L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte ce que le débat autour du traité de Nice nous apprend sur nous et sur le véritable combat sur nous-mêmes que nous devons mener et gagner, explique pourquoi notre combat donne des signes de fatigue et appelle les minorités organisées à prendre les devant de la scène, les autres n’auront qu’à suivre: « Pour changer le monde, ce sont les minorités qui agissent et non les majorités à esprit moutonnier! »
Sur le débat autour du traité de Nice
Le côté positif du débat qui s’en est suivi et que sur les questions concernant notre devenir collectif, il n’y a plus de tabou. Il est important que nous puissions débattre de tout. Mais tout est dans la manière. Le complexe d’infériorité qui nous a été inoculé par le néocolonialisme a créé en nous une haine terrible, une haine du congolais à l’endroit du congolais, une haine de la congolaise à l’endroit de la congolaise. Voilà une guerre que nous devons mener : arriver à désarmer en nous tous ces sentiments liés à nos égoïsme, égocentrisme et cupidité.
Sur le sens des débats
Nous devons débattre sans que l’essentiel ne soit compromis. L’essentiel pour nous, c’est notre unité, notre nationalisme, la protection de notre terre. Or certains débats qui surgissent chez nous, sont fondés sur aucune valeur sérieuse.
Il y a des débats qui ne sont que des prétextes sur lesquels nous sautons pour faire triompher nos égoïsmes, égocentrismes et cupidités. Et là, nous faisons le jeu de ceux qui veulent nous voir divisés pour mieux régner.
En suivant les débats sur le traité de Nice, j’ai eu honte et j’ai eu peur. J’ai eu peur que demain nous ne soyons pas capables, pour certains d’entre nous, de débattre sereinement. On y a ressuscité des questions supposées réglées il y a 50 ans. J’ai peur que notre unité et notre nationalisme ne soient que de façade, et ne puisse pas être un nationalisme de cœur et d’esprit.
Sur les signaux de fatigue de notre combat
J’ai l’impression que nous donnons de signaux de fatigue. Des signaux de fatigue, parce que nous n’avons pas bien approfondi la nature de la guerre qui nous est menée. Nous avions cru que nous allions l’emporter sur les acteurs majeurs et pléniers de cette guerre rapidement. Et comme la guerre traîne, nous sommes fatigués et nous commençons à nous tirer dessus. Ce qui constitue visiblement une grande faiblesse.
Là où il y a des hommes, il y a toujours des misères, mais la question est de savoir comment nous congolais, épris du désir de notre Congo, nous pouvons organiser des lieux d’apprentissage de la gestion des conflits.
Sur nos méconnaissances et méfiances mutuelles entre Congolais
Nous devrions mettre en place des lieux et des structures de débats permanents entre nous. Nous congolais, nous ne nous connaissons pas assez, parce qu’il n’y a pas eu des autoroutes et des routes de communication et de télécommunication qui nous aient permis de rentrer profondément en contact les uns avec les autres. C’est vrai qu’il y a eu certains mixages, certaines rencontres au niveau de la fonction publique, mais tout cela ne nous a permis de nous connaître profondément. Cela explique ces sentiments mutuels de méfiance.
Le Congo de demain, s’il veut sortir de ce bourbier du tribalisme, doit créer des autoroutes et routes de communication et de télécommunication pouvant favoriser un métissage qui nous permette d’asseoir notre unité et nationalisme sur des idéologies politiques concrètes.
Sur la fragilité de notre unité et nationalisme
Notre unité et notre nationalisme sont encore fragiles parce que les autoroutes de communication n’ont été favorisées depuis les années 1960. Si nous ne réussissons pas à nous désarmer au niveau de nous-mêmes, au niveau de nos cœurs et de nos esprits, nous pourrons accuser l’extérieur, mais cela ne changera rien à notre pays.
Sur le rôle de nos minorités organisées
La question du traité de Nice, c’est aussi celle de l’identification de ceux qui pourront demain aider certains de nos acteurs politiques à pouvoir renverser les rapports de force. Et ce ne seront pas les gens qui agiront de l’extérieur qui aideront notre pays à renverser ces rapports de force. Ce sera les minorités organisées et agissantes qui vont à la rencontre de nos masses populaires, qui vont essayer de créer une synergie vivante et agissante avec ces masses qui viendront à bout de cette guerre de basse intensité et des errances dans lesquels nombre d’entre nous sont engagés aujourd’hui.
