Par Jean-Pierre Mbelu
« Dans les sociétés défaillantes, il y a mille sots pour chaque esprit éclairé, et mille paroles grossières pour chaque mot conscient. La majorité reste toujours ignorante, et l’homme raisonnable est constamment vaincu. Si vous voyez des sujets futiles dominer les discussions dans une société, et les sots occuper le devant de la scène, alors vous êtes en présence d’une société très défaillante. » – Anton Tchekhov
L’aliénation de certains politiciens et journalistes kongolais donne à penser. L’impression qu’ils donnent souvent est de ne pas voir qu’un autre monde, même s’il ne fait pas beaucoup de bruit, avance à grands pas. Ils s’accrochent tellement au « monde défait et autodestructeur » qu’ils réfléchissent rarement sur la place et le rôle du Kongo-Kinshasa au coeur du Sud Global.
Ils parlent des partis politiques, de l’accès de leurs membres à la mangeoire, des oppositions entre eux, des guerres pour « la démocratie » tout en négligeant les luttes communes pour une souveraineté « populiste ». Ils sont tellement « populicides » que leurs discours deviennent de plus en plus toxiques pour le devenir collectif. Il y a lieu de dire qu’ils sont vraiment hors sol.
Des questions et le paradigme du « destin commun »
D’où viendrait cette aliénation et cette régression politique ? Du refus de la revisitation de la tradition politique africaine et kongolaise ? Peut-être ! De l’impuissance apprise après plusieurs années de traite négrière, de colonisation et de néocolonisation ? C’est possible ? De la servilité acceptée par ruse pour avoir accès à l’argent et aux privilèges ? C’est possible. De l’ignorance liée au refus de comprendre le monde dans lequel ils vivent ? Cela serait un peu plus plausible si cette ignorance se fait accompagner du rejet des livres qui délivrent.
Ils parlent des partis politiques, de l’accès de leurs membres à la mangeoire, des oppositions entre eux, des guerres pour « la démocratie » tout en négligeant les luttes communes pour une souveraineté « populiste ». Ils sont tellement « populicides » que leurs discours deviennent de plus en plus toxiques pour le devenir collectif. Il y a lieu de dire qu’ils sont vraiment hors sol.
Aussi est-il important de souligner que la foi dans le triomphe du néolibéralisme vécue comme étant sa victoire définitive sur le communisme et/ou le socialisme et non comme une stratégie[1] d’imposition d’une hégémonie économique rejetant toute alternative devrait avoir joué un rôle majeur dans cette approche déphasée du monde polycentré qui est en train de naître. La questionner aboutirait, par exemple, à constater que le communisme et/ou le socialisme ont résisté et sont portés, actuellement, par quelques Etats-civilisations défenseurs du droit des peuples à leur autodétermination et de l’égalité souveraine entre les Etats.
Deux de ces Etats-civilisations (la Chine et la Russie), artisans et partisans de l’ouverture du monde à la multipolarité sont résolument engagés sur la voie du « destin commun ». La Chine change de paradigme. « Elle a fait un saut historique de la « coexistence pacifique » à un monde de « destin commun ». Qu’est-ce que cela veut dire ? « Le monde de la destinée commune est un monde qui commence ouvertement selon les règles communes et sans sanctions, qui est multipolaire, c’est-à-dire qui respecte la différence des civilisations et des systèmes politiques, où personne ne menace l’autre.[2] » La Russie emboîte le pas à la Chine. Et ceci constitue une réponse inattendue par l’Occident collectif dont l’économie et la politique souffrent d’une grave crise systémique.
Les politiciens, les journalistes kongolais et Lumumba
En écoutant et en lisant les politiciens et les journalistes kongolais susmentionnés, on dirait qu’ils sont loin de se faire à l’idée que le système qu’ils adorent et ses sous-systèmes au sein desquels ils évoluent sont frappés d’ une profonde crise.
Si Lumumba faisait réellement partie de l’héritage politique des Kongolais, le pays n’aurait pas pu avoir plus de mille partis, connaître, des guerres à répétition et des détournements réguliers des millions de sommes d’argent par des individus sans foi ni loi et n’ayant aucune notion du « souci du bien général ».
