout des livres qui délivrent joue un rôle nuisible dans la promotion de la futilité et dans l’anesthésie de la pensée émancipatrice. Une petite distance prise à l’endroit de cette habitude nous incite à revenir sur certains « sujets d’actualité » à plusieurs reprises. Surtout lorsque la prise de parole des « gouvernants » kongolais s’y prête.

La libération de Gloria et Fortifi et Fatshi sur LCI

Dans un article célébrant la libération de deux jeunes, Gloria Sengha et de Fortifi Lushima, j’ai pris soin de remercier Dieu, les Kongolaises et les Kongolais ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté impliqués dans la mobilisation à cet effet. J’ai aussi félicité les gouvernants. Sévère critique de la dystopie, j’ai compris qu’il ne sert à rien de faire comme si ce Kongo-Kinshasa n’avaient pas les « gouvernants » qu’il a. Qu’ils soient, à quelques exceptions près, des compradores ou pas, c’est honorer la dystopie que de les ignorer . Il me semble, donc, important d’être attentif à ce qu’ils disent et/ou font pour engager des débats et des actions salvateurs pour le vivre-ensemble.

Au Kongo-Kinshasa, la persévérance dans le traitement et l’approfondissement de certaines questions relève souvent du miracle. Cela fait que des compatriotes sont capables, après quelques années, de présenter des lieux communs comme étant des questions d’actualité.

Et voilà ! La libération de ces deux jeunes a plus ou moins coïncidé avec la (re)mise sur You Tube de l’intégralité d’une interview jadis livrée par morceau et faite par le Président Félix Tshisekedi sur LCI.

Et au cours de cette interview, répondant à l’une des questions du journaliste, il évoque la jeunesse africaine et kongolaise. Il soutient que les misères de l’Occident en Afrique sont dues à  »son défaut de compréhension de l’évolution des choses. Aujourd’hui, dit-il, l’Afrique, c’est une population à plus de 60% composée de jeunes dont l’âge oscille entre 0 et 30 ans. (…) Cette jeunesse est entreprenante. Elle est ingénieuse et fougueuse. » A son avis, l’Occident n’a pas pris cela en compte. « Aujourd’hui, soutient-il, nous vivons à l’heure du téléphone portable, de l’Internet. Tout se sait. Le monde est devenue un village. Donc, il ne faut pas penser que les Africains, eux, ont raté l’histoire. Nous sommes dans l’histoire. Nous faisons l’histoire. » Ne pas tenir compte de cela, c’est, selon Fatshi béton, reconduire les propos condescendants propres au néocolonialisme.

Les questions que soulève cette interview

L’intégralité de l’interview de Fatshi sur LCI soulève plusieurs questions. N’y a-t-il que  »l’Occident » qui ne comprend pas l’évolution du monde dans lequel nous vivons actuellement ? Les services d’intelligence kongolaise en ont-ils tenu compte en donnant l’impression d’oublier que la jeunesse kongolaise est branchée sur les autres jeunesses de l’Afrique et du monde et qu’elle veut une Kongo et une Afrique souverains ? Fatshi a-t-il des preuves que les Kongolais sont en train de rentrer dans l’histoire en tant que sujets collectifs ?

N’y a-t-il que  »l’Occident » qui ne comprend pas l’évolution du monde dans lequel nous vivons actuellement ? Les services d’intelligence kongolaise en ont-ils tenu compte en donnant l’impression d’oublier que la jeunesse kongolaise est branchée sur les autres jeunesses de l’Afrique et du monde et qu’elle veut une Kongo et une Afrique souverains ? Fatshi a-t-il des preuves que les Kongolais sont en train de rentrer dans :l’histoire en tant que sujets collectifs ?

Tout en reconnaissant que la jeunesse africaine et kongolaise est entreprenante, fougueuse et ingénieuse, Fatshi affirme qu’elle a besoin d’être encadrée et accompagnée. Dans quels domaines ?

L’impression serait de croire qu’il n’y a que le domaine économique où cette ingéniosité et cette fougue doivent être encadrées et accompagnées. Les domaines des lettres et des humanités semblent être les parents pauvres au Kongo-Kinshasa. Des jeunes essayant de manifester leur esprit critique, humaniste et dissident par amour pour la vérité vis-à-vis du narratif officiel sont vite considérés comme des brebis galeuses à mettre hors d’état de nuire.

Est-ce possible de parler de l’encadrement de ces jeunes en l’absence des écoles et des universités dotées de bibliothèques dignes de ce nom dans un pays où les énergies manquent cruellement ?

Oui. La majorité de la population africaine et kongolaise est jeune. Quels sont les modèles qui lui sont proposés ? Des modèles futiles et anesthésiants ou des savants, des entrepreneurs et des philosophes ?

Il y a quelque jours qu’un écrivain kongolais et professeurs des Universités venait de recevoir la médaille d’or de mérite des Arts, des Sciences et des Lettres. C’est bien d’y avoir pensé.Mieux vaut tard que jamais, dit-on. Est-ce assez ? Est-ce suffisant ? Est-ce que cela ne fait pas partie de l’encadrement et de l’accompagnement des jeunes de les pousser à mieux connaître les auteurs et les écrivains africains et kongolais engagés dans la lutte contre le néocolonialisme et pour la souveraineté ? En parler, c’est bien. Initier les jeunes à en comprendre les enjeux, c’est mieux. Surtout dans un monde où les guerres de la cinquième génération prennent les cerveaux humains comme des cibles.

Conclusion

Pour tout prendre, disons que Fatshi béton, tout en relevant le fait que la majorité de la population africaine et kongolaise est jeune ; qu’elle a besoin d’être accompagnée et encadrée, devrait, avec « son gouvernement » accorder beaucoup plus de marge de liberté à cette jeunesse fougueuse, entreprenante et ingénieuse dans tous les domaines de l’être, du savoir, du savoir-être, et du savoir-faire. L’inciter à la recherche et mettre à sa disposition des moyens dont elle a besoin pour déployer son ingéniosité.

Il y va de la performativité du discours. Celui-ci est performatif lorsqu’il se traduit dans les faits, dans l’engagement et le ré-engagement pour des actions concrètes. Il serait absurde de soutenir que « nous faisons l’histoire » en empêchant la majorité de jeunes impliquée dans cette histoire d’en devenir les sujets et de demeurer à jamais les objets des services de l’intelligence du pays et du narratif officiel.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

INGETA.

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