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Russel Feingold, l’ONU en RDC et l’urgence d’une révolution culturelle africaine

Russel Feingold, l’ONU en RDC et l’urgence d’une révolution culturelle africaine

Russel Feingold, l’ONU en RDC et l’urgence d’une révolution culturelle africaine 1024 669 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

Gagner des parts de marché, permettre à l’initiative Public-Privé conclue en novembre 2011 en RDC d’aboutir ; voilà ce qui est important pour Russ Feingold. Et c’est de bonne guerre. Mais vouloir le détourner des intérêts qu’il défend pour exiger que son pays fasse pression sur les pays-proxys dont il se sert pour néocoloniser l’Afrique de Grands Lacs nous semble être une lecture dépassée des enjeux mondiaux. Dans une interview[1] donnée récemment sur la NSA, Edward Snowden avertit les Africains et les Moyen-Orientaux en des termes très clairs. Il dit : « Les Etats développés ( ?) ne lâcheront pas leurs positions en Afrique ou au Moyen-Orient. Question de ressources. Dans ce chaos industriel qui crée des désoeuvrés, des fanatiques ou des révoltés, ils ne peuvent que multiplier ces mesures de rétorsion et de surveillance pour sauver leurs intérêts, leur modèle de développement. » Pourquoi sommes-nous plusieurs à ne pas écouter ce genre de témoins de l’intérieur ? A cause de notre naïveté ou de notre ignorance ? Ou à cause de l’une et de l’autre à la fois ? C’est un peu dramatique !

 

