Par Jean-Pierre Mbelu
Si parler de la « Justice transitionnelle » au Congo-Kinshasa peut être symboliquement signifiant, en réalité, elle ne peut pas avoir lieu. Pourquoi ? Pour les mêmes raisons qui ont fait que Carla Del Ponte soit défenestrée du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. A un certain moment, elle a cru qu’elle pouvait instruire le dossier des tutsi ayant reconnu eux-mêmes qu’ils étaient impliqués dans les crimes commis dans leur pays, le Rwanda. Pour les mêmes raisons qui ont fait que les mandats livrés par le juge espagnol Andreu Merelles contre 40 rwandais n’aient pas connu un début d’exécution. Pour les mêmes raisons que le rapport Gersony de 1994 n’ait pas connu un début de sa prise en compte. Il en va de même des rapports des experts de l’ONU de 2002 (Kassem) et de 2010 (Mapping).
Là où le juge espagnol ayant suffisamment les mains libres n’a pas pu arriver aux résultats escomptés, je ne crois pas que la justice congolaise pourrait déployer des miracles. Pourquoi ? Le Congo-Kinshasa est aujourd’hui « coaché » par les acteurs pléniers ayant orchestré la guerre de prédation et de basse intensité ayant provoqué « le génocide congolais ».
Le Congo et les guerres secrètes des USA en Afrique
Un exemple. La signature des accords entre le Congo-Kinshasa et Africom atteste que les acteurs pléniers ayant orchestré la guerre perpétuelle au pays de Lumumba ne seront jamais poursuivis sous le régime actuel. Pourquoi ? Parce que Africom participe de guerres secrètes des USA en Afrique. Et la guerre ayant fait des millions de morts au Congo-Kinshasa fait partie de ces guerres secrètes.
Les guerres secrètes auxquelles participent Africom mettent l’Afrique et le Congo-Kinshasa en danger. Donc, signer des accords avec Africom et donner l’impression de pouvoir organiser une « justice transitionnelle » au Congo-Kinshasa est un mensonge.
Le titre de l’un des livres de Pierre Péan est très éloquent à ce sujet. Il est intitulé : « Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique » (Paris, Fayard, 2010). Ces guerres secrètes auxquelles participent Africom mettent l’Afrique (et le Congo-Kinshasa) en danger comme l’atteste cet article. Donc, signer des accords avec Africom et donner l’impression de pouvoir organiser une « justice transitionnelle » au Congo-Kinshasa est un mensonge. A quoi sert ce mensonge ?
D’abord à mettre les marionnettes et « les Chevaux de Troie » US les uns contre les autres afin de prouver aux masses populaires appauvries spirituellement et intellectuellement que « la politique » se fait au Congo-Kinshasa. Ensuite, cela sert à faire peur aux « pions » du jeu anglo-saxon. Les « nouveaux pions » disent aux anciens : « Ou vous obéissez à nos maîtres communs, ou nous vous mettons hors d’état d’agir et d’avoir de l’argent. » Il n’y a que ça. C’est un jeu entre « Mammonites ».
Enfin, ce jeu fidélise les masses populaires composées de fanatiques, de thuriféraires et d’applaudisseurs. Elles peuvent croire, pendant longtemps, que « les Chevaux de Troie » du Capital dominant et/ou sur le déclin sont en train de remettre le Congo-Kinshasa sur les rails. Du bluff !
Les crimes au Congo ne sont plus secrets
Cela d’autant plus qu’il leur sera difficile, si pas impossible d’aller lire les plus de 500 pages de Pierre Péan, les plus de 600 pages de Carl Del Ponte (« La traque, les criminels de guerre et moi« ) ou les plus de 300 pages de sa porte-parole, Florence Hartmann (« Paix et Châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales« ).
