Par Jean-Jacques Wondo
Depuis la mise en œuvre du processus de brassage après l’installation du gouvernement de la tarnsition 1+4, le gouvernement congolais a élaboré au total trois principaux plans stratégiques de réforme des FARDC.
1°) Le Plan stratégique de la réforme de l’armée de 2005 visait trois objectifs dans le processus de brassage. Le premier concernait la formation de brigades d’infanterie pour le maintien de la sécurité pendant les élections de 2006. En réalité, quinze des dix-huit brigades prévues au départ ont été brassées et deux bataillons de forces de réaction rapide ont été formés. D’autre part, plus de 120.000 combattants congolais ont été démobilisés en 2005. La PNUD a joué le rôle d’agence chef de file dans l’accompagnement de l’exécution du PNDDR. Ce programme a permis jusqu’en 2011, la réinsertion de plus de 567.000 ex-combattants. Le deuxième objectif consistait en la formation d’une force de réaction rapide de deux à trois brigades. Enfin, le troisième objectif visait la création d’une force de défense principale forte de trois divisions à l’horizon de 2010 dans l’hypothèse de retrait de la MONUC. Tout Cela devrait être consolidé par l’élaboration d’un nouveau plan stratégique de la réforme de l’armée en 2009. Malheureusement, le plan 2005 a dérapé à la suite de la flambée de violence causée par le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) à partir de la fin 2006. Cela a abouti à l’abandon unilatéral du processus de brassage au profit du mixage.
2°) En 2007, l’EUSEC, le Chef d’état-major général des FARDC et la MONUC proposent un plan ambitieux de réforme de l’armée basée sur le renforcement des capacités managériales et opérationnelles des FARDC. Mais ce plan sera rejeté par le chef de l’Etat au profit d’un plan développemental d’une armée au service du développement, calquée sur le modèle de l’armée populaire de libération chinoise[1]. Quoi de plus logique pour un gouvernement dirigé par le marxiste Gizenga dans un contexte de la signature des « contrats chinois » de « cinq chantiers ». Ainsi, à la suite de la tenue à Kinshasa les 12 et 13 juillet 2007 d’une réunion du Groupe de contact sur la RSS, le ministre de la Défense, Chikez Diemu, va élaborer un Plan Global (2007-2012) sur la RSS. Ce plan s’appuie sur quatre axes : une capacité de réaction rapide par la formation de bataillons opérationnels ; un idéal d’excellence par la lutte contre les crimes commis par les militaires ; une réconciliation de l’armée avec la population par sa participation à la reconstruction du pays ; et une armée de développement par la promotion en son sein de l’agriculture et de l’élevage.
A partir de 2007, la réforme des FARDC va se dévoyer de la logique du brassage vers le processus de « mixage ». De janvier à août 2007, Laurent Nkunda, contrôlant cinq brigades brassées plutôt que deux[2], s’attaque aux milices Hutu. A partir de la fin août, les troupes de Nkunda, aidées par le Rwanda selon la BBC, font défection des FARDC et mènent des offensives contre les troupes gouvernementales au motif qu’elles soutenaient les FDLR qui s’attaquaient aux Tutsi du Kivu. Il y a lieu de noter que déjà lors de la prise d’arme par les structures de commandement des régions militaires en 2003, certains officiers Tutsi issus du RCD-Goma, notamment Laurent Nkunda, Jules Mutebusi, Obedi Rwibasira (actuellement commandant de la 4ème Région Militaire au Kasaï-Occidental), Eric Ruhorimbere et Gichondo ont refusé d’intégrer les FARDC au motif qu’ils ont été victimes d’actes de discrimination fondée sur leur origine ethnique et/ou tribale[3].
Le 18 février 2008, Laurent Nkunda déclare que l’intégration des « Banyamulenge » (et autres Tutsi) dans les FARDC devrait se faire désormais par un mixage plutôt qu’un brassage puisqu’ils sont en insécurité en dehors de leur environnement ethnique. Le mixage consiste à les intégrer tout en les gardant dans leur milieu d’origine. Cette option résulte d’un accord secret, d’abord de 2008, conclu à Kigali entre le représentant du chef de l’Etat congolais (le général John Numbi, alors chef d’état-major de la force aérienne) et Laurent Nkunda sous la supervision du général rwandais James Kaberebe. Ces entretiens ont abouti à un « gentlemen’s agreement » qui consistait en l’instauration immédiate d’un cessez-le-feu permanent ; à la mise en œuvre d’un processus d’intégration militaire appelé ‘mixage’[4]. Il s’agit d’une opération qui a consisté à mettre ensemble trois brigades du CNDP (81ème, 83ème et une brigade de réserve, jadis de la 8ème région militaire au Nord-Kivu, renforcée par des démobilisées de l’armée rwandaise[5]) et deux brigades des FARDC (110ème et 116ème). Ce, avec des conséquences qui ont fait que le CNDP s’est renforcé militairement avec 5 brigades et a élargi son rayon d’action en contrôlant une zone géographique – coïncidant avec des riches sites miniers – plus large qu’auparavanten s’y comportant comme un Etat dans un Etat avec sa propre administration parallèle, des barrières douanières pour prélever des taxes qui échappent aux autorités provinciales et au trésor public national congolais.
3°) Ce coup de frein au processus de brassage va amener le ministre de la Défense (Mwando Nsimba) et le chef d’état-major général des FARDC (Didier Etumba) à proposer en 2009 un nouveau plan de réforme (‘Plan Mwando-Etumba’: 2009-2025) à trois phases. En effet, à l’issue de la table ronde sur le reforme du secteur de la sécurité (RSS), tenue à Kinshasa en date du 25 et 26 Fev 2008, au cours de laquelle les plans spécifiques pour la reforme de l’Armée, de la Police et de la Justice ont été validés, le Ministère de la Défense Nationale et des Anciens Combattants avait entrepris de mettre en œuvre son plan Directeur Global de la reforme de l’Armée. Ce plan, très pragmatique et bien élaboré, étalé sur dix-sept ans (2009-2025), intègre les impératifs du terrain ainsi que les contraintes structurelles et budgétaires du pays. Le ‘Plan Mwando-Etumba’ apporte la valeur ajoutée de placer l’homme – le soldat congolais – au centre de la réforme de l’armée.
La phase à court terme allant de 2009 à 2011 était censée revigorer la réforme de l’armée et permettre la transition vers la deuxième législature post-conflit (2011-2016) avec une armée rajeunie, même si elle n’est pas encore professionnelle. La promulgation tardive de la loi sur le statut de militaire en début de cette année et l’absence des ordonnances présidentielles de sa mise en ouvre font que le rajeunissement voulu n’a pas eu lieu et plus de 28.000 militaires en âge de retraite continuent à remplir les rangs des FARDC.
La phase à moyen terme allant de 2012 à 2016 doit être réalisée après évaluation de la première phase mais cela n’a pas été fait. Cette phase vise principalement à finaliser le plan d’implantation des unités conformément à la doctrine adoptée ; réorganiser les systèmes de Commandement et de Soutien ; et optimiser les dispositifs préexistants de défense du territoire (UTer) ainsi que finaliser la constitution des unités de réaction rapide (URR). Sur le plan de la gestion des ressources humaines, il est prévu durant cette phase de programmer le recrutement annuel de 10.000 jeunes pour assurer la relève et maintenir le volume de force retenue à 145.000 militaires actifs, professionnels et projetables. (Les Armées au Congo-Kinshasa, version revue et augmentée, Avril 2013). Mais la guerre contre le M23 et le manque de volonté politique vont tout remettre en cause.
