Par Jean-Pierre Mbelu
« Orwell craignait que ce que nous haïssons nous détruise. Huxley redoutait que cette destruction nous vienne plutôt de ce que nous aimons. » – POSTMAN
Une certaine approche identifiant la communauté dite « internationale » au seul bloc de l’Occident collectif pousse certains compatriotes à croire naïvement que son silence sur « le génocide kongolais » signifie que tous les peuples du monde ont abandonné le pays de Lumumba. Souvent, ce genre de compatriotes évitent de confronter ce qu’ils clament tout haut aux faits et de placer ceux-ci dans une perspective historique assez longue.
Revenir aux luttes menées par les Pères et les Mères de l’indépendance formelle du pays aurait pu les aider à comprendre que les Kongolais n’ont pas toujours été seuls. Le Sud global a toujours été à leurs côtés. Les dernières prises de positions des membres de ce Sud global au sujet du « M23 » et des sanctions contre l’achat d’armes par le pays en disent long.
Deux Tweets
Actuellement, face à l’intensification de la guerre raciste de prédation et de basse intensité orchestrée par les parrains du Rwanda et de l’Ouganda, des voix s’élèvent au Conseil de sécurité pour soutenir le Kongo-Kinshasa dans ses efforts déployés en vue d’avoir accès aux armes afin d’assurer la sécurité de son territoire. (Même si la question de l’infiltration de l’armée et des services de renseignent peine encore à être réglée!) Deux Tweets du journaliste Stanis Bujakera Tshiamala conforte notre thèse.
Ces compatriotes voulant esseuler le Kongo-Kinshasa sur la scène mondiale rejettent la possibilité offerte à ce pays de diversifier son partenariat stratégique et/ou de travailler avec des partenaires de son choix au nom des « intérêts » que ces derniers poursuivraient. Et pourtant, ils font souvent partie de ceux qui soutiennent qu’entre les Etats, il n’y a pas d’amitié, il n’y a que des intérêts.
Voici le premier : « Selon Pékin s’appuyant sur plusieurs sources, le M23 détient des armes »plus sophistiquées » que la RDC. La Chine appelle donc pour la levée du système de notification pour la RDC sur l’achat des armes. » Et le deuxième : «Nous (la Russie) sommes également favorable à rectifier rapidement le régime des sanctions visant le gouvernement dans l’objectif de permettre au secteur de se renforcer. »
Donc, ces deux Tweets démentent la thèse selon laquelle les Kongolais se battent seuls contre le monde entier. Cependant, il arrive qu’inviter ses tenants à regarder vers le Sud global luttant aux côtés des Kongolais revienne à s’entendre dire : « La Chine et la Russie cherchent elles aussi leurs intérêts. » Curieux !
Ces compatriotes voulant esseuler le Kongo-Kinshasa sur la scène mondiale rejettent la possibilité offerte à ce pays de diversifier son partenariat stratégique et/ou de travailler avec des partenaires de son choix au nom des « intérêts » que ces derniers poursuivraient. Et pourtant, ils font souvent partie de ceux qui soutiennent qu’entre les Etats, il n’y a pas d’amitié, il n’y a que des intérêts (sic). Comment expliquer cette contradiction ?
Dire une chose et son contraire. Apprendre des autres.
Pourquoi ces compatriotes disent-ils une chose et son contraire ? Je ne le soulignerai jamais assez. L’une des raisons est la désorientation existentielle créée après l’assassinat de Patrice-Eméry Lumumba. Cet assassinat agit comme un frein dans l’inconscient de plusieurs compatriotes. Ils estiment que diversifier le partenariat stratégique et/ou travailler avec les partenaires de son choix serait préjudiciable pour « les gouvernants » kongolais et pour le pays. Ils pourraient être tués et leur mort plongerait le pays dans le chaos. La désorientation existentielle, la peur de la mort et du chaos peuvent justifier cette contradiction.
Donc, l’esseulement du Kongo-Kinshasa sur la scène mondiale peut être une tactique (consciente et/ou inconsciente) d’insularisation par refus volontaire d’apprendre des autres sur le temps long. La non-connaissance des partenaires d’hier et d’aujourd’hui et des principes sur fond desquels ils poursuivent leurs intérêts peut être évoquée pour comprendre cet esseulement.
Il n’y a pas que ça. Il y a aussi le refus d’apprendre des autres peuples et de l’histoire. Et surtout des peuples du Sud Global. Le Cuba, la Bolivie et le Venezuela tiennent le coup après avoir opté pour la diversification de leur partenariat stratégique. Ils ont eu la chance d’avoir mobilisé de grands mouvements de libération nationale, un leadership collectif courageux et des leaders politiques clairvoyants et lucides. Leurs peuples luttants ont appris, en conscience, sur le tas et à l’école, que l’indépendance et la souveraineté réelles ont un prix. Il y a un sérieux apprentissage à faire auprès de ces peuples sur le court, moyen et long terme.
A titre illustratif, trois livres peuvent être utiles à cet apprentissage :
M. COLLON, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’Action, 2009
N. CHOMSKY, Futurs proches. Liberté, indépendance et impérialisme au XXIe siècle, Paris, Lux, 2010
H. CHAVEZ, Ma première vie. Conversations avec Ignacio Ramonet, Paris, Galilée, 2015
Donc, l’esseulement du Kongo-Kinshasa sur la scène mondiale peut être une tactique (consciente et/ou inconsciente) d’insularisation par refus volontaire d’apprendre des autres sur le temps long.