Pourtant, les crimes de guerre, les crimes économiques et les crimes contre l’humanité commis au Congo-Kinshasa ne sont plus secrets. Souvent, en écrivant, je préfère avoir comme références les Occidentaux ayant travaillé sur cette question pour éviter d’être qualifié de tous les noms d’oiseaux en citant mes compatriotes ayant fait un travail de qualité là-dessus. Suivre, par exemple, un documentaire de la BBC intitulé « Rwanda’s untold story » ou son commentaire par l’un des avocats du Tribunal Pénal International pour le Rwanda – Peter Erlinder – aide à comprendre mieux la nature de la guerre de basse intensité et de prédation orchestrée dans les Grands Lacs Africains et à en identifier les acteurs majeurs.
Il y a plus. Plusieurs américains ont écrit sur cette guerre en citant les noms de ces acteurs majeurs et de leurs proxies. Cet article est plus que clair sur la question : Paul Kagamé : « Our Kind of Guy », par Edward S. Herman, David Peterson. Le livre de Noam Chomsky et Andre Vltchek intitulé « L’Occident terroriste. D’Hiroshima à la guerre des drones » (2015) étudie l’implication des anglo-saxons dans le « super génocide congolais » en en indiquant les proxies.
Ceux et celles d’entre nous qui ont lu « Noir Canada » avant son interdiction publique savent qui est impliqué dans les conseils d’administration des entreprises multi et transnationales ayant orchestré le « super génocide » au pays de Lumumba. Or, en lisant le texte du « Conseil des ministres » traitant de la « justice transitionnelle », il s’avère que ce dont il est question, ce n’est pas de la guerre et du « génocide », mais de la violation des droits humains dans des sociétés en conflit. Grand Dieu ! Pas possible !
Ne pas appeler un chat un chat pourrait constituer une entorse à la suite du processus
En effet, le compte-rendu du « Conseil des ministres » du 07 août 2020 a examiné « l’opportunité de la justice transitionnelle en faveur des victimes des crimes graves commis en RDC ». (Ce compte-rendu peut être lu sur le site de la « Primature RDC »)
Ce dont il s’agit au Congo-Kinshasa, c’est une guerre de basse intensité et de prédation menée par des anglo-saxons, par des proxies rwandais, ougandais, burundais, congolais, etc. interposés. Ne pas appeler un chat un chat pourrait constituer une entorse à la suite du processus. Il me semble qu’il y a une différence entre une guerre menée en bonne et due forme et des « conflits » ayant eu lieu dans des sociétés quelconques.
Le Conseil part d’un constat : « Pour remédier au lourd héritage des abus des droits humains dans les sociétés qui sortent de conflits armés, le mécanisme de justice transitionnelle s’offre comme un des outils à même de contribuer à lutter contre l’impunité des crimes graves, à faciliter la reconnaissance et l’indemnisation des victimes. » Et il continue : « L’importance de ce mécanisme est telle qu’en mars 2010, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies avait publié une « Note d’orientation sur l’approche des Nations Unies en matière de justice transitionnelle ». Son principe 9 appelle l’Organisation à « faire en sorte que les processus et mécanismes de la justice transitionnelle prennent en compte les causes profondes des conflits et les régimes de répression, et qu’ils abordent les violations de tous les droits, y compris des droits économiques, sociaux et culturels ».
La Note d’orientation précisait en outre que cette approche était nécessaire si l’on voulait que la paix l’emporte. » Il est donc convaincu « que la justice transitionnelle facilite les chances de la société de revenir à un fonctionnement pacifié dans les zones à conflit et, à terme, de favoriser la réconciliation, en réparant les injustices du passé par des mesures visant à rendre possible un avenir équitable. » Il fait un deuxième constat pouvant donner à penser. Il note ce qui suit : « A ce jour, le Président de la République constate que le dossier relatif à cette mesure de justice transitionnelle qui a été soumis pour analyse aux deux Commissions interministérielles permanentes du Gouvernement (celle en charge des lois et règlements, et celle de politique, sécurité et défense), n’a guère évolué. C’est ainsi qu’il demande aux Présidents desdites Commissions de soumettre dans le meilleur délai au Conseil des Ministres ledit dossier pour examen et adoption éventuelle. »
Bien qu’étant un défenseur acharné de l' »Ethique reconstructive » et de la mise sur pied d’une Commission Justice, Vérité et Réconciliation dans le cadre d’une « Justice transitionnelle », j’éprouve une certaine difficulté à comprendre pourquoi ce texte, dans son exposé de motifs, fait allusion à « des abus des droits humains dans les sociétés qui sortent de conflits armés ». Ce point de départ m’intrigue un peu. Il pourrait fausser le reste de la démarche. Car, ce dont il s’agit au Congo-Kinshasa, c’est une guerre de basse intensité et de prédation menée par des anglo-saxons, par des proxies rwandais, ougandais, burundais, congolais, etc. interposés. Ne pas appeler un chat un chat pourrait constituer une entorse à la suite du processus. Il me semble qu’il y a une différence entre une guerre menée en bonne et due forme et des « conflits » ayant eu lieu dans des sociétés quelconques.
