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Trauma collectif et judiciarisation de la vie au Kongo-Kinshasa

Trauma collectif et judiciarisation de la vie au Kongo-Kinshasa

Trauma collectif et judiciarisation de la vie au Kongo-Kinshasa 1024 683 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« L’économie comportementale d' »incitation douce » à décider et à agir s’inscrit dans un programme anthropologique et politique d’un individu souverain, coupé de ses racines sociales, que l’on guide sans devoir ouvrir pour autant un espace démocratique de dialogue et de confrontation. » – R. GORI

Mise en route

Depuis tout un temps, en essayant de scruter nos comportements de plus près, je crois de plus en plus que notre pays a besoin d’une thérapie collective. Croire que la judiciarisation du vivre-ensemble est la meilleure solution me semble être une erreur. La justice juste devrait faire partie des marqueurs du « nous collectif » sans que le pays sombre dans la judiciarisation. La guerre d’usure qu’il connaît a produit de « petits » et de « grands malades ». La judiciarisation de la vie publique risque de ne pas être le problème des intouchables créés par cette guerre perpétuelle de prédation et de basse intensité.

La judiciarisation peut mettre le feu aux poudres

Une guerre d’usure abîme les coeurs et les esprits. Le temps qu’elle prend décivilise ses victimes directes et indirectes. S’en sortir après les traumatismes causés par la traite négrière, la colonisation et/ou néocolonisation ne peut pas se satisfaire de l’unique solution judiciaire. Cela d’autant plus que des juges font partie du paradigme d’indignité et de néantisation de l’humain kongolais.

Une guerre d’usure abîme les coeurs et les esprits. Le temps qu’elle prend décivilise ses victimes directes et indirectes. S’en sortir après les traumatismes causés par la traite négrière, la colonisation et/ou néocolonisation ne peut pas se satisfaire de l’unique solution judiciaire… Le pays a urgemment besoin d’une thérapie collective.

En effet, la justice peut élever une nation là où un maximum des marqueurs de l’humain que sont la liberté, la sécurité, la force de l’âme, l’amour fraternel, la compassion, la fraternité, la bienveillance, etc. sont devenus, dans plusieurs coeurs et plusieurs esprits, les éléments essentiels de la culture partagée, du « common decency ». Sans cette base de valeurs structurantes partagées, la judiciarisation du vivre-ensemble peut mettre le feu aux poudres. Cela, dans la mesure où dans un pays où la guerre d’usure a produit un trauma collectif, -c’est-à-dire ayant fabriqué majoritairement des psychopathes et des sociopathes, des gens pris dans les filets de la haine de soi, du complexe d’infériorité, de la violence, de la méchanceté, du mammonisme et du vampirisme-, il y ait une discrimination judiciaire entre les petits et les grands malades. Que les « petits malades » soient jugés sévèrement et jetés en prison pendant que les « grands malades » sont vite innocentés après des procès bidons et/ou sans procès du tout.

Donc, à mon humble avis, la judiciarisation du vivre-ensemble ne peut suffire comme solution au trauma collectif. Le pays a urgemment besoin d’une thérapie collective. Les gouvernants d’aujourd’hui et de demain devraient faire de la santé mentale des Kongolais une question urgente.

Dernièrement, une scène ayant eu lieu au stade des Martyrs m’a convaincu que le pays est très malade. Un match de foot se termine. Le Kongo-Kinshasa a gagné. Ses Léopards vont aller à la Can.

En principe, dans un pareil contexte, la joie éclate après le match et tout le monde se congratule. Non. Cela n’a pas été le cas. Plusieurs de nos jeunes se sont affrontés au stade et se sont mis à casser ce qui venait d’être construit pour que ce stade accueille les fameux jeux de « la Francophonie ». Qu’est-ce qui peut justifier ce désir de casser ce qui venait d’être construit en s’affrontant violemment ? A mon avis, c’est la haine de soi, le goût de la bêtise et du nihilisme. (Peut-être aussi le fait que ce qui a été construit n’a pas requis la participation de ceux qui, après les jeux dits de  »la Francophonie », allaient en bénéficier. Dans le même ordre d’idées, un bâtiment construit dans le cadre du programme de 145 territoires dans l’un des territoires du Kasaï Oriental fut détruit par les filles et les fils du terroir.)

Sortir du cercle vicieux

Détruire ce qui est construit. S’autodétruire. Se tuer et appeler les mercenaires orchestrant la mort des siens des « raïs » ou des « présos », applaudir les vampires mammonistes avant de les dénoncer lorsqu’on est derrière les barreaux, tel est le lot quotidien de « petits malades » kongolais pendant que plusieurs de  »grands malades » font partie des intouchables. Tel est le contexte où les parrains de ces  »grands malades » viennent proposer une  »justice internationale » à leurs ordres.

Se mettre debout ensemble pour des luttes patriotes et souverainistes pourrait faire partie de la thérapie. Cette mise debout mobilise les récits des « survivants », libère la parole résistante et sort les peuples du bourbier du complexe d’infériorité et de la haine de soi. Savoir qu’il est possible de mener ensemble des luttes libératrices sans recevoir des balles des filles et des fils du pays est un acte thérapeutique important.

Comment sortir de ce cercle vicieux pour en créer un de vertueux ? Il n’y a peut-être pas de roue à inventer. Les pays africains engagés dans des démarches de refondation indiquent quelques voies. Leurs peuples debout ont compris que l’alliance civico-militaire est un élément important de leur émancipation des forces néolibérales et néocoloniales. Cette alliance protège les peuples conscients de leurs luttes souverainistes.

Donc, se mettre debout ensemble pour des luttes patriotes et souverainistes pourrait faire partie de la thérapie. Cette mise debout mobilise les récits des « survivants », libère la parole résistante et sort les peuples du bourbier du complexe d’infériorité et de la haine de soi. Savoir qu’il est possible de mener ensemble des luttes libératrices sans recevoir des balles des filles et des fils du pays est un acte thérapeutique important. En sus, se mettre debout ensemble pour des causes bien définies libère le potentiel du courage, de la reliance et de la résistance contre la politique du « diviser pour régner ».

Donc, refaire le lien sans subir la violence des siens, se re-lier pour des causes communes, choisir collectivement, courageusement, en conscience et en connaissance de cause les causes pour lesquelles il serait possible de vivre ou de mourir peut guérir de la thanatophobie et de la thanatophilie, du nihilisme hédoniste. C’est aussi une bonne voie de la thérapie collective avant l’érection des hôpitaux psychiatriques dignes de ce nom.

Faire cela sur fond des valeurs culturelles éprouvées telles que la solidarité et la coopération dans le respect de la sacralité de la vie est un engagement indispensable aux démarches refondatrices des pays soucieux de guérir de leurs traumas collectifs comme le Kongo-Kinshasa ; tout comme les alliances géopolitiques et géostratégiques sécurisant sur le temps long.

Conclusion : la tâche des minorités

Les minorités éveillées et agissantes, toutes tendances confondues, devraient avoir le devoir de baliser les voies de cette démarche souverainiste refondatrice et du début de cette thérapie collective. Il y a urgence. Elles devront surtout éviter de s’engager dans des initiatives excluant la participation des masses populaires. L’expérience prouve qu’elles ne sont pas disposées à vivre et/ou à mourir pour ce qui est bâti sans eux. « Le nous » collectif de « nous bâtirons un pays plus beau qu’avant » devrait, à tout jamais, devenir l’un des principes refondateurs du pays.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

INGETA.

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