L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu revient sur la mémoire de Lumumba, décrypte l’héritage politique de Laurent-Désiré Kabila, rappelle à travers les déclarations récentes de l’ancien gouverneur du Kasaï occidental, le fonctionnement du conglomérat d’aventuriers qui sévit encore à la tête du Congo et nous explique pourquoi nous devons davantage nous efforcer à lutter contre notre amnésie collective.
Sur la mémoire de Lumumba
Lumumba est l’un des rares politiciens congolais dignes de ce nom. Il est l’un des rares à avoir posé les problèmes politiques congolais et africains réels, entre autres : la question de la terre, congolaise et africaine, et de sa gestion, la question de l’impérialisme et de la colonisation mais aussi la question du panafricanisme et de l’organisation des oppositions au Congo et en Afrique. Il s’est rendu compte à un moment que compter sur la communauté internationale ne servait à rien.
Sur la célébration de la mémoire de Lumumba par le pouvoir de Kinshasa ?
Qu’est-ce que la célébration de Lumumba dans un pays tel que le Congo d’aujourd’hui peut signifier profondément ? [En dehors de la mémoire à entretenir, ces célébrations seraient une manière de cracher sur la mémoire de Lumumba.] Lumumba avait lutté sérieusement contre les pouvoirs impérialistes, néocolonialistes, or nous nous rendons compte, en analysant la vie au Congo aujourd’hui que les pouvoirs fantôches en place sont au service des pouvoirs impérialistes et néocolonialistes que Lumumba combattait. Ainsi célébrer la mémoire de Lumumba dans ce contexte, ce n’est pas valoriser ce héros de notre indépendance. Célébrer la mémoire au Congo aujourd’hui serait un peu paradoxal. Mais entretenir la mémoire de Lumumba est indispensable surtout pour les jeunes générations qui n’ont peut-être pas une approche historique correcte de la lutte menée par ce héros national.
Sur l‘héritage politique de Laurent-désiré Kabila
Quand on passe en revue les textes et les vidéos de Laurent-Désiré Kabila, on se rend compte qu’il avait une pensée politique plus ou moins claire, mais ce qui semble avoir gâché son approche politique, c’est le fait de s’être laissé mener par les pays proxys des impérialistes, qui cherchaient à faire main basse sur les ressources du sol et du sous-sol congolais. Et pour avoir pactisé avec ces pays proxys, leurs mentors, leurs parrains et beaucoup d’entreprises multinationales qui l’ont accompagné au cours de la guerre menée par ces pays proxys, cela a corrompu sa mémoire. Du point de vue (du calcul) politique et stratégique, Laurent-Désiré Kabila ne semble pas avoir vu très loin. Laurent-Désiré Kabila a facilité la mise en coupe réglée du Congo.
A la tête du Congo cependant, Laurent-Désiré Kabila n’avait pas tellement l’initiative sur certaines questions. Il y avait les maîtres du jeu qui commandaient et qui commandent encore, tout en restant dans l’ombre. Dès qu’il a essayé de n’en faire qu’à sa tête en rompant avec les maîtres du jeu oppérant dans l’ombre, il a été assassiné. Il ne faut pas non plus oublier que pour contrer les pays proxys qui avaient attaqué le Congo le 2 août 1998, Laurent-Désiré Kabila avait appel à des pays amis et non à l’ONU. C’est quand les pays amis ont infligé des échecs cuisants aux pays proxys que l’ONU est intervenue au Congo en 1999. Or depuis que l’ONU est au Congo, rien n’avance.
Laurent-Désiré Kabila avait quelques intuitions que l’on pourrait approfondir. Il a réussi à faire vivre le Congo pendant deux ans, sans l’aide des institutions internationales. Les pays qui respectent leur souveraineté aujourd’hui sont ceux qui essaient de couper tous les ponts avec les institutions financières internationales. Le modèle du socialisme du 21ème siècle tel qu’il est en train de s’imposer dans les pays d’Amérique latine aujourd’hui procède de cette façon là.
Sur l’arrestation de l’aide de camp du Colonel Ndala
Lambert Mende était le premier à affirmer que c’était la rébellion ougandaise qui avait tiré sur le colonel Ndala. A-t-il modifié sa version depuis ? Parce qu’entre temps, les faits disent totalement autre chose. Comment pouvez-vous expliquer qu’on puisse tirer sur des journalistes en pleine ville de Kinshasa ? C’est une énième preuve de ce qu’est devenu le Congo : une jungle dans laquelle tous les problèmes, même petits, se règlent par des tirs. Nous sommes tombés dans un ensauvagement qui ne dit pas son nom.
