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Pourquoi le Rapport Mapping de l’ONU sur les crimes graves commis en RD Congo gêne les autorités rwandaises ?

Pourquoi le Rapport Mapping de l’ONU sur les crimes graves commis en RD Congo gêne les autorités rwandaises ?

Pourquoi le Rapport Mapping de l’ONU sur les crimes graves commis en RD Congo gêne les autorités rwandaises ? 1080 720 Ingeta

Par Blaise Pascal Zirimwabagabo Migabo

Les récentes prises de position de l’Ambassadeur du Rwanda en poste à Kinshasa ne m’ont pas surpris. Elles m’ont directement fait penser aux années d’occupation du Congo par le Rwanda et d’autres forces armées étrangères. Ces propos m’ont rappelé un livre que je découvris à cette époque à l’âgé de 10 ans : Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du Mal écrit par la philosophe Hannah Arendt. Ce 1er octobre 2020, cela fera dix ans depuis la publication par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme du Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo (Rapport Mapping). Dix ans d’impunité mais aussi d’insomnies aux pays et acteurs cités dans ce rapport. 10 ans d’injustice pour les millions de victimes auxquelles ce rapport avait redonné espoir. Parmi les pays cités dans ce rapport, le Rwanda déploie des efforts inimaginables pour discréditer ce rapport et torpiller toutes initiative de justice pour les millions de victimes congolaises et rwandaises de son intervention armée en RDC. Pourquoi le Rwanda s’intéresse-t-il tant au Rapport Mapping ? Pourquoi menace-t-il les voix qui exigent la création d’un tribunal pénal international pour le Congo ? Le Rwanda est-il a sa première négation de ses crimes au Congo ? Que doit être l’attitude de chaque congolais au regard de ces enjeux ?

Le 24 août 2020, un tweet de Vincent Karega, le nouvel ambassadeur du Rwanda en RDC, a embrasé la toile. Réagissant à un internaute congolais au sujet du massacre de Kasika, Vincent Karega commenta : « Incohérence flagrante entre image et histoire. Narratif simpliste pour des accusations graves. Accuser sans évidence s’appelle calomnie. Villages sans noms, 1.100 morts avec deux noms. Circonstances de crimes et identité des criminels non dévoilée. Accusation ou propagande ? ». Ce tweet a par la suite été supprimé.

Ni la forte indignation suscitée auprès des congolais par ce tweet aux allures « négationnistes », ni les différents appels à l’« expulsion » de Vincent Karega ne l’ont pas empêché de poursuivre sa « campagne de vulgarisation » de la thèse « révisionniste » de Kigali au sujet des crimes graves commis en RDC par les troupes rwandaises – ou des groupes sous son contrôle global – depuis 1996 et documenté dans le Rapport Mapping et d’autres rapports pour les moins insoupçonnés de l’ONU. Dans une interview parue dans Jeune Afrique le 28 août 2020 (après son tweet controversé et son tête à tête avec le Président de la RDC du 27 août), cet ambassadeur de poste depuis moins de deux mois ne s’est pas empêché de laisser entendre que c’est à cause des rapports comme le Mapping qui empêche la diaspora de rentrer au Rwanda. Il poursuit encore en considérant que le Rapport Mapping est « draft que tous les pays cités ont montré du doigt » et que c’est pour cette raison que sa version finale n’a jamais été adopté avant conclure : « [Le Rapport Mapping] n’était pas solide ». Si le Rwanda ne se reproche d’aucun crime au Congo et ne reconnait aucune crédibilité au Rapport Mapping, ne sommes-nous pas en droit de nous demander pourquoi menace-t-il le Docteur Mukwege et d’autres voix de la société civile congolaise qui militent pour la création d’un tribunal pénal international pour le Congo ? Revenons sur Kasika.

Le massacre de Kasika, fait incontestable ou fruit de l’imagination des congolais rwandophobes ?