Sur les questions de tribalisme au niveau de l’Etat
Quand on est faible, quand on est sans argument, quand on est tombé dans la cupidité et l’égocentrisme, on cherche des appuis faibles comme la tribu. Il y a un problème de valeurs et d’éthique qui se pose. Il n’y pas de lieux de contrôle et de remise en question de la gestion du pays chez nous. Ainsi du point de vue politique, nous n’avons même pas un début d’Etat…
Sur notre faiblesse majeure
Nous avons un travail à mener sur le long terme et dans l’humilité pour que nous puissions apprendre à passer le relais. Notre faiblesse est de chercher à lutter et à avoir les résultats de notre lutte ici et maintenant. Et cela nous conduit à la cupidité et à la haine des autres.
Sur la communauté congolaise
Il faut se rendre à l’évidence que la communauté congolaise est constituée de castes et de classes. Il y a des castes dominantes qui, aujourd’hui, ne veulent pas du tout entendre parler de la perte de leur pouvoir. Et si nous n’ouvrons pas nos yeux sur cette réalité, nous risquons de mal lutter.
Mais aussi…
Sur le pêché originel dont nous souffrons
Le pêché originel dont nous souffrons jusqu’à ce jour, c’est l’assassinat de Patrice Emery Lumumba. Et ce sont ces mêmes acteurs pléniers, qui ont assassiné Lumumba pour des raisons économiques et financières, qui continuent à mener la barque aujourd’hui.
Il n’y a pas de politique au Congo. Des sociétés multinationales et transnationales ont choisi depuis les années 1960 ont choisi de s’emparer de nos terres, et de faire de notre pays un réservoir de matières premières. Pour cela, ils créent des marionnettes à tour de rôle.
Sur la réunion de l’assemblée des parlementaires des pays des Grands Lacs, clôturée le 24 janvier 2013
Ce genre de rencontres participe de la théâtralisation de la mort et de la prédation chez nous… Nous devrions avoir honte nous africains de nous tirer dessus, de nous entretuer au lieu d’aller dans le sens de ceux que d’autres sont en train de faire pour respecter, comme les Etats de la Communauté des Etats Latino-Américains et des Caraïbes (CELAC). Nous devrions avoir honte de toutes ces rencontres qui ne contribuent pas à la véritable unité de l’Afrique.
Sur nos problématiques géostratégiques
L’un de nos problèmes sérieux aujourd’hui est que l’Afrique ne travaille pas avec des axes géostratégiques qui comptent. Si l’Afrique décidait de travailler avec le Brésil, l’Inde, la Russie, la Chine et l’Afrique du Sud qui nous a déjà devancé, et si l’Afrique réussissait son intégration régionale pour aller de plus en plus vers le panafricanisme des peuples, ce serait une solution qui pourrait mettre fin à toutes ces guerres de basse intensité qui nous sont menées… Mais il y aura des gens comme les Kagamé, les Museveni et les Kabila qui chercheront à torpiller tout ce qui pourrait faire que les Africains puissent s’unir et peser dans la balance des grands centres du monde.
Sur le Congo de demain
Aujourd’hui le monde est polycentré. Même les Etats-Unis ne pourront plus rien faire seul aujourd’hui. Mais pourquoi le Congo ne pourrait pas travailler avec les pays de l’Afrique australe pour devenir un pays fort, qui s’ouvre aux autres et crée une intégration régionale pour résister aux attaques de l’extérieur.
Si nous avons des africains intelligents qui comprennent qu’ils peuvent s’engouffrer dans cette brèche qui s’ouvre avec les BRICS, l’Afrique peut connaître un avenir radieux, qu’il finira par connaître de toute façon, parce qu’il est incontournable dans la géopolitique de demain.
Sur les Congolais et les alliances avec le M23
Il y a une grande part d’inconscience chez nos compatriotes qui lient des alliances avec le M23 en oubliant que le M23 est une création de Paul Kagamé, qui est un sous-traitant des acteurs pléniers de la guerre qui nous est menée, une guerre qui a déjà fait plus de 6 millions de morts.