Pourtant, ils auraient pu être des dignes héritiers de Lumumba. De celui qui, assez tôt, avait compris la notion du « destin commun » en étant un panafricaniste prônant l’unification des Africains au sein des mouvements populaires ouverts à la coopération conflictuelle. Il postulait que « toutes les tendances peuvent coexister au de ces partis de regroupement national et chacun aura son mot à dire dire tant dans la discussion des problèmes qui se posent au pays, qu’à la direction des affaires publiques.[3]» En visionnaire expérimenté, il savait que « l’expérience démontre que dans nos territoires africains, l’opposition que certains éléments créent au nom de la démocratie n’est pas souvent inspirée par le souci du bien général ; la recherche de la gloriole et des intérêts personnels en est le principal, si pas l’unique mobile.[4]»
Aujourd’hui, plus de six décennies après l’assassinat de Lumumba, les luttes et les guerres pour « la démocratie » cachent très mal la soumission des oligarques ploutocrates africains et kongolais aux intérêts des globalistes apatrides, l’accès incontrôlé aux carrés miniers, la recherche de la gloriole et de beaucoup d’autres personnels. Si Lumumba faisait réellement partie de l’héritage politique des Kongolais, le pays n’aurait pas pu avoir plus de mille partis, connaître, des guerres à répétition et des détournements réguliers des millions de sommes d’argent par des individus sans foi ni loi et n’ayant aucune notion du « souci du bien général ».
La Chine, après Lumumba
Aujourd’hui, plus de six décennies après l’assassinat de Lumumba, un Etat-civilisation participe de l’unification des pays et des partis politiques dans le Sud Global et à travers le monde. La Chine est impliquée dans la recherche de la paix entre la Russie et l’Ukraine [5]. Un autre, la Russie, cherche à réconcilier la Syrie et la Turquie.
La Chine et la Russie, fortes du paradigme du « destin commun » , s’engagent sur la voie de la réconciliation et de l’unification des pays et de leurs partis politiques en vue de les aider à protéger leur souveraineté et à préserver « le souci du bien général ».
Aidant la Palestine, la Chine vient de mettre ensemble les principales fractions palestiniennes en les poussant à signer une déclaration de paix. Citant le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Mike Whitney écrit : «La Chine soutient fermement la juste cause du peuple palestinien dans la restauration de ses droits nationaux légitimes, soutient toutes les factions palestiniennes dans la réalisation de la réconciliation par le dialogue et la consultation, et soutient la Palestine dans la réalisation au plus tôt de la solidarité, de l’unité et d’un État indépendant. La Chine a déployé et continuera de déployer des efforts incessants à cette fin [6]».
Bientôt, après Pékin, le président palestinien se rendra en Russie [7]. Donc, la Chine et la Russie, fortes du paradigme du « destin commun » , s’engagent sur la voie de la réconciliation et de l’unification des pays et de leurs partis politiques en vue de les aider à protéger leur souveraineté et à préserver « le souci du bien général ». Elles se démarquent des projets « populicides ». Et elles sont efficaces.
Pendant ce temps, des politiciens et des journalistes kongolais ne semblent pas s’intéresser de près ou de loin à cette nouvelle dynamique. Ils disent à qui veut les entendre que le Kongo est « un pays solution » sans solliciter dignement l’appui des Etats-civilisations dans la recherche des solutions efficaces dont le monde polycentré naissant a besoin. Ils ne semblent pas avoir lu la lettre de Lumumba à Pauline lorsqu’il lui disait : « Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres. »
Encore des questions pour conclure
Pourquoi ces politiciens et ces journalistes sont-ils des artisans et des partisans de l’esseulement du Kongo en refusant de regarder vers le Sud Global et de prendre en compte les efforts déployés par les Etats-civilisations et leur engagement sincère dans la promotion du paradigme du « destin commun » ?
Pourquoi choisissent-ils l’indignité en se fiant au monde défait et en faisant croire aux masses populaires appauvries anthropologiquement que sans dignité les Kongolais(es) peuvent librement participer à la reconstruction de leur pays et recouvrer leur réelle indépendance sans souveraineté ? Peut-être parce que l’aliénation prend du temps à libérer les coeurs et les esprits…Peut-être…
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] Lire C. LAVAL et alii, Le choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, Québec, Lux Editeur, 2021.