Dans son interview avec Jeune Afrique, l’Ambassadeur Vincent Karega laisse sous-entendre qu’il y a un acharnement, une propagande contre le Rwanda, une « rwandophobie » autour de la commémoration des massacres des populations congolaises pendant la guerre du Congo. Il poursuit, non sans chercher à dédouaner le Rwanda, en rappelant la présence de l’armée congolaise, de l’Ouganda, du Burundi, de l’Angola et des miliciens maï-maï en RDC lors du massacre de Kasika. C’est vrai. Mais qui contrôlait la province du Sud-Kivu lors massacre de Kasika en 1998 ? Ce dernier a-t-il d’ailleurs eu lieu ? Le Rapport Mapping y répond. On peut lire à la page 183 de ce Rapport qu’en date du 24 août 1998, des militaires de l’ ANC (Armée nationale congolaise, branche armée du RCD, mouvement politico-militaire soutenu par le Rwanda) et de l’APR (l’Armée patriotique rwandaise, ancienne appellation de l’armée rwandaise, l’actuelle Rwanda Defence Force) avaient massacré « plus d’un millier de civils, dont de nombreuses femmes ainsi que des enfants et des bébés dans les villages de Kilungutwe, Kalama et Kasika, dans le territoire de Mwenga, à 108 kilomètres de Bukavu ».

Si le Rwanda ne se reproche d’aucun crime au Congo et ne reconnait aucune crédibilité au Rapport Mapping, ne sommes-nous pas en droit de nous demander pourquoi menace-t-il le Docteur Mukwege et d’autres voix de la société civile congolaise qui militent pour la création d’un tribunal pénal international pour le Congo ?

Le même Rapport indique qu’« avant d’être tuées, la plupart des femmes ont été violées, torturées et ont subi la mutilation de leurs organes génitaux. Ce massacre a été organisé en représailles à la suite de la mort, le 23 août, d’une vingtaine d’officiers de l’ANC/APR dans une embuscade tendue par des Mayi-Mayi sur la route reliant Bukavu à Kindu. De nombreux corps d’enfants et de bébés ont été jetés dans les latrines. Avant de partir, les militaires ont pillé les trois villages et incendié de nombreuses habitations. (Rapport Mapping, p.183). Le même rapport ajoute au paragraphe 585 (page 313) : « (…) au Sud-Kivu, en août 1998, des éléments de l’ANC/APR auraient violé des femmes dans les villages de Kilungutwe, Kalama et Kasika, dans le territoire de Mwenga. Viols brutaux, éventration et viols à l’aide de bâtons ont fait un nombre inconnu de victimes ».

Ces passages du Rapport Mapping sont pourtant sans équivoque. Ce rapport cite l’armée rwandaise et les troupes du RCD qui contrôlaient cette partie de la RDC. Aucune armée étrangère n’a contrôlé cette partie du Congo pendant la guerre en dehors de l’armée rwandaise et du RCD qu’il soutenait. Kasika n’est pas d’ailleurs la cité dans laquelle l’armée rwandaise a commis des crimes graves en RDC. L’armée rwandaise est citée dans ce Rapport pour d’autres crimes susceptibles de constituer des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre à la fois contre des populations congolaises et contre des réfugiés hutus. Au total, l’armée rwandaise est citée 1.175 fois dans le Rapport Mapping. En niant les crimes commis par le Rwanda en RDC, l’Ambassadeur Karega tente-t-il de jeter un discrédit sur les faits documentés par les experts indépendants de l’ONU ? Indiquons que le Rapport Mapping est une initiative du Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon et du Conseil de sécurité de l’ONU (résolution 1794(2007) faisant suite à la découverte vers la fin de l’année 2005 à l’Est de la RDC de trois fosses communes!

Le Rwanda est-t-il à sa première négation de ses crimes au Congo ?

