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Les masses populaires kongolaises, « le M23 » et « l’opium du peuple »

Les masses populaires kongolaises, « le M23 » et « l’opium du peuple »

Les masses populaires kongolaises, « le M23 » et « l’opium du peuple » 1100 733 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » – A. Césaire

 

Les dernières mobilisations populaires des masses kongolaises contre « le M23 » et le régime du « paralytique de Kigali » a fait d’une pierre plusieurs coups. Elles ont eu lieu dans un espace public propice aux débats contradictoires et enrichissants sur la guerre raciste de prédation, de basse intensité et d’usure livrée contre le Kongo-Kinshasa.

Cela a permis à plusieurs débatteurs et autres leaders d’opinions de fustiger les parrains de Kagame et les pousser à la condamnation, du bout des lèvres, de leur « protégé ». Et tous ou presque ont réaffirmé , du bout des lèvres, les principes de la souveraineté du pays et de l’intangibilité de ses frontières.

Une petite victoire et un enjeu majeur

Dans la foulée, les masses populaires kongolaises ont pesé de tout leur poids dans la balance des rapports de force de façon à obtenir des gouvernants de fait que l’armée rwandaise n’infiltre plus les forces armées kongolaises par le truchement du « M23 ». Donc, après plusieurs infiltrations dont la guerre raciste de prédation par morceaux a été le cheval de Troie depuis les années 1990, c’est plus de deux décennies après qu’une petite victoire des masses populaires kongolaises est enregistrée dans ce dossier. C’est déjà ça.

L’infiltration des institutions kongolaises depuis plus de deux décennies sert un objectif stratégique de la guerre orchestrée par les globalistes apatrides contre le pays de Lumumba pour le transformer en un « Etat-raté-manqué », le dépeupler en tuant ses filles et ses fils, le détruire comme nation souveraine, et participer à sa balkanisation et à son implosion au cours d’un long processus de « chaos contrôlé ».

Cependant, cette petite victoire pose un problème : celui de sa gestion et de sa transmutation en une plus grande victoire. Comment faire pour en arriver là ? Pour arriver où ? Pour arriver à mettre fin à ce phénomène d’infiltration des institutions du pays par des forces prédatrices et criminogènes?

L’une des façons de gérer cette petite victoire, c’est de rester mobilisé, de poursuivre les marches, de rejoindre régulièrement la rue pour exiger le nettoyage de ces institutions des adversaires extérieurs et de ceux de l’intérieur, sans xénophobie. Tel devrait être l’enjeu majeur de toutes ces mobilisations. Pourquoi ? L’infiltration des institutions kongolaises depuis plus de deux décennies sert un objectif stratégique de la guerre orchestrée par les globalistes apatrides contre le pays de Lumumba pour le transformer en un « Etat-raté-manqué »(1), le dépeupler en tuant ses filles et ses fils, le détruire comme nation souveraine, et participer à sa balkanisation et à son implosion au cours d’un long processus de « chaos contrôlé ». Les élections, plusieurs textes produits et accords signés au cours de ce processus ne l’ont été que pour servir, souvent subrepticement, cet objectif.

Tel est le contexte dans lequel l’expression du « bout des lèvres » prend tout son sens. Donc, les parrains de Kagame soutiennent, du bout des lèvres, les principes de la souveraineté et de l’intangibilité des frontières du Kongo-Kinshasa. Ce n’est pas cela leur objectif stratégique sur le moyen et le long terme. Les plus avertis et les plus lucides d’entre nous savent qu’il est rare qu’ils acceptent, de leur propre gré, que leur proie se remette debout lorsque les rapports de force leur sont favorables.

Les masses populaires et les opiums

Malheureusement, au cours de certains débats kongolais, les élections, les textes écrits et les accords signés au cours de ce processus d’infiltration servent encore de références pour justifier sa perpétuation par les agents des globalistes apatrides. Ces débats peuvent désorienter les masses populaires dans la mesure où ils recourent à des textes et des processus piégés. En sus, il arrive même que certains principes suffisamment rationnels contenus dans ces textes ne soient pas du tout respectés.

Dans ce pays, « l’évangile de la prospérité » facile et « la musique de la chance eloko pamba » sont des opiums annihilant les efforts des luttes citoyennes pour un devenir collectif différent.

Dans ce contexte, les masses populaires désorientées ne savent plus à quel saint se vouer. Elles relâchent la mobilisation et se laissent prendre au piège des opiums de « l’évangile et de la musique de la prospérité » avilissante et abrutissante. « L’évangile de la prospérité » s’empare ces masses pour leur apprendre que sans des luttes remettant en question et profondément les injustices sociales et la guerre, « Nzambe a kokita mpo asala makamuisi » (Dieu va descendre du ciel pour opérer des miracles).