La non-connaissance des partenaires d’hier et d’aujourd’hui et des principes sur fond desquels ils poursuivent leurs intérêts peut être évoquée pour comprendre cet esseulement. A ce point nommé, il est souhaitable de connaître les différentes façons dont les grandes puissances interagissent pour pouvoir tirer son épingle du jeu. « La Chine met l’accent sur les principes de respect mutuel, de bénéfice mutuel et de co-bénéfice, tandis que les Etats-Unis donnent la priorité aux questions relevant des droits de l’homme et la démocratie (des « mots corrompus » ndr) et accusent (…) d’autres pays d’être des dictatures, ce que beaucoup (…) n’acceptent plus. »
La Russie, elle, est contre l’ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat tiers et le respect du principe de l’égale souveraineté. Ne pas comprendre que la poursuite des intérêts peut être fondé sur le respect mutuel, sur la confiance mutuelle, sur l’amitié , cela peut contribuer au repli sur soi et au rejet de toute altérité. Or, dans un monde de plus en plus interdépendant, cela peut se révéler collectivement suicidaire. Même au cas où ils ne faudrait pas idéaliser »les anciens-nouveaux partenaires » et compter d’abord sur une Afrique des fédérations unie et forte. Il y a d’abord et il y a ensuite et des choix à opérer tout en questionnant l’histoire du « chaos contrôlé » toujours remis au goût du jour. (Lire M. COLLON et G. LALIEU, La stratégie dhu chaos. Impérialisme et islam. Entretien avec Mohamed Hassan, Bruxelles, Investig’Action, 2014)
Ailleurs, en Afrique, le Mali a compris qu’il est possible de partir d’un minimum de principes pour s’ouvrir à l’altérité. Il s’est inscrit dans la lignée des initiateurs du panafricanisme en stipulant :
1. Il ne coopère qu’avec des partenaires qui respectent sa souveraineté ;
2. Il a le pouvoir de choisir librement ses partenaires stratégiques ;
3. Le Mali ne coopère qu’avec ceux qui respectent son droit de poursuivre lui-même les intérêts de son peuple. (Ecouter Franklin Nyamsi wa Kamerun dans sa vidéo intitulée « Pourquoi l’Occident veut-il empêcher l’Afrique de commercer avec la Russie ? Logique du veau d’or »)
Voilà, fort de ces principes, le Mali peut s’ouvrir aux autres dans leur diversité dans le respect mutuel et en essayant de rompre avec toutes les formes de soumission et d’assujettissement. Une tâche ardue dans un monde où le passage de l’unipolarité à la multipolarité s’enfante dans la douleur !
Il ne pourrait pas être surprenant que dans un futur proche, le Mali devienne membre de la Banque des Brics dont la capitale africaine est à Bangui pour se choisir des partenaires stratégiques économico-financiers pouvant l’accompagner dans sa véritable quête d’ indépendance et de souveraineté monétaires. (Cela dans la mesure où une indépendance politique sans monnaie souveraine pourrait être la proie facile des puissances ayant exterritorialisé leur droit et capables d’ester en justice contre les pays utilisant leur monnaie.) (Lire F. PIERUCCI et MATTHIEU ARON, Le piège américain. L’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique témoigne, Pris, JCLattès, 2019)
Donc, petit à petit, certains pays africains sont en train de comprendre et de mettre en pratique des stratégies pouvant leur permettre de mieux se battre dans un monde à la fois multipolaire et interdépendant.
Une petite conclusion
Avec Robin Philpot, je suis de plus en plus convaincu que le monde multipolaire pourrait être une chance pour le Kongo-Kinshasa. (Un monde multipolaire : Un plus pour l’Afrique – Le cas de la République démocratique du Congo (reseauinternational.net) ) Ce pays pourrait se faciliter la tâche en « copiant » les principes maliens tout en les adaptant à son contexte.
L’indépendance et la souveraineté réelles ont un prix. Au pays de Lumumba, les masses kongolaises éveillées , surtout les jeunes, se politisent de plus en plus et sont sur une bonne voie. Elles doivent davantage peser dans les rapports de force face aux « gouvernants » du moment afin qu’elles s’affirment comme étant « le véritable souverain ».
En effet, la bêtise du « M23 » a permis, dans une certaine mesure, une relecture collective de l’histoire du pays de trois dernières décennies. Cette relecture devrait devenir quelque chose de permanent, immortalisé par l’érection des monuments en hommage aux victimes kongolaises de la guerre raciste de prédation et de basse intensité sévissant au pays. Encore faudrait-il que cela le sorte du néocolonialisme et de la négritude de service. Ce n’est pas facile.
L’indépendance et la souveraineté réelles ont un prix. Au pays de Lumumba, les masses kongolaises éveillées , surtout les jeunes, se politisent de plus en plus et sont sur une bonne voie. Elles doivent davantage peser dans les rapports de force face aux « gouvernants » du moment afin qu’elles s’affirment comme étant « le véritable souverain ». Même s’il y a encore des croyances illusoires et naïves à revisiter, l’ insularisation et l’esseulement du pays à juguler, l’éthique « reconstructive » et celle de « la bonne guerre », celle contre soi pour être désarmé de son égocentrisme, de sa convoitise et de son avidité et pour « la common decency », à étoffer davantage…
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961