D’aucuns semblent découvrir la négation du Rwanda de crimes commis par ses troupes ou par des groupes sous son contrôle en RDC à travers le tweet de l’Ambassadeur Karega ou encore à travers les menaces distillées par divers canaux contre le Docteur Mukwege. Pourtant la position du Rwanda est restée inchangée dans ce tweet comme à la publication du Rapport Mapping il y a 10 ans. En effet, la publication dudit Rapport avait été retardée d’un mois par Navi Pillay – Haut-Commissaire pour les droits de l’homme de l’époque – afin de permettre aux Etats concernés de formuler leurs commentaires. De tous les commentaires reçus, ceux formulés par le Rwanda sont les plus virulents et les plus véhéments à l’égard du Rapport Mapping.

Pour le Rwanda, son intervention en RDC constituait un acte de légitime défense conduite dans le respect du droit international humanitaire ! Au regard de l’ampleur des crimes (plus de 6 millions de morts hormis le pillage des ressources naturelles etc.), on est en droit de s’interroger si le droit international humanitaire a changé de définition ou s’il n’a pas le même contenu à Kigali que celui des conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels !

Dans un document de 30 pages adressé au Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU par Kigali le 30 septembre 2010, le Rwanda rejetait catégoriquement ce rapport. Il s’en prit d’abord ouvertement à Luc Cote, chef de la mission des enquêteurs de l’ONU, dont il critiqua – avec son équipe – le manque d’indépendance et leur volonté manifeste de troubler la paix en Afrique de l’Est et ses très solides avec la RDC. Plus grave, le Rwanda accusa les auteurs du Mapping de chercher à « valider la théorie du double génocide » notamment au sujet des crimes perpétrés par l’armée rwandaise sur les réfugiés hutus en RDC. Pour Kigali, évoquer un génocide au Congo est une banalisation de ce crime. En appui à sa position, le Rwanda critiqua la méthode des experts, la durée des investigations, la crédibilité des témoins, le travail avec des ONGs « politisés » etc.

Pour justifier d’éventuels attaques contre les réfugiés hutus, le Rwanda fit savoir que ces derniers étaient utilisés comme bouclier humains par les génocidaires du FPR/Interahamwe. Par ailleurs, dans cette correspondance, le Rwanda tenta de minimiser les autres crimes qu’il qualifia de « dégât collatéral ». On se souviendra qu’en 2019, Félix Tshisekedi, lors de sa première visite au Rwanda, avait qualifié les millions de victimes congolaises de « dommage collatéral » ! Enfin, dans la même correspondance, le Rwanda critiqua la MONUC qu’il trouvait inefficace et trop couteuse. En définitive, pour le Rwanda, son intervention en RDC constituait un acte de légitime défense conduite dans le respect du droit international humanitaire ! Au regard de l’ampleur des crimes (plus de 6 millions de morts hormis le pillage des ressources naturelles etc.), on est en droit de s’interroger si le droit international humanitaire a changé de définition ou s’il n’a pas le même contenu à Kigali que celui des conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels!

Il est important de se pencher sur l’accueil que la diaspora rwandaise pro-Kagame offrit au Rapport Mapping. Le 1er octobre 2010, jour de la publication de ce Rapport, cette diaspora avait organisé une manifestation devant le Palais Wilson, siège du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, à Genève en Suisse pour s’opposer à ce rapport. Cette manifestation avait pour point de chute la Place des Nations devant le siège de l’ONU. Selon le quotidien d’information suisse 20 Minutes, cette manifestation réunissait moins de cent personnes venues de la Suisse, de la Belgique, de France et d’Italie. Le communiqué de ces manifestants auquel fit référence la Radiotélévision suisse indique que pour ces manifestants, évoquer le génocide au Congo constitue une contre-vérité historique. Par ailleurs, ces manifestants, critiquait ce rapport qui imputait les crimes commis en RDC aux troupes rwandaises pourtant celles-ci « ont permis le démantèlement des camps des réfugiés et le rapatriement d’environ deux millions de personnes prises en otage par les génocidaires ». Dix ans après la publication de ce rapport, il n’est donc pas surprenant de voir le Rwanda, à travers son ambassadeur en Congo, tenter d’occulter les faits et de dédouaner le Rwanda de toute responsabilité pour les crimes graves commis en Congo.

