En République Démocratique du Congo, le sénat a adopté vendredi 10 janvier 2013 un projet de loi d’amnistie devant bénéficier aux combattants du M23. Le texte soulève des interrogations non seulement par rapport à son opportunité, mais surtout par rapport à la légitimité de la démarche du pouvoir de Kinshasa. En effet, le pays est toujours déchiré par la violence des groupes armés, dont certains pourraient se conforter à l’idée qu’à leur tour, ils pourront bénéficier de mesures d’amnistie. Sur le principe, rien ne justifie les privilèges accordés au M23 et qui ne bénéficieraient pas aux autres groupes armés.
Pour justifier sa démarche, le gouvernement évoque la nécessité, pour le Congo, de se conformer aux contestables[1] engagements de Nairobi du 12 décembre dernier. Ils prévoyaient l’adoption d’une loi d’amnistie. Mais l’argument est loin d’être convainquant lorsqu’on examine la question de l’opportunité de la démarche et sa légitimité.Surtout lorsqu’on réalise que l’initiative du gouvernement se traduit, de fait, par la perpétuation de la culture de l’impunité, la souffrance des victimes étant, une fois de plus, complètement passée sous silence.
Un projet de loi inopportun
Une loi d’amnistie, en principe, n’est envisageable qu’une fois la nation acquiert la certitude que « la guerre est finie ». Or, dans le cas du M23, on en est encore loin. Le dernier rapport des experts de l’ONU indique clairement que le Rwanda et l’Ouganda continuent de renforcer militairement le M23[2]. De son côté, le patron de la Monusco, Martin Kobler, a fait entendre, ce lundi 13 janvier, que le M23 mène, à nouveau, des incursions dans l’Est du Congo, notamment dans le District d’Ituri[3].
Ces incursions ont commencé bien avant, puisqu’il est maintenant établi que les combattants qui avaient investi la cité de Kamango[4], le 25 décembre dernier, étaient bel et bien une coalition ADF/Nalu-UPDF (armée ougandaise), le nouveau visage du M23, version Kampala[5].
Dès lors, le projet de loi voté par le sénat congolais, au profit d’un groupe armé toujours actif, résonne comme une promesse de Kinshasa selon laquelle l’amnistie est acquise, quoi qu’il en soit. Le message envoyé par un vote comme celui-là est un désastre complet parce qu’il consiste à conforter les combattants « rwando-ougandais » dans leur logique de « la guerre sans fin ». Certains combattants en seraient à leur cinquième agression contre le Congo après avoir servi dans les rangs de l’AFDL(Première Guerre du Congo), du RCD (Deuxième Guerre du Congo), des groupes armés comme l’UPC-Thomas Lubanga, du CNDP-Laurent Nkunda et maintenant du M23. Pire, le gouvernement congolais a reconnu que des récidivistes pourront bénéficier de la loi d’amnistie.
Le message est aussi désastreux vis-à-vis des autres groupes armés, nationaux et étrangers[6]. Ils redécouvrent le même « Congo-Etat-faible » qu’ils commençaient pourtant à craindre après la récente offensive « musclée » des FARDC appuyées par la brigade d’intervention de la Monusco.
Sur la légitimité de la démarche
Le gouvernement congolais a mis en avant l’argument des engagements, au plan international, pris à Nairobi aux termes des pourparlers de Kampala. On relève au passage qu’un gouvernement, qui est supposé tirer sa légitimité des mains de son peuple, semble privilégier les recommandations des partenaires étrangers en manquant d’invoquer une seule fois la référence au « peuple congolais ».
Au-delà de cette absence criante d’empathie entre les autorités et leurs populations, on relève que les engagements de Nairobi s’inscrivent dans un cadre qui suppose que le gouvernement congolais ne doit pas être le seul à se sentir lié. En effet, aux termes des accords d’Addis-Abeba du 24 février 2013[7], dont découlaient les pourparlers de Kampala et les engagements de Nairobi, les pays comme le Rwanda et l’Ouganda devaient s’acquitter d’un ensemble d’obligations en tant que signataires.