Comment voulez-vous qu’un conglomérat d’aventuriers puisse mener à bien des enquêtes sur des questions qu’il initie lui-même ? Les morts de Chebeya, Ndala et d’autres congolais font partie de tout un processus d’extermination des congolais. Ce conglomérat d’aventuriers crée la peur et la terreur, extermine les congolais pour réaliser la mission qui est la sienne : permettre à ses parrains, aux entreprises multinationales, d’occuper les terres congolaises et de faire main sur les richesses du pays.
Sur le combat contre l’amnésie collective
Nous devrions plutôt essayer de nous battre contre notre amnésie collective au lieu de faire comme si un tronc d’arbre, à force de rester dans l’eau, pourrait se transformer en crocodile. Luttons davantage contre l’amnésie, contre l’oubli, contre l’émotion qui fait quand l’un de nos dignes filles ou fils est tué, nous commençons par crier et que tout d’un coup après nous puissions oublier. Essayons d’archiver tous les effets, essayons de les relayer aux jeunes générations. Essayons de nous organiser de façon que, demain ou après-demain, dès que des compatriotes dignes de ce nom ont l’initiative historique, ils puissent se pencher sur ces cas là, pour que les contrevenants à l’ordre souverain de notre pays puissent répondre de leurs forfaits.
Ne gaspillons pas trop notre temps à croire que ce conglomérat d’aventuriers peut se transformer en un groupe de responsables pouvant diriger comme il se doit le Congo. Ce conglomérat d’aventuriers fait son travail. Les dignes filles et fils du Congo doivent aussi faire le leur : s’organiser pour demain.
Sur la lutte pour l’émancipation du Congo
Mener une lutte d’émancipation politique n’est pas une mince affaire. Nous ne devons pas négliger le travail fait par le viol de l’imaginaire de plusieurs d’entre nous qui ne jurent que par RFI, que par BBC, que par la Voix de l’Amérique, même s’il est utile de temps en temps de prêter attention à ce que ces médias là racontent. Mais aujourd’hui il y a des réseaux sociaux congolais qui sont beaucoup plus suivis par les congolais que les médias dominants. Une bonne partie des congolais commence à comprendre petit à petit.
Arrêtons de gaspiller notre énergie à chercher à être accepté par tous les compatriotes, d’un seul coup. Nous sommes en pleine lutte pour l’émancipation anthropologique et politique de notre pays, ce n’est pas demain que cela va aboutir. Il y a encore du chemin à parcourir. Ne cherchons pas à être applaudis par tous, si c’est le cas, c’est que quelque part, nous aurons vendu notre âme. Au contraire, ce qui peut nous arriver, c’est que nous allons être combattus pendant très longtemps. Les moyens qu’utilisent ceux qui mènent la guerre de basse intensité contre le Congo sont colossaux. Ils feront tout pour que la voix des luttants congolais ne puisse pas être entendue par le plus grand nombre. Ils feront tout pour casser les congolais qui essaient de lutter pour l’émancipation de leur pays.
Sur les déclarations de l’ancien gouverneur du Kasaï Occidental, Kabasubabu et le fonctionnement de la kabilie.
Il expose des secrets de polichinelle sur le fonctionnement de l’intérieur du conglomérat d’aventuriers. Il rappelle que ce système fonctionne sous fond de kleptomanie, clientélisme et népotisme. Il rappelle que ce système une mangeoire, on y entre pour manger. On y mange au point de perdre de vue que l’on a des compatriotes. Il précise des noms, des clients du système, des montants d’argent utilisés et dépensés. Ensuite, quand on écoute bien Kabasubabu ou quand on lit son livre, on comprend que ce système ne peut pas être réformé de l’intérieur.
Enfin, Kabasubabu fait comme s’il n’était pas un produit de ce système. Il vante par moment, les mérites de la gestion telle qu’elle a été faite, là où il a été secrétaire général, au RCD. Or le RCD est une rébellion montée pour voler l’argent du Congo à partir de la guerre du 2 août 1998. Donc tout en critiquant le système au sein duquel il s’est retrouvé, il s’est enfoncé lui-même en vantant les mérites d’un groupe de voleurs qui sévit encore au Congo.
Il dit en quelque sorte qu’il a participé à la mort de son pays mais il croit pouvoir accuser les autres, tout en s’enfonçant lui-même. C’est pathétique.