Quelle attitude des congolais pour préserver la mémoire des victimes ?

Cette agitation de Kigali devrait interpeller les congolais et pousser chacune et chacun d’eux à s’approprier le combat pour la vérité et la justice pour les victimes des actes les plus ignominieux que subissent les congolais depuis plus de deux décennies. On ne peut qu’encourager les voix comme celles du Docteur Mukwege et d’autres acteurs de la société civile congolaise qui appellent, dix ans après la publication du Rapport Mapping, à la création par l’ONU d’un tribunal pénal international pour juger les crimes graves commis en RDC entre 1993 et 2003 et au-delà. Répondant à Jeune Afrique sur la responsabilité du Rwanda pour les crimes graves commis en RDC, l’Ambassadeur Vincent Karega n’a-t-il pas répondu non sans arrogance à Jeune Afrique : « Dans quel forum, dans quel cadre les uns et les autres devraient-ils reconnaître ou ne pas reconnaître ce qu’ils ont fait ? ». Ce tribunal est donc plus qu’urgent.

Les congolais devraient se désolidariser de tout dirigeant qui ne se place sur le chemin de la justice et le respect de la mémoire des millions des victimes. Cette exigence de justice devrait figurer en tête liste des priorités de tout gouvernement et de tous ceux qui luttent pour accéder au pouvoir en RDC. Bref, un combat de toute la société congolaise d’autant plus qu’à la lecture du Rapport Mapping et des rapports ultérieurs, la guerre imposée aux congolais n’a épargné aucune région.

En l’absence d’un leadership responsable au service des intérêts du Congo, des initiatives de la société civile à l’instar de celle du GenoCost qui commémorent le génocide du peuple congolais le 2 août de chaque année devraient être soutenues. Ces commémorations devraient s’étendre toutes les régions du Congo et dans la diaspora. Ces commémorations constituent un bouclier contre les discours « négationnistes » que Kigali distille pour occulter sa responsabilité ainsi que contre la complicité dont il bénéficie dans les hautes sphères politiques au Congo. Dans cette lutte, les congolais devraient se désolidariser de tout dirigeant qui ne se place sur le chemin de la justice et le respect de la mémoire des millions des victimes. Cette exigence de justice devrait figurer en tête liste des priorités de tout gouvernement et de tous ceux qui luttent pour accéder au pouvoir en RDC. Bref, un combat de toute la société congolaise d’autant plus qu’à la lecture du Rapport Mapping et des rapports ultérieurs, la guerre imposée aux congolais n’a épargné aucune région.

Cela dit, on est en droit de nous demander pourquoi le régime actuel – chantre pourtant de l’Etat de droit, de la justice et la fin de l’impunité – s’empêche de fouiner (pour emprunter ce mot rendu tristement célébré par Félix Tshisekedi) et de s’activer pour qu’un Tribunal pénal international pour le Congo soit mis en place ? Si hier le régime de Kabila ne cachait pas son hostilité vis-à-vis de ce rapport – car impliqué dans les crimes qu’il investigue -, pourquoi le régime de Félix Tshisekedi semble avoir rangé le discours de justice en faveur des victimes qu’il a tant vendu aux congolais surtout pendant les années d’opposition ? Est-ce trop demander à ce régime qu’exiger une réaction diplomatique proportionnelle au tweet et aux propos « négationnistes » de l’Ambassadeur rwandais en poste à Kinshasa ? Face au silence des autorités congolaises, le sit-in annoncé par les mouvements citoyens LUCHA et FILIMBI pour ce 4 septembre 2020 devant l’Ambassade du Rwanda à Kinshasa en plus de la pétition lancée en ligne pour exiger l’expulsion de l’Ambassadeur Karega ne peuvent qu’être salués. Ces initiatives témoignent d’un début de prise de conscience par le peuple congolais, préalable pour la construction d’un Congo nouveau.

Blaise Pascal Zirimwabagabo Migabo
Chercheur en droit international
Défenseur des droits humains en RD Congo

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