Par Jean-Pierre Mbelu
Le 30 juin 2020, le Congo-Kinshasa fêtera les 60 ans de son indépendance formelle. Relire cette histoire pour en tirer des leçons et les partager avec les jeunes générations, cela est indispensable.
Quelques jours après l’accession de notre pays à son indépendance formelle, le Katanga sombrait dans la sécession. Lumumba et Kasavubu ont voulu tout faire pour y mettre fin avant que celle du Kasaï ne suive. Les tergiversations du Conseil de sécurité de l’ONU ont contribué, plus tard, à sa consolidation.
Lumumba, lui, se veut un insoumis
Tenant compte du serment fait par le chef de l’Etat à la chambre de pouvoir sauvegarder l’intégrité territoriale et du fait que tous les deux avaient des comptes à rendre à la Nation, Lumumba, en bon chef de gouvernement, a voulu qu’ils se rendent tous les deux au Katanga pour s’enquérir de la situation. Fort de son engagement politique, il n’a pas peur de la mort. Il l’avoue : « S’il faut mourir, nous mourrons. Nous devions nous rendre au Katanga en tant que comptables de la Nation… » (Lumumba cité par J. CHOME, L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko, Bruxelles, Complexe, 1974, p. 41)
Fort de son engagement politique, Lumumba n’a pas peur de la mort. Il l’avoue : « S’il faut mourir, nous mourrons. Nous devions nous rendre au Katanga en tant que comptables de la Nation… »
Ne pas avoir peur de la mort conduit, souvent, à prendre des risques lorsqu’il s’agit de servir une cause noble. Cela peut susciter la peur et l’énervement chez ceux qui, pour soumettre leurs congénères et les rendre esclaves, suscite chez eux la peur de la mort. Lumumba, lui, se veut un insoumis. En effet, Lumumba et Kasavubu vont prendre le risque de voyager debout dans un avion des parachutistes, sans sièges. « A l’escale de Kamina déjà, les militaires belges et beaucoup d’Européens civils qui se trouvaient sur la plaine avaient traité le Président de la République et le Premier ministre de « macaques »» (Ibidem, p. 41-42) Quel mépris !
Soutenant l’indépendance du Katanga, ces militaires n’ont pas accepté que l’avion atterrisse à Elisabethville (Lubumbashi) que sur l’insistance du commandant de bord. Et cet avion devra repartir rapidement vers Léopoldville (Kinshasa). Pourquoi ? « Parce que, rapporte Lumumba, le Katanga était indépendant, le chef de l’Etat et le Premier ministre ne peuvent pas y mettre pied, disaient-ils. » (Lumumba cité par Ibidem, p. 42)
Cet épisode est riche d’enseignements. La bonne volonté, le courage et le désir d’être comptables devant la Nation manifestés par Lumumba et Kasavubu ne suffisent pas. Le fait de dépendre des moyens matériels d’autrui les fragilisent. Ils se retrouvent dans un contexte où le mépris et le racisme accompagnent le militarisme dans une province où la sécession participe du contrôle d’une entreprise multinationale sur les terres congolaises.
L’alliance civico-militaire avec les forces populaires
Ce contexte n’est pas à prendre à la légère. Il montre à suffisance la solidité de l’alliance entre le racisme, le matérialisme et le militarisme. Il va aussi révéler jusqu’où peuvent aller un chef de l’Etat et un gouvernement liés au respect de principes, au sens du devoir et de la redevabilité.
La bonne volonté, le courage et le désir d’être comptables devant la Nation manifestés par Lumumba et Kasavubu ne suffisent pas. Le fait de dépendre des moyens matériels d’autrui les fragilisent.
Finalement, face aux tergiversations de l’ONU au sujet de l’envoi des troupes pour mater la sécession au Katanga et au Kasaï, le gouvernement Lumumba demandera au général en chef Lundula de s’en occuper. Et son chef donnera cet ordre en prenant une résolution portée par une conviction. Celle-ci : « Aux Américains, aux Russes et à tout le monde, je dis que l’Afrique demeurera l’Afrique et qu’il n’y a qu’une voie pour sa prospérité, c’est la consolidation de son unité. » (Lumumba cité par Ibidem, p. 54)
En effet, « lorsque le gouvernement Lumumba donnera l’ordre d’attaquer au général en chef Lundula, il sera mis fin, en quarante-huit heures, à la sécession du Sud-Kasaï et les forces gouvernementales pénétreront dans le Nord du Katanga où, faisant leur jonction avec les forces populaires animée par la Balubakat, elles vont pouvoir déferler sur les territoires exigus du Sud de la province, fief de l’Union Minière et de Moïse Tshombe et balayer, pratiquement sans coup férir, le régime des vendus installé depuis quelques semaines sous la protection d’une armée étrangère. » (Ibidem, p.55)
Qu’est-ce qui a rendu cette victoire possible ? Le choix opéré par le gouvernement Lumumba au niveau de la force publique. Les meilleures troupes et les plus fidèles du Kivu et du Kasaï ont été impliquées dans la préparation de l’opération. Leur jonction avec les forces populaires est aussi à prendre en ligne de compte. Les meilleures troupes et les plus fidèles ont réalisé une alliance civico-militaire avec les forces populaires. D’où leur victoire.
L’insoumission, le courage et la persévérance
Ce long épisode, disais-je, est riche d’enseignements. L’insoumission, le courage d’aller consciencieusement au devant de la mort pour une cause noble, la détermination des gouvernants, le respect de principes, le sens de la redevabilité, le choix des meilleurs (ou de la méritocratie), l’alliance civico-militaire pour défendre l’intégrité territoriale, etc. sont autant de leçons qui peuvent en être tirées. L’insoumission, le courage et la persévérance peuvent être payants dans la défense d’une cause noble.
L’insoumission, le courage d’aller consciencieusement au devant de la mort pour une cause noble, la détermination des gouvernants, le respect de principes, le sens de la redevabilité, le choix des meilleurs (ou de la méritocratie), l’alliance civico-militaire pour défendre l’intégrité territoriale, etc. sont autant de leçons qui peuvent en être tirées.
Tout comme ils peuvent être interprétés comme un affront aux hégémonistes et coûter cher en vies humaines. Surtout là où les rapports de force sont inégaux ; là où ces hégémonistes sont des forces dominantes. Néanmoins, ces vertus portées par un panafricanisme des peuples, l’investissement dans « le capital humain » en vue de « la création des meilleurs », une armée africaine professionnelle et des alliances stratégiques raisonnables peuvent participer de la renaissance congolaise et africaine.
En parlant des Pères et des Mères de l’indépendance du pays, il serait souhaitable que ces leçons puissent être enseignées aux jeunes générations. Elles les aideront à comprendre justement pourquoi ils ont ce « statut ». Ils ont lutté, malgré leurs limites, pour arracher et conserver cette indépendance.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba