Par Jean-Pierre Mbelu
Etudier ce qui se passe en RDC devrait nous pousser de temps en temps à ouvrir nos intelligences à ce qui se passe ailleurs. Les guerres de prédation faite par procuration ont beaucoup de ressemblances. Les stratégies, les méthodes et les tactiques de lutte pour y résister peuvent aussi se ressembler. Cela même si, chaque peuple peut avoir des touches particulières ou son propre génie.
Depuis plus ou moins deux ans, la Syrie est confrontée à une guerre par procuration. Pendant tout ce temps, les médiamensonges ont travaillé à la désinformation publique en faisant de cette guerre une affaire interne à la Syrie. C’est-à-dire une révolte de l’opposition et du peuple syriens contre la dictature du Président Bachar el-Assad (tuant son propre peuple)
Dieu merci ! Les médias alternatifs existent. Eux ont pu, contre vents et marées, donné une information plus ou moins objective après une récolte permanente des données sur terrain. Au jour d’aujourd’hui, à partir de ces médias alternatifs, nous apprenons que les services de l’OTAN savent désormais que 70% de syriens soutiennent l’action du Président Bachar el-Assad.[1] Grâce à ces mêmes médias alternatifs, nous savions depuis 2012, que la guerre contre la Syrie était une guerre par procuration contre un état laïc fort et gênant au profit des intérêts des anglo-saxons et de leurs alliés du Qatar, d’Arabie Saoudite et d’Israël. A ce sujet, un intellectuel russe écrivait un article d’une grande profondeur intitulé : « Frappe contre la Syrie- cible : La Russie »[2]. En lisant cet article, une chose saute aux yeux:sans une bonne connaissance de l’histoire et des enjeux stratégiques de la guerre, il pourrait être difficile de savoir pourquoi les frappes contre la Syrie devraient avoir comme cible la Russie.
Pour rappel, la fin de la guerre froide, dans l’entendement de certains intellectuels anglo-saxons, devrait avoir coïncidé avec « la fin de l’histoire », le triomphe de la démocratie du marché néolibéral et le règne sans partage de l’empire US maîtrisant le contrôle des mers et des terres ainsi que les matières premières stratégiques dont elles regorgent. Imaginer le retour de la Russie sur le devant de la scène économico-politique relevait de l’invraisemblable. Mais c’était très peu compter avec la montée politique de Vladmir Poutine et de sa capacité de conserver certaines relations géopolitiques et géostratégiques historiques vitales pour la Russie. Cette montée de Poutine et certaines découvertes géologiques aident à comprendre « la stratégie du chaos orchestré» par les anglo-saxons et leurs alliés. « On a détecté, note Andrej Fursov, des gisements de gaz naturel dans le Sud de la Méditerranée – autant en mer que sur terre en Syrie (Kara). C’est difficile de connaître leur dimension, mais ils existent.
Le Qatar exporte du gaz naturel liquéfié à l’aide d’une flotte de tankers. Si le régime d’Assad s’effondre, le Qatar aura la possibilité de transporter directement le « combustible bleu » via le territoire syrien sur la côte de la Méditerranée. Cela doublerait au moins son volume d’exportations et gênerait simultanément les exportations de l’Iran. Le renforcement du Qatar sur le marché du gaz naturel affaiblit la position de la Russie. Si les Américains réussissent simultanément à prendre le contrôle du gaz naturel algérien, cela ressemblera bien à un blocage des exportations de gaz naturel pour la Russie. Ce qui signifie que les intérêts économiques du Qatar sont identiques aux intérêts géopolitiques des Etats-Unis, et à leurs efforts d’affaiblir la Russie autant que possible, car la Russie ne doit pas de nouveau se renforcer. Les anglo-saxons sont des joueurs de billard au niveau mondial. Ils agissent par « chaos orchestré »[3]. »
Avoir un concurrent économique de taille a toujours poussé « les grandes puissances » à initier des guerres chaudes, froides ou tièdes dans le but de l’évincer pour demeurer les seuls propriétaires des mers et des terres, pour en exploiter et en vendre les produits afin d’être « reconnues » comme tel sur l’échiquier mondial[4].
Comment la Syrie a-t-elle résisté contre ce « chaos orchestré » ? En menant une guerre de l’intelligence contre l’ignorance et l’inconscience sur plusieurs fronts : le front militaire, le front de la résistance populaire, le front de la résistance sous-régionale et le front international. L’élite syrienne réunie autour de Bachar el-Assad et le front de résistance populaire savaient que cette guerre était « une nouvelle vieille bataille qui prend chaque fois une nouvelle apparence [5]» et destinée à divisée la Syrie pour l’affaiblir afin de mieux l’exploiter. Mais aussi de priver la Russie d’un allié de taille de la sous-région. Si le front de la résistance intérieure appuyant les forces armées syriennes a pu tenir tête aux « opposants fantoches », alliés des anglo-saxons, sur le plan diplomatique, les alliés stratégiques de la Syrie ont abattu un travail titanesque. La Chine et la Russie ont opposé leur véto contre les résolutions de l’ONU allant contre les intérêts de la Syrie en tant que pays souverain. Ces deux pays ayant été des victimes économiques des forces de l’OTAN en Irak, en Afghanistan et en Libye n’ont pas voulu en être les dindons de la farce en Syrie.
Et comme la guerre contre la Syrie était aussi une guerre contre la Russie, la résistance intérieure et celle extérieure ont fini par décider Washington à aller négocier avec la Russie. Le 07 mai 2013, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, s’est rendu à Moscou pour discuter avec Poutine sur la Syrie[6]. Cette rencontre et d’autres qui l’ont suivie ont contribué à la proposition de la conférence de Genève entre le gouvernement syrien et ses « opposants fantoches ». (Elle aura probablement lieu au mois de juillet 2013.)
Comment Bachar-el-Assad, décrié comme dictateur, a-t-il pu, aux dires de l’OTAN, avoir un soutien de 70% de ses compatriotes ? D’abord parce qu’il a affaire à une opposition fantoche. Ensuite parce que son gouvernement et le peuple syrien ont su, le long du parcours, colmater la brèche de la division dans laquelle « les démocrates occidentaux du marché » voulaient s’incruster, en luttant intelligemment contre la désinformation et l’ignorance tout en étant appuyer sur des institutions (et la constitution) ayant un grand soutien populaire. Enfin, grâce au soutien géostratégique de la Chine, de la Russie et des alliés de la sous-région.
Contrairement à la Syrie, la RDC a vu ses alliés géostratégiques l’abandonner pour consolider leurs relations historiques avec ses pyromanes anglo-saxons.
Pour rappel, la guerre contre le Congo fut aussi à ses débuts une guerre contre l’influence beaucoup plus grandissante de la France et de la Belgique dans la sous-région des Grands Lacs africains. Après la chute du mur de Berlin, les anglo-saxons (et surtout leurs élites dominantes) pensaient gérer notre sous-région en la débarrassant des français et des belges afin de demeurer, eux seuls, les uniques maîtres à faire main-basse sur les ressources du sol et du sous-sol. Subtilement, les français et les belges ont préféré joué la carte de leurs alliés de l’OTAN et d’abandonner la RDC à son triste sort tout en espérant tirer les dividendes de cette domination anglo-saxonne (et transnationale). Contrairement à la Syrie jouissant de l’appui du Hezbollah libanais et de l’Iran, la RDC est attaquée par ses voisins rwandais, ougandais et burundais interposés.
Les pays africains ayant réussi à lui prêter main forte lors de la guerre rwandaise (par procuration) en 1998 ne le font plus depuis que « le cheval de Troie du Rwanda », Joseph Kabila, est devenu leur allié. Le cas de l’Angola est le plus parlant.
Du point de vue de l’histoire, comme la Syrie, la RDC est en train de comprendre, à travers certains de ses fils et certaines de ses filles, que la guerre de basse intensité qui lui est menée est « une nouvelle vieille bataille qui prend chaque fois une nouvelle apparence ». Mais cette idée prend du temps avant de marquer une bonne part de la conscience collective congolaise. Du point de vue international, la RDC n’a pas un partenaire de taille pour plaider sa cause. Militairement, il est affaibli par des infiltrations permanentes des milices instrumentalisées par les pays voisins et par des compatriotes avides d’argent. De ce point de vue, il n’a pas par exemple une Russie capable de lui fournir des armes de grande portée.
Disons que nos populations, quelques résistants internes et externes font face, avec des moyens du bord ou mains nues, à une coalition mondiale de vautours dressée contre eux. Et cela pendant plus de deux décennies. Etudier la résistance syrienne peut inspirer les lutteurs congolais. Il en va de même des luttes des peuples latinos américains : elles ont réussi, tant soit peu, à briser le joug du capitalo-impérialisme avilissant.
La Syrie a encore du chemin à faire. Tous les impérialismes ont des points de ressemblance. Qu’ils soient russe ou chinois. Elle devra travailler à déjouer le plan B déjà en marche. Elle a au moins l’avantage d’avoir su bien identifier le modus operandi des anglo-saxons travaillant par « chaos orchestré ». Elle a, dans une certaine mesure, vaincu l’ennemi intérieur : l’ignorance, l’inconscience et la résignation. Cet ennemi intérieur est farouche. Il est vaincu par « les grands peuples » ayant entretenu le sens de l’histoire et ayant compris les mécanismes de la guerre capitalo-impérialiste ainsi que ses objectifs. La Syrie s’est aussi donné des institutions citoyennes lui permettant de demeurer un peuple (à 70%) digne. Contre vents et marrées. Bien que la RD ne soient pas la Syrie, ses minorités organisées et agissantes peuvent tirer plusieurs leçons de la résistance syrienne. Elles peuvent surtout étudier la possibilité de créer des relations géostratégiques qui puissent être salutaire pour la RDC de demain.
Mbelu Babanya Kabudi
[6] http://www.la-croix.com/