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Les kidnappeurs kongolais ont pris « dieu » à témoin!

Les kidnappeurs kongolais ont pris « dieu » à témoin!

Les kidnappeurs kongolais ont pris « dieu » à témoin! 1200 675 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon. » – Matthieu 6,24

Au cours de leur procès, prenant « dieu » à témoin, quelques kidnappeurs niaient leurs forfaits. Ils niaient les faits et les traces laissées par leurs crimes. Pourquoi ont-ils éprouvé ce besoin de recourir à « dieu » pour échapper à la justice rendue par les hommes ?

Pour quelques raisons possibles

Pour plusieurs raisons possibles. Ils peuvent avoir expérimenté les limites injustes de cette justice rendue par les hommes, envoyant « les petits » en prison tout en protégeant « les grands » l’ayant corrompue et/ou la manipulant à leur seul et unique profit. Ne se fiant plus à cette justice condamnant « les Big boys » (kidnappeurs) et laissant libres les « Big bosses » (kulunas en cravate) qui sont leurs complices, ces kidnappeurs ont peut-être voulu compter sur « Celui qui sonde les coeurs et les reins ». Nier les faits en prenant « dieu » à témoin serait alors une tactique pour inviter cette justice rendue par les hommes à aller un peu plus loin dans ses investigations et à devenir juste et pour « les grands » et pour « les petits », à rompre avec sa discrimination coupable.

D’ailleurs, des « Big boys » avaient, au cours de leur procès public, solliciter qu’on leur accorde cinq minutes pour qu’ils disent toute la vérité sur leur kidnapping. Ont-ils eu ces cinq minutes ? Car, aux dernières nouvelles, en rapport avec le kidnapping à Kinshasa, « l’Auditeur Général des forces armées a ordonné l’arrestation de l’Auditeur de garnison de Kinshasa-Gombe, un lieutenant colonel», écrit le journaliste Pascal Mulegwa sur Twitter.

Prendre « dieu » à témoin au cours d’un procès pour des crimes reconnus peut être un subterfuge pour simuler l’innocence après avoir échangé avec « les avocats de la défense ».

Qui est ce « dieu » manipulable des kidnappeurs ?

Se pose alors la question de savoir qui est ce « dieu » manipulable ? Est-il « celui » de « l’Evangile de la prospérité » enseigné au pays par plusieurs pasteurs, toutes tendances confondues? Celui qui accorde les biens de ce monde à ses « élus » en se servant de n’importe quel canal (le vol, la tricherie, le mensonge, la violence, les assassinats, etc.) et qui les prive aux « pécheurs », c’est-à-dire ceux qui privilégient l’être par rapport à l’avoir, qui partagent et sont solidaires sans se mettre en vedette ou ceux qui en sont dépourvus dans une société sans solidarité nationale, fondée sur des inégalités criantes et la réification de l’humain ?

Le mode de vie des « Big boys », ces jeunes kidnappeurs, peut être un révélateur du « dieu » en lequel ils croient. Donc, l’usage du mot « dieu » pose le problème de sa contextualisation, du moment et du lieu de son usage ou de la tradition l’ ayant transmis.

Qui est ce « dieu »? Ne serait-il pas « Mammon »? Comment faire pour l’identifier? Un indice : le mode de vie des « Big boys », ces jeunes kidnappeurs, peut être un révélateur du « dieu » en lequel ils croient. Donc, l’usage du mot « dieu » pose le problème de sa contextualisation, du moment et du lieu de son usage ou de la tradition l’ ayant transmis.

En fait, l’usage des mots n’est pas toujours innocent. Pour plusieurs disciples du Nazaréen, Jésus, la réification haineuse de l’humain créé à l’image et à la ressemblance de « dieu », le choix de l’hédonisme, cette jouissance compulsive et consumériste des biens de ce monde, tout cela dit une option : le service rendu à « Mammon ».

Le visage de ce « dieu » est différent de celui révélé par le Nazaréen, Jésus. Lui, il est Amour et génère l’amour fraternel. « Bien-aimés, écrit St Jean, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. » 1Jn4,7-8).

La question de la réception de la Bible

Dans un pays à pays où 80% d’habitants se promènent avec la Bible sous les aisselles, la question de la réception de la parole qu’elle contient et surtout de son interprétation reste posée. « Dis-moi comment tu vis et je te dirai en quel « dieu » tu crois », peut être une invitation permanente lancée à ceux et celles qui croient en « dieu ». Pourquoi ? Parce que le discours religieux est un ensemble d’énoncés performatifs. Ceux-ci ne valent la peine d’être de véritables actes de langage que dans la mesure où ils accomplissent ce qu’ils disent. Donc, croire en un « dieu » qui est Amour et source de l’ amour, affirmer qu’on est né (de nouveau) de lui et qu’on le connaît se vérifie au quotidien dans l’amour fraternel.

Le discours religieux est un ensemble d’énoncés performatifs. Ceux-ci ne valent la peine d’être de véritables actes de langage que dans la mesure où ils accomplissent ce qu’ils disent.