Aussi, les crimes économiques, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis au cours de cette guerre constituent-ils, aux yeux de certains observateurs extérieurs et de plusieurs compatriotes, « un génocide congolais ». Le 02 août 2020, ces compatriotes ont organisé des manifestations et des conférences, allumé une bougie symbolique pour éviter d’oublier de « génocide ». A mon avis, si les choses ne sont pas clairement définies dès le départ, la recherche de cette « justice transitionnelle » risque de demeurer un vœu pieux. Il est possible qu’en cherchant à établir »les causes profondes » de ces crimes, les Commissions susmentionnées arrivent à apaiser mon inquiétude.
La symbolique de la « justice transitionnelle » et la quête d’une justice juste
Comme il s’est agi d’une guerre de prédation et de basse intensité par des proxies interposés, elle pose la question de la transnationalité des acteurs impliqués. Il y a des acteurs (apparents) africains, des acteurs pléniers africains et étrangers. Il n’est pas tout simplement question des « conflits » ayant eu lieu dans une société congolaise. Non. Il s’agit d’une « guerre mondiale ». Qui pourra être convoqué à la barre ? Les chevaux de Troie, les marionnettes, les tireurs des ficelles ou uniquement les seconds couteaux ? Est-ce possible que ceux que « nos gouvernants » considèrent comme « décideurs » soient aussi convoqués en fonction des preuves indiquant qu’ils ont joué dans les coulisses un rôle prépondérant ? J’en doute très fort.
A tout prendre, il me semble que plusieurs, parmi « les maîtres du monde » et leurs proxies, ont compté sur l’amnésie légendaire des congolais au sujet des crimes ayant marqué leur histoire. Ils sont heureusement étonnés qu’il n’en soit pas de même pour le récent « génocide ».
Au Rwanda, Kabarebe commence à s’agiter. Il sait qu’en marge des autres documents, le Rapport Mapping ne peut pas être remis en cause. Il sait qu’il était parmi les 40 rwandais visés par le juge espagnol Merelles dans sa plainte pour les meurtres de ses compatriotes au cours de cette guerre de basse intensité.
A tout prendre, il me semble que plusieurs, parmi « les maîtres du monde » et leurs proxies, ont compté sur l’amnésie légendaire des congolais au sujet des crimes ayant marqué leur histoire. Ils sont heureusement étonnés qu’il n’en soit pas de même pour le récent « génocide ». Alors, ils s’organisent pour « une justice transitionnelle » de merde au Congo-Kinshasa et des attaques en règle à l’endroit des dignes filles et fils du pays réclamant, contre vents et marées, sur le temps long, une justice juste et un Tribunal Pénal International pour le Congo-Kinshasa.
Une chose est sûre. La symbolique de la « justice transitionnelle » n’arrêtera pas la lutte des minorités organisées et éveillées pour une justice juste au pays de Lumumba et la mise sur pied d’un mémorial pour leurs martyrs. Pourquoi ? Elles ne croient pas à une réelle « justice transitionnelle » financée par l’argent des « huissiers du capital », la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, dont dépendent « les gouvernants congolais actuels ». Tout le bruit fait autour de ça, c’est du bluff!
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961