On parle déjà d’un nouveau plan initié par le général Olenga dont l’élaboration est confiée au général Moya. Concernant le recrutement des jeunes, la campagne lancée depuis 2012 sur le plan national n’a rapporté qu’un menu fretin. C’est le silence-radio du côté de l’état-major de la force terrestre à qui cette mission a été confiée. La situation actuelle des FARDC n’incite pas la jeunesse congolaise à aller s’enrôler pour défendre la patrie. Quoi de plus normal au vu du spectacle offert par les FARDC au front dans le Nord-Kivu: impayés, à peine 60 dollars US par mois, infiltrés, trahis par leur hiérarchie, dépourvues de munitions et envoyées au front avec femmes et parfois chèvres…
D’autre part, les lois organiques essentielles promulguées par le chef de l’Etat : loi sur l’organisation et le fonctionnement des FARDC et loi sur le statut de militaire ne peuvent s’appliquer et somnolent dans les tiroirs du bureau présidentiel, faute d’ordonnances présidentielles de leur mise en application effective. Si rien n’est fait d’ici au mois d’août 2013, la loi organique sur l’organisation et le fonctionnement des FARDC sera désormais caduque et bonne pour les archives nationales, faute de manque de volonté du président Kabila de publier à temps les ordonnances présidentielles de sa mise en exécution. Et cela fait deux ans que rien n’est fait alors que la défense reste une priorité nationale. La troisième loi capitale à mettre en œuvre sans délai est la loi de programmation militaire censée encadrer la gestion des biens et du matériel. Malheureusement, l’élaboration de cette loi n’est pas à l’ordre du jour car tributaire de la loi organique portant sur le statut de militaire qui attend encore les ordonnances présidentielles de sa mise en exécution. En effet, la loi de programmation militaire doit porter sur les dépenses d’investissement au sein de l’armée par un engagement financier pluriannuel qui fixe les effectifs et les crédits d’équipement et de modernisation des FARDC.
La phase à long terme s’étalera quant à elle de 2017 à 2025. Elle vise notamment à consolider les acquis de deux premières phases ; achever la refondation des FARDC en poursuivant leur modernisation et mettre sur pied les unités de Défense principales (UDP). Mais à l’allure où évolue la situation sur le terrain, où l’espoir gouvernement congolais repose principalement sur la Brigade d’intervention africaine pour faire le travail à la place des FARDC, il y a de fortes chances que ce plan, pragmatique et bien conçu au demeurant, ne rencontre pas une volonté politique suffisante, comme souvent le cas d’ailleurs, pour être remise sur les rails.
Et pourtant, il semble que la sécurité reste une priorité pour le président Kabila… En effet, il y a lieu de rappeler une fois de plus qu’à la suite de la déroute des FARDC à Goma en novembre 2012 face à la rébellion du M23, le président Kabila a déclaré le 15 décembre 2012, lors de son traditionnel discours annuel sur l’état de la Nation devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en congrès de faire de la défense nationale « la priorité des priorités »: « Désormais, au-delà de toutes nos actions pour le développement, notre priorité sera la défense de la patrie avec une armée dissuasive, apolitique et professionnelle qui rassure notre peuple », en mettant l’accent sur la crise dans le Nord-Kivu. Évoquant sa triple stratégie (Militaire-Diplomatique-Politique) mise en place pour régler la crise, il plaide pour le renforcement du mandat de la MONUSCO. Dans ses vœux de Nouvel An 2013 adressés à la Nation le 31 décembre, M. Kabila a réitéré le même vœu pieux que la réforme de l’armée est une des priorités du Gouvernement. En réalité, l’on est en droit de se demander, six mois après, que ces deux interventions visaient plutôt à baisser la tension politique qui ne cessait de se polariser autour de sa personne après la débâcle de Goma qu’une réelle volonté de mener des réformes attendues par tous depuis dix ans. Aucune action concrète d’envergure n’est réellement entreprise sur le terrain dans le sens des discours présidentiels aux accents soporifiques d’effet d’annonce.
Téléchargez le document détaillé du plan 2009-2025.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions politiques et sécuritaires de la RD Congo
Retrouvez ses analyses sur desc-wondo.org
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[2] DDR Process in the DRC. A never-Ending Story – Institute for Security Studies.
[3] Déclaration du CNDP à la Conférence de Goma du 14 janvier 2008.
[4] Le cahier des charges de Laurent Nkunda au premier Ministre Gizenga, in le quotidien Le Phare du 12 juin 2007.
[5] Spittaels, S. et Hilgert,F ; Cartographie des motivations derrière les conflits : le cas de l’est de la RDC, Anvers, IPIS, 2008.