Ces accords engageaient leurs signataires à « ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à des groupes armés » et « ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies » (article 5). Kampala et Kigali ont signé ces accords mais n’en respectent pas un seul. Les combattants du M23 ont bel et bien été accueillis sur le territoire des deux pays. L’Ouganda a même annoncé qu’il en avait accueilli 1.600, soit dix fois plus que les estimations des experts[8]. Le Rwanda en a également accueilli et n’envisage aucunement de les extrader.
Quel intérêt le Congo aurait-il à honorer des engagements internationaux que les autres signataires ont entrepris de bafouer allégrement ? Les engagements internationaux ont toujours reposé sur le principe de réciprocité.
En réalité, il apparait assez clairement que le sénat a voté la loi d’amnistie pour se conformer à la volonté du gouvernement, qui, lui-même, sur ce sujet, ne fait qu’appliquer les « ordres » du Président Kabila. Or, le Président Kabila, et c’est de notoriété publique, veille à ne pas mécontenter son homologue ougandais, Yoweri Museveni, à la fois médiateur international et parrain du M23. Ce qui contribue à conforter les tenants du discours selon lequel le Congo ne serait pas une nation souveraine[9].
L’abandon des victimes et la consécration de l’impunité
Le texte prévoit une étrange disposition selon laquelle « Toute personne victime de faits infractionnels commis par les bénéficiaires de la loi d’amnistie a la possibilité de saisir les juridictions étatiques territorialement et matériellement compétentes pour obtenir réparation ». Donc, des poursuites au civils à défaut de poursuites au pénal, avec à la clé la possibilité pour les victimes d’obtenir réparation.
Quelqu’un a-t-il remarqué que les victimes ne bénéficieront pas des services du ministère public, le gouvernement devant garantir l’effectivité de l’amnistie ? Elles devront ainsi, soit s’octroyer les services d’un avocat soit « laisser tomber ». En effet, les membres de M23, n’étant pas réputés pour être des nantis, on n’imagine pas qu’ils puissent s’acquitter des préjudices matériels causés à leurs victimes, contrairement à ce que tente de faire croire le texte du gouvernement. C’est pourtant à un gouvernement qu’il revient d’assumer la charge de ses citoyens, victimes des violences armés, une obligation qui découle de la mission de l’Etat consistant à la protection des personnes et de leurs biens.
Finalement, ce projet de loi, malgré les discours officiels, s’inscrit dans la vieille tradition de l’impunité qui fait le lit des guerres à répétition dont le Congolais n’ont pas fini d’être meurtris, comme en témoigne la relance en cours du M23.
Boniface MUSAVULI
[4] http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20131226133546/rdc-fardc-monusco-adf-crise-dans-le-kivu-rdc-qui-sont-les-assaillants-de-kamango.html
[6] Au sujet des combattants étrangers, la Mission de l’ONU au Congo a fait remarquer que les membres de la Séléka opèrent désormais sur le territoire congolais et que le conflit centrafricain risquait d’affecter laProvince d’Equateur et la Province Orientale. Voir http://radiookapi.net/nations-unies/magazine-un/2014/01/12/rdc-la-province-orientale-lequateur-sous-menace-des-foca-des-seleka/
[8] http://www.rfi.fr/afrique/20131107-rdc-le-chef-militaire-m23-sultani-makenga-mains-autorites-ougandaises
[9] Dans une interview à RFI, le Représentant de Barack Obama dans la région des Grands Lacs, Russ Feingold, a laissé entendre, au sujet des négociations avec les groupes armés, que le Congo n’était pas une nation souveraine, contrairement au Rwanda. Lien http://www.rfi.fr/afrique/20131028-russell-feingold-rfi-effort-militaire-pousse-rdc-risque-mettre-peril-pourparlers-kampala-m23-kabila-grands-lacs