Dans sa dernière sortie médiatique, Russ Feingold exige de l’ONU qu’elle traite les FDLR comme elle a traité le M23. Mais qu’est-ce l’ONU a fait contre le M23 ? Elle a organisé  son retour vers ses pays d’origine ; c’est-à-dire le Rwanda et l’Ouganda. Si c’est cela que Russ Feingold souhaite, c’est tant mieux. Que les FDLR retournent au Rwanda à l’issue d’un dialogue entre elles et Kigali. Or, le même Feingold a déjà soutenu que le Rwanda étant un pays souverain, il ne peut pas négocier avec une rébellion. Que veut réellement Russ Feingold ?
A voir les choses de plus près, Russ Feingold  et la nébuleuse communauté internationale prétendent que l’ONU a aidé les FARDC à anéantir le M23. Et pourtant, la même ONU s’inquiète déjà du réarmement et du recrutement du M23 à partir du Rwanda. En d’autres termes, le M23 n’a pas été anéanti.  Plusieurs de ses membres déjà parties prenantes de ‘’la majorité présidentielle’’ en RDC ont déjà infiltré certaines des institutions de ce pays et vont bénéficier de ‘’l’amnistie’’ orchestrée par leurs alliés au pouvoir fantoche de Kinshasa. Que demande réellement Russ Feingold ?
Les FDRL, à plusieurs reprises ‘’recyclées’’ au Rwanda pourront-elles bénéficier d’une amnistie comme en RDC ? Il ne semble pas. Russ Feingold tient à véhiculer une version déphasée de la guerre que l’élite anglo-saxonne dominante mène contre la RDC à travers les pays-proxys interposés. Il participe de la falsification de l’histoire des pays des Grands Lacs africains. A la suite d’Hillary Clinton, Russ Feingold tient à travailler avec les africains du centre ayant oublié leur histoire. Pour cause. En marge des FDLR ‘’recyclées’’ à partir du Rwanda,  Russ Feingold ne sait pas qu’il y a des Congolais(es) qui savent que ‘’les Interahamwe’’ ont été une création du FPR et plus particulièrement de Paul Kagame décidé à prendre le pouvoir à Kigali à n’importe quel prix. Bernard Lugan, un expert du TPIR, l’a prouvé dans son dernier livre[2] et il n’a jamais été démenti jusqu’à ce jour. En sus, une étude récente[3], suffisamment détaillée,  démontre que Kagame a pris du goût à exploiter la RDCaprès la guerre de 1996 avec l’appui des rébellions qu’il a créées  au pays de Lumumba à partir du  02 août 1998, à commencer par le RCD (dont l’actuel Ministre de l’information de la RDC fut membre).
Qu’est-ce que Russ Feingold  souhaite vraiment pour la RDC ? Que l’ONU participe davantage à la falsification de l’histoire de ce pays comme elle le fait depuis les années 60. Une lecture attentive de Jules Chomé[4] aide par exemple à comprendre le rôle joué par les USA, la CIA et  leurs alliés  à côté de Mobutu et de Tshombe pour faire main basse sur le pays de Lumumba, avec la participation active et ambiguë de l’ONU. Pour les connaisseurs de l’histoire de l’indépendance juridique de la RDC, ce pays est en train de revivre ses années 60. En partie.
Pour cause. La Chine et le Japon[5] commencent à se disputer l’Afrique et ils ne pourront pas se passer de ‘’son cœur ‘’. Pour dire les choses autrement, la période de ‘’la guerre froide’’ est en quelque sorte révolue ; la RDC est au cœur des enjeux d’un monde de plus en plus polycentré. Dans ce nouveau contexte, se plaindre de la lutte que mène Russ Feingold pour son pays et les entreprises multinationales qui en dépendent ne sert à rien. Comme il ne sert à rien de croire que les USA qui ont convoyé les militaires rwandais en RCA  finiront par faire pression sur Kagame pour qu’il dialogue avec ses opposants et arrête de les tuer. Des analyses fantaisistes allant dans ce sens devraient être revues et corrigées en fonction des enjeux de l’heure.
Rappelons qu’avec l’indépendance de la Chine en 1949, les USA ont perdu une arrière-cour importante. La remontée dela Russie après  la chute du mur de Berlin en 1989 et ‘’la fin de l’histoire’’ déclarée par F. Fukuyama provoque une inquiétude sérieuse pour l’empire US. Le camouflé que la Chine et la Russie lui ont asséné dans le dossier  syrien  l’a davantage déstabilisé. Et si nous ajoutons la perte de son arrière-cour latino-américaine  avec la monté du socialisme du XXIème siècle, nous pouvons soutenur qu’il ne lui reste plus grand-chose en dehors du continent africain où il peut, avec l’appui de la France et de quelques ‘’nègres de service’’, bomber le torse. A moins qu’il ne déclenche une troisième guerre mondiale, ‘’l’empire US’’ est fini. Le gangstérisme économique qu’il organise en Afrique centrale participe du délire d’un empire aux abois. Les Africains avertis se sont tournés, à tort ou à raison, vers l’empire du milieu ; et le Japon a senti qu’il devait, lui aussi, compter sur l’Afrique pour son devenir économique.
Disons que désormais, dans un monde de plus en plus polycentré, continuer à pleurnicher  en contemplant l’usage que l’Occident et ses multinationales font de l’Afrique relèvera dorénavant du manque de sagesse et de l’intelligence géostratégiques. Les pays qui, comme la RDC,  ont encore à régler la question d’un leadership responsable peuvent  être excusés en cette matière.
Mais, de plus en plus, les pays africains avertis font leurs choix. Ils diversifient les partenaires et cela de manière sage et  intelligente. Tout en étant prudent à l’endroit de la violence occidentale, ils s’ouvrent au marché asiatique. Même s’ils n’ont pas encore vaincu le patrimonialisme et le népotisme, ils semblent avoir compris que le partenariat traditionnel les a davantage appauvris et  a beaucoup plus contribué à leur néoclonisation qu’à leur émancipation politique. Plusieurs d’entre eux ont été des victimes ignorantes ou/et consentantes de la violence avec laquelle l’Occident, avec ses multinationales, impose son modèle néolibéral.
Dans un récent rapport sur les droits de l’homme en Europe, Moscou y a fait allusion. Qui aurait cru que des leçons de droits de l’homme soient données par Moscou aux ‘’champions de la défense de droits de l’homme’’ il y a quelques dizaines d’années et cela à partir des documents produits par eux-mêmes ? Qui aurait cru ? (Mumanyi wa malu batu bamuamba biende !) En effet, « ce rapport est la réponse du berger à la bergère. Lassé des critiques occidentales, régulièrement condamné par la Cour européenne, Moscou réplique depuis 2012 avec un rapport annuel sur l’UE. Le nouveau souligne la « forte croissance de la xénophobie, du racisme, du nationalisme violent, du chauvinisme et du néo-nazisme » dans l’Union. Et met quelques touches personnelles en s’inquiétant par exemple de la propension des Européens à vouloir exporter « leurs valeurs néo-libérales » dans le monde. »[6]
Ce rapport  est un plus apporté à la théorie du monde polycentré. Il serait naïf et bête de continuer à interpréter le monde et à le transformer à partir d’un seul modèle, du modèle néolibéral occidental, en privilégiant  les seuls partenaires occidentaux. Il est plus que temps d’apprendre de la culture africaine et de la diversité des autres. Une révolution culturelle africaine est une urgence du point de vue des paradigmes servant à l’interprétation et à la transformation du vivre-ensemble africain. Cela pourra prendre le temps que ça prendra. Mais les minorités africaines et congolaises organisées en conscience devront y travailler.
Les lecteurs et falsificateurs de l’histoire du genre du Russ Feingold et Hilary Clinton devraient être de plus en plus disqualifiés. Même s’il faudra toujours creuser leur discours pour en saisir le non-dit.
Entretenir la guerre permanente au Congo est nécessaire à l’ONU, à Russ Feingold et à ses amies multinationales ayant conclu l’initiative Public-Privé avec le gouvernement fantoche de Kinshasa en novembre 2011.  Lire Ruf Custers[7] permet de mieux comprendre Russ Feingold. Malheureusement, nous sommes plusieurs à ne plus avoir le temps de lire et d’étudier les questions cruciales de l’heure pour la RDC. Et nous croyons naïvement que les USA peuvent faire pression sur Kigali… Arrêtons de pleurer sur les autres et ce qu’ils nous font ; pleurons sur notre naïveté, notre ignorance et notre manque d’organisation conséquente. Quand nous serons organisés sagement et intelligemment, les autres viendront négocier avec nous. Ils négocient déjà avec la Bolivie…

 

Mbelu Babanya Kabudi

[2] B. LUGAN, Les guerres d’Afrique. Des origines à nos jours, Paris, Rocher, 2013.
[4] J. CHOME, L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph au général Sese Seko, Bruxelles, Complexe, 1973.
[7] R. CUSTERS, Chasseurs de matières premières, Bruxelles, Investig’action, 2013.

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