Par Jean-Pierre Mbelu
« Le vrai problème est que les dirigeants zaïrois se sont laissé distraire par des discussions et des négociations futiles, en faisant régulièrement valoir leur bonne foi face à des gens qui n’en ont cure. »– C. ONANA
Les sources ayant permis à Charles Onana d’écrire un livre magnifique sur le Kongo-Kinshasa lèvent un coin de voile sur ce que plusieurs compatriotes croient être des informations à donner à « la communauté internationale » et aux « alliés traditionnels ». Leurs archives, leurs diplomates, leurs généraux, leurs services de renseignements en savent beaucoup plus que plusieurs d’entre nous. Lire et relire ce livre, en partager le contenu est important pour le devenir collectif kongolais. Cela peut aider à éviter la répétition de l’histoire.
La confidence de Léon Kengo wa Dondo et les questions qu’elle pose
Dans les archives de l’ONU, Charles Onana découvre une confidence de Léon Kengo wa Dondo. Elle donne à penser. Voici ce que confie Kengo wa Dondo : « Nous avons toujours appartenu au camp occidental et le paradoxe veut que ce soit toujours les pays occidentaux qui nous attaquent. On dirait qu’ils ne veulent pas que le Zaïre soit une vraie puissance ; l’allié le plus sûr du camp occidental est traîné dans la boue. On veut le réduire à l’impuissance, à l’anarchie, simplement parce qu’il réclame son droit à la différence. Nous voulons simplement être nous-mêmes… [1]»
Quand est-ce que les Zaïrois-Kongolais ont-ils choisi d’appartenir au camp occidental ? A qui ont-ils donné le mandat d’en faire les membres de ce camp ? En quelle année ? Les croyances des « gouvernants » zaïrois-kongolais ont-elles été débattues et partagées par le plus grand nombre ? Quand est-ce des décisions collectives au sujet de cette appartenance au camp occidental ont-elles été prises ?
Cette confidence pose plusieurs questions à la fois. Quand est-ce que les Zaïrois-Kongolais ont-ils choisi d’appartenir au camp occidental ? A qui ont-ils donné le mandat d’en faire les membres de ce camp ? En quelle année ? Les croyances des « gouvernants » zaïrois-kongolais ont-elles été débattues et partagées par le plus grand nombre ? Quand est-ce des décisions collectives au sujet de cette appartenance au camp occidental ont-elles été prises ?
« Nous avons toujours appartenu au camp occidental » paraît beaucoup plus une croyance non questionnée. Néanmoins, elle semble être devenue une conviction partagée par « les gouvernants » zaïrois-congolais. Et la guerre raciste de prédation et de basse intensité orchestrée contre le Kongo vient la remettre en question. En principe, cette remise en question devrait provoquer des débats publics en vue de pouvoir l’évaluer et tirer les conséquences de ce que Léon Kengo wa Dondo nomme « le paradoxe ». L’une de ces conséquences serait de revisiter les mots, les concepts et les expressions utilisés dans la relation à l’autre. Comment est-ce qu’un pays réduit au rang de vassal, de vache laitière, peut-il prétendre être « l’allié sûr » du camp lui infligeant ce traitement ? Est-ce loyal qu’un « allié sûr » soit humilié, « traîné dans la boue » ?
Questionner les mots, les concepts et les expressions utilisés dans la relation à l’autre à partir du réel peut apporter des correctifs au discours que nous tenons sur nous et sur lui. Cela peut nous conduire à nous poser une question du genre : « Qui parle en nous et/ou qu’est-ce qui parle en nous dans la gestion de notre relation à l’autre ? Ou celle-ci : notre relation à l’autre est-elle gérée par des mots, des concepts et des expressions empruntés à la doxa officielle sans examen de notre part ? »
Plus de deux décennies de guerre
Après plus de deux décennies de guerre, le constat est amer : réduire le Zaïre/Kongo à l’impuissance et à l’anarchie n’est plus une vue d’esprit. Le général français Quesnot le confie sans ambages : «Les Britanniques sont arrivés, dans les zones américaines. Ils vont refaire les voies de communication entre Kigali et l’Ouganda, ce n’est pas innocent (…). Il y a un accord entre Museveni, très soutenu par les Etats-Unis, et Kagame (…) pour en faire une grande zone d’influence tutsi. Dans ce pacte, il est prévu le démantèlement du Zaïre. Il n’y a plus de raison de s’arrêter. Le nord du lac Kivu, au Zaïre ne peut être traité sans cette zone. »[2]
Après plus de deux décennies de guerre, le constat est amer : réduire le Zaïre/Kongo à l’impuissance et à l’anarchie n’est plus une vue d’esprit.
