Par Mufoncol Tshiyoyo
« Nous » et le processus de notre « colonisation » par autrui, jusqu’où nous en sommes conscients ?
Généralement, quand ce type de question est posée, elle est posée avec intention de remettre en question un mode de pensée et d’action qui n’intègre pas, dans l’exécution de son projet, la compréhension de la nature de l’adversité que « l’Occident » nous impose comme « adversaire ». La critique qui revient souvent se réduit à une simple accusation : nous sommes accusés de porter atteinte aux efforts que « fournissent » certains parmi nous au motif qu’ils seraient en train de se battre sur le « terrain ». La notion du terrain est mal définie et mal comprise.
Chacun fait son lit comme il se couche
Cependant, en y regardant de près, les élites qui pensent agir, d’abord sur un terrain mal connu et ensuite de leur propre gré, sont plutôt agies que le contraire. Nous ne le disons uniquement pas dans le but de porter une quelconque accusation contre qui ce soit. De ce côté, notre principe est tout simple : chacun fait son lit comme il se couche. Sauf que chez nous, personne ne porte la responsabilité de son acte. C’est l’expression de l’ignorance des enjeux réels en Afrique en général et au Congo-Kinshasa en particulier. Cette impuissance à saisir la portée exacte de nos réalités renforce la division entre nous. Elle complique le lien direct à établir entre la pensée qui nourrit l’action et l’action elle-même. Ainsi, et à chaque occasion, nous retardons la conclusion du projet de notre émancipation, pourtant désirée et à notre portée.
C’est pourquoi, dans le souci de toujours améliorer la vision que nous nous imposons, notre projet appelé « Likambo ya mabele », nous nous faisons le devoir de questionner la démarche intellectuelle de toux ceux qui ont vécu, par le passé et dans leur chair, les souffrances que nous endurons également aujourd’hui. C’est le cas du peuple indien, qui a eu affaire aux élites anglo-saxonnes. C’est aussi le cas du peuple cubain, ainsi que d’autres sous l’influence de l’éclairage bolivarien.
Les élites qui pensent agir, d’abord sur un terrain mal connu et ensuite de leur propre gré, sont plutôt agies que le contraire.
La liste n’est pas exhaustive. Le Vietnam est passé par ce projet. Les Syriens aujourd’hui. Nasrallah et le Hezbollah. Il y a un penseur dont les travaux nous interpellent chaque fois qu’il nous arrive de penser à lui. Il s’agit de l’Indien Ashis Nandy. Dans son livre « L’Ennemi intime perte de soi et retour à soi sous le colonialisme », publié aux éditions Fayard en 2007, Ashis essaye d’expliciter, avec ses mots, le processus et les procédés à la base de la colonisation.
La production auto justificatrice d’une théorie de l’impérialisme n’épuise pas la vérité de la situation coloniale
Pour Ashis Nandy : «
1. La production auto justificatrice d’une théorie de l’impérialisme n’épuise pas la vérité de la situation coloniale. [Il ne suffit pas de crier et de dénoncer l’impérialisme. L’anonymat ou l’abstraction de la notion de l’impérialisme rend flou le combat contre une abstraction. Et c’est nous qui précisons].
2. Le colonialisme est aussi un état psychique ancré dans des formes de conscience antérieures, tant chez les colonisateurs que chez les colonisés. Il représente une continuité culturelle et véhicule un certain bagage culturel […]
3. Il comporte des codes que dominants et dominés peuvent partager. La principale fonction de ces codes est d’altérer les hiérarchies culturelles d’origine de part et d’autre et d’accorder une position centrale dans la culture coloniale à des sous-cultures préalablement récessives ou subordonnées dans chacune des deux cultures qui s’affrontent. [Est-ce que nos cultures affrontent la culture dominante ?]
4. Le colonialisme semble ne jamais prendre fin avec l’obtention officielle de la liberté politique. En tant qu’état psychique, le colonialisme est un processus indigène relayé par des forces extérieures. Il est profondément enraciné dans l’esprit des dominants et des dominés. Sans doute ce qui commence dans l’esprit humain doit-il aussi finir dans l’esprit humain. [Mais chez nous, peu s’en rendent compte]
5. En second lieu, la culture du colonialisme suppose un style particulier de gestion de la contestation. Un système colonial se perpétue évidemment en incitant les colonisés, par le biais de récompenses et de punitions psychologiques et économiques, à accepter les nouvelles normes sociales et les nouvelles catégories intellectuelles […] Plus dangereuses, plus durables, sont les récompenses et les punitions internes, profits et pertes psychologiques secondaires dus à la souffrance et à la soumission sous le régime colonial. Elles sont presque toujours inconscientes, passent presque toujours inaperçues. [C’est comme quand on dit « Kabila dégage », Mobutu ceci-cela]
La culture du colonialisme suppose un style particulier de gestion de la contestation. Un système colonial se perpétue évidemment en incitant les colonisés, par le biais de récompenses et de punitions psychologiques et économiques, à accepter les nouvelles normes sociales et les nouvelles catégories intellectuelles.
6. Il y a une résistance intérieure particulièrement forte qui empêche de reconnaitre la violence ultime du colonialisme contre ses victimes, celle qui consiste à créer une culture dans laquelle les dominés ont constamment la tentation de combattre leurs maîtres dans les limites psychologiques qui leur imposées. Ce n’est pas un hasard si les diverses variantes des concepts employés par quantité de mouvements anticolonialistes de nos jours sont des produits de la culture impériale elle-même, et si ces mouvements, fut-ce pour s’y opposer, ont rendu hommage à leurs labels d’origine respectifs. Je pense non seulement aux codes explicitement apolliniens du libéralisme occidental, qui ont souvent inspiré les élites des sociétés colonisées, mais aussi à leur contrepartie dionysienne dissimilée dans les notions de gouvernement, de gestion du quotidien, d’options politiques et d’utopies qui ont guidé les mouvements révolutionnaires contre le colonialisme », (Nandy, 2007 : 42, 43 et 44). »
L’ignorance nous fait accepter la promotion et la défense des notions, telles que démocratie, partis politique, société civile, des jeunes de ceci ou de cela, etc. Alors que ces valeurs contribuent plus à notre endoctrinement..
Bref, pour conclure, nous affirmons ce qui suit : « changeons la lutte, sa nature, c’est changer notre identité, ce que nous sommes ». Comment savoir si l’action à entreprendre à l’onction d’une action conçue, exécutée et finalisée par nous-mêmes ?
(A suivre)
Mufoncol Tshiyoyo,
MT & Associates Consulting Group