Par Mufoncol Tshiyoyo
« La tâche propre de notre génération est d’assumer le conflit mondial actuel après l’avoir reconnu, afin de lui livrer combat, de le régler. »
– Théophile Obenga, 1973
Depuis 1885, puisqu’il faut commencer quelque part pour le besoin de l’histoire, le Congo sert de lieu de mise en scène de l’Histoire des Autres, celle que les populations locales « vivent » par délégation. Avec le temps, la Belgique qui a engendré des émules n’a plus à rougir seule de son passé au Congo.
Après le règne sans conteste du roi des Belges Léopold II, derrière lequel l’Occident s’est toujours caché, le Britannique Tony Blair et l’Américain Bill Clinton se lancent dans une aventure commune au Congo et dans les Grands Lacs. Ce que partagent les deux en commun avec Léopold II sont la forme et le fond de leurs actions au Congo.
La Grande-Bretagne et les USA derrière Tony Blair et les Clinton
Léopold II fonda d’abord une association qui lui ouvrît plus tard de nombreuses sources de financement. Pendant qu’il était encore un roi régnant, en fonction, les institutions du Royaume de la Belgique défendirent et soutinrent sans atermoiement ses initiatives coloniales. Si l’Occident constitua sa première source de financement, son entreprise coloniale a complètement été financée de l’intérieur du Congo et par la corvée de l’homme congolais. L’héritage de Léopold II ne se résume pas qu’à travers la formation des institutions d’accompagnement, mais il est également d’ordre spirituel, notamment dans la conception, la considération et le traitement réservés aussi bien aux agents nègres locaux de normalisation de l’exploitation qu’aux populations à dominer.
Pourquoi un État comme le Rwanda, pour ne citer que son cas, obéirait aux injonctions des individus, dont les actions seraient privées, en ce sens qu’elles n’auraient rien à voir avec les USA et la Grande-Bretagne ? Pourquoi le mercenariat rwandais s’engagerait, à la demande des Clinton et de Blair, dans une guerre contre le Congo sans que le Rwanda ne s’assurât de la protection militaire et sécuritaire et de l’Angleterre et des USA ?
Tony Blair et les Clinton sont à la tête de ce que le professeur russe Andrej Iljitsch Fursov désigne par le nom de « l’élite Anglo-américano-juive ». À l’instar de Léopold II, Tony Blair fonde avant tout une association dénommée « The Tony Blair Institute for Global Change”. La mise en place de l’association sera achevée par la naissance de la fondation « the Tony Blair Faith Fondation », que The Guardian, le journal britannique, a qualifié de « mystérieuse ». Les fondations de Blair et des Clinton sont financés par des pays africains.
Quant aux Clinton, la femme et l’homme enfantent « The Clinton Fondation ». À rebours de Léopold II, qui lui était encore au pouvoir quand il régnait sur le Congo, Blair et les Clinton créent leur association et fondation après avoir quitté le pouvoir. Toutefois, la Grande-Bretagne et les USA non seulement, se reconnaissent à travers les actions de Blair et de Clinton, mais les deux États mettent également leur puissance et institutions étatiques au service des deux mécènes dont les intérêts se confondent aux intérêts des deux pays susmentionnés.
Ce qui laisse entendre que la grande Bretagne et Tony Blair ne font qu’un. Les USA et les Clinton ne sont pas non pas dissociables. Sinon, on ne saura justifier autrement des engagements que les USA et la Grande-Bretagne assument dans les Grands Lacs. Pourquoi un État comme le Rwanda, pour ne citer que son cas, obéirait aux injonctions des individus, dont les actions seraient privées, en ce sens qu’elles n’auraient rien à voir avec les USA et la Grande-Bretagne ? Pourquoi le mercenariat rwandais s’engagerait, à la demande des Clinton et de Blair, dans une guerre contre le Congo sans que le Rwanda ne s’assurât de la protection militaire et sécuritaire et de l’Angleterre et des USA ?
Le génocide de l’adversaire
Léopold II, sous son instigation et encadrement, a généré un génocide des populations congolaises. Des siècles plus tard, le mercenariat à la solde de Tony Blair et des Clinton sous la couverture des USA et de la Grande-Bretagne ont entrepris un autre génocide. Bien que l’acte du génocide dans le contexte de la lutte imposée ne soit de prime abord à percevoir comme un but en soi, il reste un moyen par lequel le terroriste étatique se fabrique des masses à dominer. Nous ne leur reprocherons jamais un comportement relevant de leur métaphysique. Et, les incriminer, ce serait aussi une erreur de stratégie, immature, voire enfantin. C’est rentré dans le piège de la considération purement l’éthique quand on sait, en la matière, que c’est l’éthique du plus fort qui s’impose. « Le monde produira toujours des conflits, c’est la réalité de la vie, et il n’est pas possible qu’il existe un monde totalement harmonieux » (Zhao Tingyang, 2016, in Tianxia, tout sous un même ciel, tr.fr. 2018, Paris, les Éditions du Cerf, p. 34).
Léopold II, sous son instigation et encadrement, a généré un génocide des populations congolaises. Des siècles plus tard, le mercenariat à la solde de Tony Blair et des Clinton sous la couverture des USA et de la Grande-Bretagne ont entrepris un autre génocide. Bien que l’acte du génocide dans le contexte de la lutte imposée ne soit de prime abord à percevoir comme un but en soi, il reste un moyen par lequel le terroriste étatique se fabrique des masses à dominer.