Ce projet peut être retrouvé dans les archives de la Maison Blanche. « (…) L’amputation du Soudan est une étape de ce projet car les Soudanais du Sud étaient soutenus par l’Ouganda, Washington et Londres. Kagame était officier de renseignements en Ouganda lorsque les Sud-Soudanais. Les conditions dans lesquelles est survenue la partition du Soudan méritent réflexion. [3]» Pourquoi ?
Elles posent la question des liens entre Salva Kiir et Paul Kagame. « Il faut souligner que le président du Soudan, Salva Kiir, est particulièrement proche de Kagame depuis la période où ce dernier était à la tête des services de renseignements ougandais. [4]» Les signataires des « accords de paix » au Kongo-Kinshasa le savent-ils ? Savent-ils que « sa participation à la signature des accords de paix en RDC et l’acceptation de l’offre du déploiement d’un contingent de 750 militaires soudanais du Sud pour soi-disant combattre les rebelles du M-23 en RDC fut une erreur grave d’appréciation [5]» et que cette erreur est interprétée par plusieurs Kongolais(es) comme était une complicité et/ou une trahison ?
La question existentielle pour le Kongo-Kinshasa
Réduire le Kongo-Kinshasa à l’impuissance, l’humilier, y installer de l’anarchie moyennant une guerre perpétuelle devant conduire à sa balkanisation, sont-ce là des actions témoignant que ce pays a été et est toujours un « allié sur » de l’Occident collectif ? La réponse devrait être négative. Et les conséquences de cette alliance contre-nature devraient être collectivement tirées. C’est d’un. De deux, en lisant la confidence de Kengo wa Dondo, il y a lieu de se rendre compte que la question essentielle face à laquelle le Kongo-Kinshasa est place depuis plus de 150 est existentielle. Elle est celle de son identité. Il veut être lui-même dans un monde où le respect de la différence constitue une richesse. Cette question vitale est souvent négligée au profit d’une approche bassement matérialiste du pays. Une approche selon laquelle les matières premières seraient sa malédiction.
Réduire le Kongo-Kinshasa à l’impuissance, l’humilier, y installer de l’anarchie moyennant une guerre perpétuelle devant conduire à sa balkanisation, sont-ce là des actions témoignant que ce pays a été et est toujours un « allié sur » de l’Occident collectif ? La réponse devrait être négative. Et les conséquences de cette alliance contre-nature devraient être collectivement tirées.
Cette approche néocoloniale et néolibérale est secondaire. Elle permet de justifier la destruction des vies et de l’identité kongolaise plurielle dans un contexte voulu consumériste où le triomphe de la cupidité, l’instinct de domination et le mépris des gens conduisent à la perte de toute boussole éthique. Les Etats-civilisations déconstruisent de plus en plus cette vision consumériste de l’humain et du monde. L’Afrique et le Kongo-Kinshasa devraient leur emboîter le pas en magnifiant le travail des panafricanistes soucieux de la traditionnalité et de l’ancestralité ouvertes à l’altérité.
Une petite conclusion
S’attacher à la question existentielle offre prioritairement des possibilités de lutte souveraine pour « le bomoto » et secondairement pour « les bintu » (les choses). Gagner la lutte du « bomoto » pourrait être la meilleure voie pour une gestion avertie des « bintu » dans un monde tendant vers la multipolarité et la gestion des « bintu » sur fond d’une matrice organisationnelle faite de respect mutuel, de liberté, de solidarité, de coopération et d’amitié ; et assumant par l’échange certaines coïncidences paradoxales.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] C. ONANA, Holocauste au Congo. L’Omerta de la communauté internationale. La France complice ?, , Paris, Editions de l’Artilleur, 2023, p. 190.