Par Jean-Pierre Mbelu
« Si vous voyez des sujets futiles dominer les discussions dans une société, et les sots occuper le devant de la scène, alors vous êtes en présence d’une société très défaillante. « Par exemple, les chansons et les paroles vides de sens trouvent des millions de gens pour danser et les répéter, et le chanteur devient célèbre, connu et aimé. Au point que les gens prennent son avis sur les questions de la société et de la vie. »»
Dieu merci ! Merci aux Kongolais(es), aux hommes et aux femmes de bonne volonté du monde entier qui se sont mobilisés pour leur libération. Merci aux gouvernants ayant compris que la place de cette jeunesse montante n’est pas dans les cachots secrets.
Gloria et Fortifi sont des signes
La prise de parole de ces deux jeunes Kongolais et leur libération sont des signes. Les signes ont toujours besoin d’être décryptés. Cela signifie que les luttes vaincues sont celles qui ne sont menées. Et qu’il est toujours possible de renverser les rapports de force entre les gouvernants et « le peuple » en faveur de ce dernier et de la complicité de ses « Chevaux de Troie » au « gouvernement ». Cette donne n’est pas encore suffisamment exploitée par les forces luttantes et souverainistes…
La prise de parole de ces deux jeunes Kongolais et leur libération sont des signes. Les signes ont toujours besoin d’être décryptés. Cela signifie que les luttes vaincues sont celles qui ne sont menées. Et qu’il est toujours possible de renverser les rapports de force entre les gouvernants et « le peuple » en faveur de ce dernier et de la complicité de ses « Chevaux de Troie » au « gouvernement ».
En effet, cette jeunesse « fougueuse » a une mission : sortir le Kongo et l’Afrique des affres de la néocolonisation afin qu’elle devienne panafricanistement souveraine. Sa fougue et « sa naïveté » sont des donnes avec lesquelles il faut toujours compter. Ils sont en train de franchir une étape. L’étape de la peur de la mort.
Fortifi Lushima le dit clairement après sa libération. Il écrit ceci sur son compte X : « En nous lançant dans ce combat contre les puissances obscures de ce monde qui agressent notre peuple, on savait déjà qu’on était mort ; donc la question de la mort ne nous a jamais tourmenté. D’ailleurs cela ne nous intéresse pas. Quand Dieu et nos ancêtres méritants, pour lesquels nous ne sommes que des simples agents, décideront de la fin de notre mission, nous rendrons l’âme et nous passerons à une autre étape. Car pour des hommes et des femmes comme nous, la mort n’est qu’une étape. »
Cette jeunesse consciente des enjeux de sa lutte et de la cause qu’elle défend est en train de rompre avec le discours victimisant. A ce sujet, Lushima écrit : « On n’a pas le temps de se plaindre et de se victimiser pour une simple persécution à laquelle on s’était toujours préparé. » Cette jeunesse a le sens du patriotisme et de l’altruisme. Tel est le leitmotiv de sa lutte.
Lushima en est conscient, lorsque, refusant la victimisation, il écrit :. « Sinon que dira cet enfant sans parent perdu dans une forêt sans aucun refuge dans l’un des territoires occupés au Kivu ? Sinon que dira cette femme violée à Kitchanga sans aucune protection ? Quand nous pensons à toutes ces vies innocentes, on ne peut pas se donner le droit de raconter nos vies. Raison pour laquelle nous invitons tout le peuple congolais à rester mobilisé contre l’agression, l’injustice sociale, la pauvreté et tous les maux piétinent notre dignité. »
L’agression -la guerre raciste de prédation menée par procuration-, l’injustice sociale, la pauvreté -qui est plus un appauvrissement-, etc., sont les maux qui rongent le Kongo-Kinshasa et que cette jeunesse arrive à nommer. En lançant le cri « Tolembi pasi », Gloria Sengha s’inscrit dans la même perspective que son frère Fortifi Lushima.
