Par Jean-Pierre Mbelu
Penser à la réappropriation de notre destin national présuppose que nous en étions « les maîtres ». Et qu’il est arrivé qu’il nous échappe ou qu’il soit confisqué. Pourquoi et comment nous échapperait-il ? Qui pourrait l’avoir confisqué ? Depuis quand ? Qui sommes-nous pour que nous puissions nous réapproprier un destin national qui nous échappe et/ou qui est confisqué ? Se réapproprier notre destin national présuppose qu’il fut nôtre. Quand ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
D’emblée, toutes ces questions renvoient à la fois à notre histoire et à notre anthropologie. Mais aussi à une remise en question de cette histoire et de cette anthropologie. A leur lecture critique en vue d’en exploiter les possibilités hypothétiques d’une émancipation des forces de la mort incapacitant une réappropriation responsable de notre destinée.
Pour une révolution culturelle
Qui sommes-nous ? Nous sommes des « bantu », nous recevant des autres et de l’Autre. Qui dit « Muntu » dit prioritairement le « NTU », le « Mutu », le « MOTO », « la tête » comme siège de la sagesse et de l’intelligence. Etre un « Muntu », être des « Bantu », suppose un accueil responsable du »BOMOTO » en nous pour le transmettre aux générations futures. Un « Muntu » s’accueillant des autres et de l’Autre est un être humain pour soi, avec et pour autrui. Il sait (ou apprend à) faire la différence entre « les Bintu » (biloko) et « les Bantu » (batu). Que pour lui, l’être l’emporte sur l’avoir. Et qu’un « Muntu » qui fait et vit le contraire est un « Tshintuntu ». (Malheureusement, le nombre de « Bintuntu » semble aller croissant!)
Le changement de paradigme induit une « révolution culturelle » pouvant nous conduire à déclarer « révolu » tout ce qui attente à notre dignité, à notre fierté et à la protection de notre terre-mère. Celle-ci devrait passer par l’éducation en famille, à l’école, à l’université, à l’église et dans les collectifs citoyens ; ces différents lieux de socialisation et de politisation du « Muntu ».
Accueillir au quotidien de manière responsable le « BOMOTO », « le maat » (la justice et la vérité), en vue de le transmettre est une des conditions préalables de la réappropriation de notre destinée. Cela suppose une bonne maîtrise des mécanismes (et des structures) de production de soi, de sa vie et de survie. Toujours avec et pour autrui. Ces mécanismes sont à la fois matériels, spirituels, politiques, économiques, culturels et religieux.
D’où venons-nous ? D’une Afrique ayant bâti de grands empires et royaumes et ayant connu une malencontre avec l’autre (venu d’ailleurs) et lui ayant imposer des paradigmes de néantisation et d’indignité. Des paradigmes dont les effets nocifs sur les filles et les fils de l’Afrique ont participé du viol de leur imaginaire. Le changement de paradigme s’impose comme une deuxième condition préalable de la réappropriation de notre destinée nationale.
Il induit une « révolution culturelle » pouvant nous conduire à déclarer « révolu » tout ce qui attente à notre dignité, à notre fierté et à la protection de notre terre-mère. Celle-ci devrait passer par l’éducation en famille, à l’école, à l’université, à l’église et dans les collectifs citoyens ; ces différents lieux de socialisation et de politisation du « Muntu ». Cette « révolution culturelle » devrait conduire à la rupture de la fracture sociale entre le monde paysan et les habitants de nos villes (et bidonvilles) ; et à l’entretien de la mémoire collective. Elle devrait contribuer à nous sortir massivement de l’apathie, du consumérisme et de l’obscurantisme.
Organiser une défense réellement républicaine
Ce qui nuit à notre dignité, c’est la reconduction des paradigmes négatifs et la guerre perpétuelle menée contre notre pays et contre l’Afrique. « Beaucoup d’entre nous ne s’imaginent pas être en guerre, du tout. C’est la raison par laquelle il y a un grand décalage entre l’agression que nous subissons et notre riposte. Ce qu’il faut que les africains comprennent, c’est que des peuples entiers ont disparu. Et ce n’est pas fini. »
Un pays en guerre perpétuelle devrait organiser une défense réellement républicaine. Initier les filles et les fils du Congo-Kinshasa aux pratiques de l’auto-défense est une nécessité. Ceux-ci doivent savoir que « des peuples entiers ont disparu. Et ce n’est pas fini. Nos agresseurs inventent des armes de plus en plus redoutables. » Ces pratiques de l’auto-défense ne devraient pas être que « musculaires »…
Au Congo-Kinshasa, avec la complicité des nôtres, nos populations sont en train d’être chassées de leurs terres et exterminées. L’un des nôtres, complice de ce « génocide » de plus de deux décennies a fini par péter les plombs et réentendre la voix prophétique du Père Vincent Machozi. Sa confession précédée de sa demande de pardon interpelle.
Ce témoignage interpelle sur le nombre de filles et fils du Congo-Kinshasa ayant accepté de vendre leur âme à « Mammon » afin de participer, avec les autres « mammonites », à l’extermination de leurs frères et sœurs et à la spoliation de notre terre-mère. Dans ce contexte, « une bonne révolution culturelle » devrait être accompagnée d’une thérapie collective désenvoûtante. Mais aussi d’une « Ethique reconstructive ». Elle devrait être à la fois une éthique de responsabilité et une éthique de réconciliation.
Un pays en guerre perpétuelle devrait organiser une défense réellement républicaine. Initier les filles et les fils du Congo-Kinshasa aux pratiques de l’auto-défense est une nécessité. Ceux-ci doivent savoir que « des peuples entiers ont disparu. Et ce n’est pas fini. Nos agresseurs inventent des armes de plus en plus redoutables. » Ces pratiques de l’auto-défense ne devraient pas être que « musculaires ». Non, elles doivent être aussi des « arts » aidant à remettre les cerveaux à l’endroit (à suivre).
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961