Des propos qui corroborent l’affirmation reprise ci-dessus de Théophile Obenga nous invitant à « assumer le conflit mondial actuel, [seulement] après l’avoir reconnu, afin de lui livrer combat, de le régler » (Obenga, 1973 :448). Le génocide de l’adversaire appelle à une révision de notre perception de la lutte. Il devrait plus nous servir à comprendre que le pays est engagé dans une guerre. En face, il y a un adversaire. La notion de l’héritage de Léopold II signifie aussi que les populations locales n’existent pas comme réalité sociologique. Les populations congolaises sont des sujets de non-droits. D’où le besoin urgent de les faire encadrer par des agents nègres locaux dont la mission essentielle demeure la normalisation de la domination par toutes ses formes.
La pratique courante de la vie renseigne qu’il y a deux manières de lire l’histoire. L’histoire existentielle, celle dont on est soi-même à la fois l’« acteur » et « l’exécutant ». Nous faisons bien allusion à l’histoire sans médiation, sans médium, sans intermédiaire. C’est l’histoire des peuples, conscients de leur existence comme entité sociologique et géographique, portent leur « identité » avec autorité. La question de l’originalité de l’initiative à entreprendre dans le cadre de l’histoire existentielle détermine et explique le caractère de responsabilité souvent remarqué chez les populations engagées dans leur devenir.
À l’opposé se trouve « l’Histoire des Autres, l’Histoire par délégation, celle que s’approprient généralement les populations à dominer et déjà sous état de domination. L’Histoire par délégation agit sur les populations de telle sorte qu’elles ne s’aperçoivent de son caractère d’imposition (de la permanence de la « main invisible »). Le système repose tout le poids de l’exploitation sur les seuls fonctionnaires nègres locaux qui, par leur « gestion » du quotidien, participent de la déresponsabilisation du système. La participation des fonctionnaires nègres locaux, si seulement elle a lieu, reste d’apparence et d’apparat.
Aller au-delà de l’action de Lumumba
En Asie, le professeur russe Andrej Iljitsch Fursov déclare, au sujet des élites anglo-saxonnes, que « pour la première fois, l’élite anglo-américano-juive, qui s’était formée au cours des derniers siècles et est devenue une conquête organisationnelle historique de l’Occident, a été confrontée ici à un adversaire mondial d’un genre non-occidental […] le segment européen de l’élite occidentale se trouve en face d’un segment chinois pas moins ancien et peut-être même plus ancien, d’où il reçoit aussi l’expérience historique. Orienté tout autant vers les valeurs matérielles, le commerce et l’argent. Mais, ayant encore l’esprit très aventureux, car à l’évidence les Chinois ont leur propre système criminel mondial […] La mafia chinoise est probablement encore un peu plus violente que l’italienne » (Fursov, in Horizons et Débats).
Face aux mêmes adversaires, ce serait une erreur que de se fabriquer d’autres Lumumba. Puisque l’adversaire a étudié Lumumba. Il peut donc prétendre être familier à la nature de sa lutte. Et, pour l’avoir assassiné, il est à considérer que l’adversaire à maîtriser le genre de la lutte que Lumumba a mené à son temps. D’où, le sens de mon appel à aller au-delà de ce qui semble avoir été la nature de Lumumba.
On ne peut malheureusement en dire autant de la situation des Grands Lacs et de celle du Congo. Au Congo, « l’élite anglo-américaine- juive » se trouve seule maîtresse à bord. Elle n’a encore d’adversaires. Elle ne rencontre aucune adversité sur le terrain. Rien que des serviteurs. Et, zélés en plus ! La question, c’est comment se constituer une classe des conquérants et des peuples prêts à exister en lieu et à la place des présidents, des sénateurs, des députés, des opposants dont le propre est de se nourrir des discours encadrés.
Est-ce la peur qui motive leur compromission, leur collaboration, leur assujettissement ? Qu’avons-nous gagné depuis bientôt plus de 100 ans que le pays demeure sous anesthésie et contrôle des maîtres anglo-saxons ? Comment expliquerions-nous le fait que ces gens pondent des enfants au monde pour continuellement diriger les nôtres ? Au Congo, on aime « les valeurs matérielles, le commerce et l’argent », mais comme de simples jouisseurs au lieu de chercher à en produire, à les transformer, à les maîtriser.
De peur d’écrire un long texte, je conclus mon propos de ce jour en appelant à surpasser Lumumba. Une simple continuité de sa lutte démontre que l’homme Lumumba et sa lutte n’ont pas été bien cernés. Face aux mêmes adversaires, ce serait une erreur que de se fabriquer d’autres Lumumba. Puisque l’adversaire a étudié Lumumba. Il peut donc prétendre être familier à la nature de sa lutte. Et, pour l’avoir assassiné, il est à considérer que l’adversaire à maîtriser le genre de la lutte que Lumumba a mené à son temps. D’où, le sens de mon appel à aller au-delà de ce qui semble avoir été la nature de Lumumba. La combinaison du nationalisme « agressif » et du panafricanisme peut servir comme base de départ. Construire une « idéologie » pratique en face de l’idéologie propagande, le leitmotiv d’une nouvelle lutte. Votre combat n’est pas le nôtre. Le nôtre n’est pas non plus le vôtre.
(Réflexion à continuer)
Likambo oyo eza likambo ya mabele
Mufoncol Tshiyoyo
MT & Associates Consulting Group