Par Jean-Pierre Mbelu
« Le passé est effacé, et sitôt son effacement oublié, le mensonge devient vérité » – G. Orwell
Il y a, au cœur de l’Afrique, un pays où la lutte pour la liberté d’expression a coûté la vie à plusieurs citoyens. L’espace de débat kongolais n’est pas un cadeau reçu de qui que ce soit. Des kongolais ont pris et prennent encore des risques pour que leur espace public soit davantage respectueux des libertés fondamentales.
Au cours de cette lutte, ils ne sont pas toujours d’accord entre eux. Néanmoins, ils croient fermement que du choc des idées la lumière finit toujours par jaillir.
Le sophisme de Karega
Plusieurs citoyens kongolais ne sont pas de simples spectateurs de leur histoire. Ils la lisent. Ils l’écrivent. Ils la pensent. Il arrive qu’ils soient criminalisés pour cela. Il arrive aussi que certains de leurs compatriotes ayant renoncé à la lecture et à l’écriture prennent partie pour ceux qui les criminalisent.
Curieusement, des compatriotes kongolais trouvent les propos de cet ambassadeur rwandais « politiquement correct ». Ils font comme si tous les rapports et tous les livres publiés sur les crimes commis par Kagame et son FPR/APR au Kongo-Kinshasa provenaient de ces compatriotes.
Le dernier cas est celui de Vincent Karega qui, au lieu de démentir les propos tenus par Martin Fayulu, hier, le 11 février 2021, par un discours raisonnable et rationnel, le traite tout simplement de malade, bon pour la psychiatrie. Il se serait arrêté à Fayulu, cela se comprendrait. Non. Il s’en prend, au même moment à Patrick Mbeko et à Honoré Ngbanda qu’il considèrent comme étant des de charlatans. Pourquoi ? Ils ont des points de vue info-formés, critiquables, mais contredisant la doxa officielle.
Curieusement, des compatriotes kongolais trouvent les propos de cet ambassadeur rwandais « politiquement correct ». Ils font comme si tous les rapports et tous les livres publiés sur les crimes commis par Kagame et son FPR/APR au Kongo-Kinshasa provenaient de ces compatriotes. Ces compatriotes ne semblent pas avoir compris que Vincent Karega a opté pour le sophisme.
Ses attaques ad hominem ne sont pas une réponse aux propos tenus par Martin Fayulu. Elles ignorent l’histoire et l’actualité (des minerais vendus et ne se retrouvant pas dans le sous-sol rwandais.(Rwanda: D’où vient l’Or que le Rwanda exporte pour plus de 637 millions USD par an? – UviraOnline ))
Remettre les cerveaux à l’endroit au cœur de l’Afrique
En dehors de ses écrits, Patrick Mbeko a reçu, des mains des femmes du Réseau international pour la démocratie, majoritairement rwandaises, le « Prix Victoire Ingabire Umuhoza » pour « La démocratie et la paix ». Donc, en dehors de Vincent Karega, les écrits et la pensée de Patrick Mbeko sont lus et partagés par un nombre important de Rwandais et de Rwandaises. Ceci dérange énormément !
Le problème est que penser, lire et écrire l’histoire (politique, économique, culturelle, sociale, etc.) du Kongo-Kinshasa par les Kongolais eux-mêmes est de plus en plus criminalisé.
Quant à Honoré Ngbanda, il a commis « un crime » que l’APR/FPR ne lui pardonnera jamais. Connaissant (de l’intérieur) l’histoire de la guerre raciste de basse intensité et de prédation menée contre le Kongo-Kinshasa avec la complicité de Paul Kagame et de ses proches, il a publié un livre historique : « Crimes organisés en Afrique centrale. Révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux » (Paris, Duboiris, 2004). Dix ans après ce livre, il a publié, avec Patrick Mbeko, un autre intitulé : « Stratégie du chaos et du mensonge. Poker menteur en Afrique des Grands Lacs » (Québec, Ed. De l’Erablière, 2014). Lire ces livres tout en les critiquant serait la meilleure des choses au lieu de qualifier leurs auteurs de « charlatans » sans plus.
Lire ces livres et y ajouter par exemple celui de Pierre Péan intitulé « Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique » (Paris, Fayard, 2010), ou encore celui de Florence Hartmann intitulé « Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales » (Paris, Flammarion, 2007) ou enfin le plus récent de Judi Rever « Rwanda : l’éloge du sang » (Paris, Max, 2020), tout cela aide à remettre les cerveaux à l’endroit au cœur de l’Afrique, à approfondir les enjeux et les jeux des coulisses.
Le problème est que penser, lire et écrire l’histoire (politique, économique, culturelle, sociale, etc.) du Kongo-Kinshasa par les Kongolais eux-mêmes est de plus en plus criminalisé.
Le Congo-Kinshasa n’est pas le Rwanda
Au cœur de l’Afrique se développe « un terrorisme intellectuel » abrutissant et criminalisant loin de tout débat rationnel et raisonnable. (Lire Les notes de Jean-Pierre Mbelu : Cet « autre terrorisme intellectuel » congolais qui ne dit pas son nom – INGETA )
Il est impossible de rompre avec la régression et/ou l’appauvrissement anthropologique sans une bonne école, sans une bonne université, sans des familles dignes de ce nom ; bref sans une bonne culture.
Bon ! Dans un pays où l’école, l’université et la famille n’ont presque plus accès au livre et à la bibliothèque, cela pourrait se comprendre. Et Fatshi peut, lui aussi, commencer à comprendre « pourquoi des gens meurtris, affamés, frappés par le chômage et tous genres de calamités chantent à leur gloire alors qu’ils devraient leur exiger plus. » Il est impossible de rompre avec la régression et/ou l’appauvrissement anthropologique sans une bonne école, sans une bonne université, sans des familles dignes de ce nom ; bref sans une bonne culture. (J’y reviendrai). Néanmoins, comprendre ne signifie pas justifier.
Pourtant, il y a des solutions de rechange. Visualiser par exemple certains documentaires tels que « Le conflit au Congo. La vérité dévoilée », « The impunity » ou « Rwanda’s untold story » pourrait compenser ce manque d’accès au livre et à l’information sourcée sur ce que nie Vincent Karega.
De toutes les façons, « les minorités kongolaises éveillées » l’ont compris : tout ou presque est dans les livres. Elles lisent et écrivent. Elles ont même levée l’option pour « la prédication au désert ». Elles sont convaincues que la guerre au Kongo-Kinshasa se mène surtout contre la pensée et l’intelligence ; que la guerre la plus redoutable est celle des idées. Vincent Karega y participe-t-il en s’en prenant à nos écrivains comme un sophiste ? Peut-être ! Mais s’il s’engage sur cette voie-là, il ne réussira pas. Le Kongo-Kinshasa n’est pas le Rwanda. Et la lutte pour un espace public respectueux des libertés fondamentales s’y poursuit. Elle ne s’arrêtera jamais.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961