Jeunesse consciente et idiocratie (le mot est de Kalala Jean Goubald)
Laisser cette jeunesse s’exprimer sur la place publique kongolaise où « l’idiocratie » est en train de formater les imaginaires est un acte de participation consciente à l’avènement de la souveraineté du pays.
Il est contradictoire, au Kongo-Kinshasa, de célébrer Lumumba comme héros national et de vouloir bâillonner une jeunesse mettant ses pas dans les siens. Lorsque Lumumba décrie publiquement l’assujettissement, l’abâtardissement, l’oppression, la corruption, les manoeuvres de la division propres aux spécialistes de la politique du diviser pour régner, il a quel âge ? A Ibadan, en 1959, il a 34 ans.
Au besoin, forcer cette jeunesse à présenter publiquement, raisonnablement et rationnellement, les arguments justifiant son engagement est salutaire pour tout le pays. Cela d’autant plus que « les guerres de la cinquième génération, comme le dit si bien Jean Michel-Dominique, ont comme terrain les cerveaux ».
Provoquer le débat public autour de cette jeunesse montante, « fougueuse » et audacieuse, c’est s’engager à sauver le Kongo-Kinshasa des narratifs, idiocratisants, décérébrants, imbécilisants et néocolonisateurs.
Il est contradictoire, au Kongo-Kinshasa, de célébrer Lumumba comme héros national et de vouloir bâillonner une jeunesse mettant ses pas dans les siens. Lorsque Lumumba décrie publiquement l’assujettissement, l’abâtardissement, l’oppression, la corruption, les manoeuvres de la division propres aux spécialistes de la politique du diviser pour régner, il a quel âge ? A Ibadan, en 1959, il a 34 ans[1].
Conclusion : Pourquoi cette jeunesse dérange-t-elle ?
Pourquoi notre jeunesse dérange-t-elle ? D’abord parce qu’elle apporte un discours différent. Elle change le paradigme de la lutte pour la souveraineté kongolaise. Elle refuse d’être nombriliste. Elle n’a pas d’intérêts égoïstes à défendre. Elle est patriote et altruiste. Elle vient remettre en question une classe politique maniaque de son « ego », dépassée, déphasée, compradore au service de la néocolonisation et ennemie de l’indépendance économique et de la souveraineté du pays.
Savoir si cette jeunesse peut rester concentrer sur sa lutte sur le temps long est une autre paire de manches. Certains « ascètes du provisoire » au cours du régime de « Joseph Kabila » ont fini par aller à la soupe…
Cette jeunesse vient émettre des messages aux antipodes de la servilité et la négritude de service de cette classe politique. Cela la perturbe. Cela dérange le narratif officiel lui permettant de maintenir le pays de Lumumba dans un statut d’une vache laitière. Cette classe politique, à quelques exceptions près, est sérieusement dérangée par cette jeunesse « fougueuse » ayant rompu avec la peur de la mort.
Pour rappel, la classe politique décriée a peur depuis l’assassinat de Lumumba de tenir des propos réellement souverainistes. Elle est désorientée. Elle préfère manger et vendre le pays au plus offrant. Gloria et Fortifi (et bien d’autres jeunes) sont les symboles de cette jeunesse venant foutre de le bordel dans cette mangeoire des compradores. Le pluralisme d’opinions et la pensée plurielle s’en retrouvent sauvés. Et c’est bénéfique pour le pays. Et c’est un bon entraînement aux « guerres de la cinquième génération » décérébrantes.
Tout cela étant, savoir si cette jeunesse peut rester concentrer sur sa lutte sur le temps long est une autre paire de manches. Certains « ascètes du provisoire » au cours du régime de « Joseph Kabila » ont fini par aller à la soupe… Le traitement de ces questions ont besoin de prendre appui sur une mémoire historique vigilante.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] Lire « Africains, levons-nous ! » Discours de Patrice Lumumba, 22 mars 1959, , Paris, Editions Points, 2010.