« La musique de la prospérité » dénature des jeunes filles et des jeunes garçons. Elle leur impose de changer de peau pour correspondre aux humains imaginairement « réussis », roulant dans les grosses voitures, dormant sur des grands lits de rêve, buvant du champagne et facilement amoureux de belles créateurs. Elle les plonge dans le déni du réel et dans la philosophie de « chance eloko pamba », c’est-à-dire d’une vie qui finit par tout offrir, par chance, sans que des efforts conséquents aient été déployés.

Cette philosophie détruit la vie de plusieurs de ces jeunes dans un pays où la sous-éducation bat des records. Certains se retrouvent dans la rue, prennent les machettes et sont prêts à tuer pour avoir accès à « la prospérité ». Cette philosophie encourage la culture de la mort au nom des « bintu », des « choses » et au dépend de la sacralité de la vie. Ses partisans ont fait de leurs orchestres, à quelques exceptions près, des entreprises génératrices de la mort, de la bêtise et de la connerie.

Dans ce pays, « l’évangile de la prospérité » facile et « la musique de la chance eloko pamba » sont des opiums annihilant les efforts des luttes citoyennes pour un devenir collectif différent. Ces deux opiums et le football me semblent être nuisibles pour une mobilisation persévérante des masses populaires. Ils ont un penchant dévoyant très prononcé. Que faire ?

Que faire

Etre intelligent n’est pas un acquis. Cela n’a rien avec le nombre de diplômes accumulés ou des livres publiés. Etre intelligent, c’est, entre autres, être capable de mobiliser sa capacité de compréhension, d’analyse critique et de penser pour trouver des pistes de solution aux questions que pose la vie. La sienne ou celle de la cité.

L’essentiel, c’est de créer des lieux où les citoyens peuvent, en petit nombre, échanger de façon argumentée -rationnelle et raisonnable-pour arriver à un consensus ne pouvant pas être trahi parce que fondé sur un principe intangible : le respect du « diyi », de la Parole donnée et partagée.

Il n’est pas possible d’exercer cette faculté à tout moment. Ainsi, arrive-t-il aux plus instruits de commettre des bêtises ou des conneries (2). Pour éviter cela, la mobilisation de l’intelligence collective est une piste essentielle. Surtout pour des questions liées à la gestion collective de la cité.

Mobiliser l’intelligence collective à partir de la base, de « tutunga », des pays miniaturisés ayant la palabre comme mode d’échanges privilégié dans la mesure où elle met un accent particulier sur la participation collective, la délibération et les décisions prises à l’unanimité. Ceci pourrait défavoriser la prise en otage du peuple par les agents du globalisme apatride.

Dans ma ville natale, cette palabre, ces masambakanyi, avait comme objectif primordial de créer « le diyi dimue », une parole donnée et partagée consensuellement et servant de principe intangible. Les participants aux masambakanyi , femmes et hommes confoondus, avait un cri de ralliement ; « Luluwa diyi, diyi dimue. muamba balume, mmuamba bakaji ; muamba bakaji, mmuamba balume » (Luluwa, une et une seul parole ; ce que disent (ou diront les hommes), c’est ce que disent (ou diront les femmes) et vice versa.) Face aux questions de vie ou de mort, ce cri de ralliement servait à la mobilisation de l’intelligence collective dans le respect de la parole donnée et partagée.

Le respect du « diyi », de « la Parole » transmise de génération en génération, a permis aux congénères de résister à bien des adversités.

Produire et démultiplier les lieux de la palabre kongolaise, cela est indispensable à la production de l’intelligence collective. L’église catholique kongolaise a une recette qu’elle peut partager avec les compatriotes intéressés par la question. Ce sont ces Communautés ecclésiales vivantes de base. Ces petites communautés à taille humaine popularisée dans un esprit oecuménique peuvent devenir des creusets à l’intelligence collective si la palabre et ses principes y sont promus.

L’essentiel ici n’est pas de se limiter au modèle ecclésial, c’est de créer des lieux où les citoyens peuvent, en petit nombre, échanger de façon argumentée -rationnelle et raisonnable-pour arriver à un consensus ne pouvant pas être trahi parce que fondé sur un principe intangible : le respect du « diyi », de la Parole donnée et partagée.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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1. Lire J.-P. MBELU, La fabrique d’un Etat raté, Paris, Congo Lobi Lelo, 2021.
2. Lire J. GENEREUX, La déconnomie. Quand l’empire de la bêtise surpasse celle de l’argent, Paris, Seuil, 2016.

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