Par Jean-Pierre Mbelu
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales. Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites. » – Sun Tzu
De plus en plus, l’un ou l’autre politicien kongolais parle d’alternative à trouver au »système actuel » ou de changement de « système ». Cela me semble être une sérieuse avancée. Pourquoi ?
Depuis le début des années 2000, le mot le plus utilisé à l’approche des « élections-pièges-à-cons » était l’alternance. Celle-ci n’était rien d’autre que le changement de certains « acteurs politiques » au coeur d’un même système. Souvent, l’alternance a servi à reconduire certaines « autorités morales » en leur créant, par débauchage ou par infiltration, de nouveaux complices, des tambourinaires, des thuriféraires ou des applaudisseurs.
Le système d’hier
Curieusement, ces politiciens ne nomment pas et/ou refusent de nommer le système auquel ils veulent trouver une alternative. Est-ce parce que c’est le système qu’ils ont servi et qu’ils servent encore et qu’ils auraient du mal à pourfendre ? Est-ce parce qu’ils confondent le système et ses « sous-systèmes » larbins et compradores installés au Kongo-Kinshasa depuis l’indépendance formelle du pays jusqu’à ce jour ?
Lumumba a nommé le système qu’il combattait au péril de sa vie. Il n’a pas que nommé ce système. Il a indiqué « la voie » pour une réelle indépendance économique d’un pays souverain.
Hier, Lumumba a nommé le système qu’il combattait au péril de sa vie. Il n’a pas que nommé ce système. Il a indiqué « la voie » pour une réelle indépendance économique d’un pays souverain.
Lumumba connaissait « le système ennemi » du Kongo-Kinshasa : le colonialisme ; et sa propension à s’accaparer des terres kongolaises.
Ce système produisait l’assujettissement, l’asservissement, la soumission, la servilité, l’abâtardissement et la dé-civilisation en marge de la résistance qui lui été opposée. Il constituait un frein à l’épanouissement des marqueurs de l’humain kongolais que sont la dignité, la liberté, la fierté d’être soi, la justice et l’indépendance d’esprit. La matrice organisationnelle de ce système était fondamentalement marquée par le corruption. (Une vidéo faisant le tour des réseaux sociaux mentionne les sommes d’argent décaissées pour corrompre « les kongolais modérés » en vue de torpiller les actions du gouvernement Lumumba. )
Sortir du système
Lumumba estimait que le recours à la culture est indispensable dans la lutte pour la production des valeurs -la common decency- pouvant aider ses compatriotes à rompre avec ce système. Il pensait que réunis au sein d’un même grand mouvement populaire riche de ses différences et de ses ressemblances, les Kongolais pouvaient devenir maîtres chez eux en évitant la politique du « diviser pour régner » dont se servait le système colonialiste pour créer et/ou soutenir « les modérés » dans les partis d’opposition, nuisibles au nous (biso) et devenir collectifs du pays.
Lumumba nommait le système en place au Kongo-Kinshasa et esquissait une vision alternative. Sur ce point, il ne semble pas être suivi par plusieurs de ses compatriotes parlant aujourd’hui du système et de son alternative.
Lumumba pensait qu’une indépendance politique sans une économie nationalisée ne valait absolument rien. Pour lui, une fois aux affaires, il fallait nationaliser les entreprises kongolaises ayant été les vaches laitières des entreprises multinationales pendant la période coloniale.
Donc, Lumumba nommait le système en place au Kongo-Kinshasa et esquissait une vision alternative. Sur ce point, il ne semble pas être suivi par plusieurs de ses compatriotes parlant aujourd’hui du système et de son alternative.
Le système actuel
Le système dans lequel se retrouve le Kongo-Kinshasa aujourd’hui est un système néocolonial et néolibéral contrôlé par « les mains extérieures » (dont a parlé le Pape François à son passage au pays) en complicité avec « les petites mains intérieures », à la fois africaines et kongolaises, sur fond d’une corruption endémique. Il utilise les huissiers du capital que sont, entre autres, le FMI et la Banque mondiale ainsi que plusieurs ONG dites de « droits de l’homme ».
Le système dans lequel se retrouve le Kongo-Kinshasa aujourd’hui est un système néocolonial et néolibéral contrôlé par « les mains extérieures » (dont a parlé le Pape François à son passage au pays) en complicité avec « les petites mains intérieures », à la fois africaines et kongolaises, sur fond d’une corruption endémique.
Lui trouver une alternative, c’est géostratégiquement, rompre avec des institutions ayant rendu sa pérennisation possible. Telle est l’un des enjeux majeurs de la lutte souveraine à mener au Kongo-Kinshasa. Cette lutte marche de pair avec la remise des têtes, des coeurs et des esprits à l’endroit, indispensable à la re-civilisation ; ces « terrains » minés et mangés par la culture hégémonique néolibérale et par ‘ »notre musique ».
Lumumba a indiqué « la voie ». Elle peut être revue, corrigée et augmentée. Les Kongolais(es) ont la chance d’avoir déjà « une voie » suffisamment bien tracée.
Une petite conclusion : lire Lumumba
Encore faudrait-ils qu’ils lisent et relisent Lumumba ; qu’ils produisent l’intelligence collective à partir de ses écrits…
Ces politiciens parlant de l’alternative et du changement de système, s’ils ont un peu de temps, peuvent lire :
–La lettre de Lumumba à Pauline
–« Africains, Levons-Nous ! » Discours de Patrice Lumumba, prononcé à Ibadan (Nigeria), 22 mars 1959
-S. BOUAMAMA, Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara, Paris, Editions de la Découverte, 2014
-J.-P. MBELU, C’est ça Lumumba, Paris, Congo Lobi Lelo, 2020
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961