Par Bénédicte Kumbi Ndjoko
A un moment on doit se demander si l’on ne fait pas soi-même partie de la caravane de la distraction.
Au fil des années, des petites chapelles se sont construites ayant à leurs têtes des prédicateurs et leurs bataillons de fidèles pour qui le Congo est devenu un sujet de distraction.
La clochardisation de la pensée
Tout est regardé, apprécié à la lumière de ce que disent ou font ceux qui se sont transformés en premiers acteurs de leur propre production théâtrale qui a pour thème le Congo. L’esprit critique a été jeté aux oubliettes au profit de l’immédiateté, du sensationnalisme, du lien subjugué. Ce qui est recherché c’est l’adrénaline partagée en communauté pour oublier la condition d’esclave dans laquelle nous sommes et dont nous avons de la peine à nous débarrasser. Alors on rit, on s’enivre de paroles et de photos pourvu que l’on fasse semblant de vivre, pourvu qu’à défaut de réellement exiger un vrai président et opérer la rupture, on fasse partie d’une écurie, que l’on ait un maître dresseur à même de matérialiser notre abîme.
Il ne s’agit plus de motiver les gens à se mobiliser, à réfléchir mais de compter son nombre d’amis, d’abonnés, regarder si l’on a bien amené la distraction du jour, si l’on se trouve toujours sous les feux de la rampe, le sujet de conversation central. L’étourdissement a peu à peu aussi acquis son taux du jour.
Il ne s’agit plus de motiver les gens à se mobiliser, à réfléchir mais de compter son nombre d’amis, d’abonnés, regarder si l’on a bien amené la distraction du jour, si l’on se trouve toujours sous les feux de la rampe, le sujet de conversation central. L’étourdissement a peu à peu aussi acquis son taux du jour. La clochardisation de la pensée est encouragée à coup de français ou d’anglais, ou du savant mélange du lingala à une langue étrangère, ou tout simplement à coup de lingala populiste et vulgaire afin de cacher par le discours la désorientation en cours qui est son principe actif. Certes, il nous faut des façons de dire plurielles, autant d’individus pour dire qu’il y a d’oreilles différentes pour entendre mais la qualité de ce qui est dit doit faire l’objet de notre attention.
On donne le ton de l’indignation quand surviennent des morts, puis aussi allègrement on passe à la perruque que porte Denise, aux dépassements budgétaires en passant par les vols de la République et les petites filles qui font le tapin à Kinshasa. Tout ceci sont les signes d’un peuple en souffrance et dont on exploite le désarrois pour des petits gains sonnants reportant la pérennité aux calendes grecques, en se disant que l’avenir attendra.
La seule attitude à avoir est celle du combat de libération
On hurle parce que le leadership est mort ou corrompu mais à aucun moment il n’est question d’interroger le fait que l’on donne le bon Dieu sans confession à ceux parmi nous qui nous embarquent dans leurs délires narcissiques, leur despotisme, qui savent au fond d’eux-mêmes que dans un Congo qui aura retrouvé sa tête, il est fort à parier qu’ils ne seront plus qu’histoires. Alors, on peut aussi se poser la question de savoir qui a vraiment intérêt que tout ceci change? Qui envisage le possible renouveau comme un possible tombeau? Tout n’est pas la faute de Félix, c’est le sens que nous donnons à Félix qui compte, ce que nous en faisons. On ne peut à la fois le fustiger et par nos actions être son miroir comme chef de troupe figé dans la quête de la reconnaissance individuelle.
La vérité à laquelle il faut se confronter est que le pays est déjà parti, que nous vivons sous domination. Si ce principe de réalité est admis alors la seule attitude à avoir est celle du combat de libération.
Nous sommes programmés pour l’éphémère au regard de la longue histoire du monde. Sur un calendrier annuel de l’histoire de la vie, notre présence au monde ne représente que les dernières secondes de la fin de l’année. Aussi, si nous devions laisser des traces pourquoi celles-ci devraient être médiocres, pourquoi ne devraient-elles pas s’inscrire dans la continuité, dans l’histoire de la vie?
On a pris la fâcheuse habitude de dire « attention le pays va partir », comme un mantra qui nous préserverait du pire. La vérité à laquelle il faut se confronter est que le pays est déjà parti, que nous vivons sous domination. Si ce principe de réalité est admis alors la seule attitude à avoir est celle du combat de libération. Le Congo ne sortira pas des chaînes en nous drapant de satisfaction parce qu’on croit être dans le bon car on est devenu un aficionado d’un individu qui même s’il dit « Congo » peut poursuivre ses passions égoïstes au lieu d’une vraie émancipation collective.
Bénédicte Kumbi Ndjoko