Connaître « dieu », dans ce contexte, n’a rien à voir avec un savoir intellectuel ou avec une bonne mémorisation des versets bibliques. Ce verbe signifie profondément partager l’intimité de l’être connu. Or, dire que « dieu » est Amour et qu’on le connaît, cela signifie que l’on vit de l’amour.

D’ailleurs, St Jean le dit en des termes très explicites : « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine pour son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. »

Et plus loin, St Jean ajoute, « Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. » (1Jn5,2)

Aimer Dieu (Amour) et accomplir ses commandements, cela aide à la création des espaces sécurisants pour les uns et les autres. Formulés « négativement », ces commandements (Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, Tu ne convoiteras pas, etc.) mettent des limites à la tentation de la démesure humaine afin de rendre la bienveillance et la confiance mutuelle possible. Et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est à la fois « un impératif » et « un participatif ». Ce commandement peut signifier : « Fais l’effort de devenir celui qui est capable de s’ouvrir à autrui pour l’aider et le soutenir sans retour. Autrui est comme toi ; il incarne comme toi l’être-humain ; il est engagé comme toi à faire réussir l’identité humaine en lui ; accorde-lui donc des conditions d’épanouissement de cette identité. Tu sais que ces conditions sont la liberté, la sécurité, le respect, la reconnaissance, etc. Tu les exiges légitimement pour toi. Il est donc légitime que tu les lui procures également.[1]»

Des conditions d’épanouissement de l’identité humaine

Produire des conditions d’épanouissement de l’identité humaine est à la fois une question culturelle, religieuse et politique. Il devrait, en principe, y avoir une interaction permanente entre ces trois domaines de la vie (le culturel, le religieux (spirituel) et le politique).

Produire des conditions d’épanouissement de l’identité humaine est à la fois une question culturelle, religieuse et politique.

Malheureusement, leur rationalisation utilitariste les a séparés au point de créer régulièrement des rapports antagonistiques entre eux . La rationalisation utilitariste les a colonisés afin de les mettre au service d’une approche marchande du monde, des choses et des humains. Dorénavant, ces humains atomisés et entraînés dans la guerre de tous contre tous sont souvent placés devant un choix très difficile: faire leur reliance, produire le lien social et le soigner en ayant le culturel, le spirituel et le politique comme matrice organisationnelle ou accepter les passions hédonistes (la haine, la violence, la méchanceté ; le crime) afin de faire la promotion de l’hégémonie néolibérale dominante. On pourrait aussi dire qu’il sont régulièrement sommés de choisir entre Dieu et Mammon. C’est-à-dire entre le service à se rendre mutuellement au nom de l’Amour entendu comme Source la vie, comme accueil de l’autre, bienveillance, générosité, partage et échange ) et Mammon (comme argent, avoir, et biens de ce monde à avoir ici et maintenant pour en jouir compulsivement en en dépouillant les humains jugés inutiles et jetables pour la religion du marché ayant comme principes fondamentaux la concurrence et la compétitivité, la guerre atomisante de tous contre tous.)

Guider ce difficile choix, l’orienter, le cultiver, l’éduquer de façon qu’il soit mis au service des forces de la vie et/ou du conflit fraternel maîtrisé, tel est le rôle des hommes et femmes de culture, des « religieux-spirituels » et des « hommes d’Etat » justes (et non « des politiciens »). (« Les hommes d’Etat » pensent à la prochaine génération et  »les politiciens » à la prochaine élection, dit-on).

Conclusion

Le procès public des kidnappeurs kongolais comme certains de ceux qui l’ont précédé sont des moments où la désorientation existentielle de la société kongolaise est mise à nu. Il dit ses faiblesses institutionnelles et structurelles. Il est un appel à refonder cette société sur les véritables marqueurs de l’identité humaine, à en faire les valeurs structurantes. Ce procès questionne l’usage fait collectivement du nom de « dieu » et des traditions qui l’enseignent et le transmettent.

Le procès public des kidnappeurs kongolais comme certains de ceux qui l’ont précédé sont des moments où la désorientation existentielle de la société kongolaise est mise à nu. Il dit ses faiblesses institutionnelles et structurelles. Il est un appel à refonder cette société sur les véritables marqueurs de l’identité humaine, à en faire les valeurs structurantes.

Le nom de « dieu » est tellement évoqué au Kongo-Kinshasa, « dieu » est tellement pris à témoin dans tout ce qui se fait dans ce pays au point que vérifier la performativité de tous les énoncés de langage où il est évoqué devrait devenir un devoir citoyen pour les philosophes du langage, les philosophes analytiques, les herméneutes, les critiques littéraires, les historiens de religions kongolais, etc.

La peur serait que « dieu » ne soit un « autre nom » de nos irresponsabilités collectives et de nos refus d’engagement pour bâtir un pays plus beau qu’avant. La peur serait que « dieu » ne soit « un autre nom » pour camoufler les processus chaotiques de notre émancipation politique, de notre justice injuste et de nos lâchetés vis-à-vis de l’éthique reconstructive.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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[1] A. ABECASSIS, « En vérité, je vous le dis ». Une lecture juive des Evangiles, Paris, Editions1, p. 62.

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