Par Jean-Pierre Mbelu
« La seule leçon de l’histoire, c’est qu’on n’apprend rien de l’histoire, sauf pendant une courte durée appelée vie humaine. Une fois cette vie humaine passée, la génération suivante a des échos, et celle d’après, est totalement ignare. » – Patrick Reymond
Dans la troisième partie de cet article, je rappelais que « la démocratie du marché » fut vendue aux africains par un Président français avouant lui-même qu’avoir un gouvernement (à l’issue des élections) n’était pas synonyme d’avoir le pouvoir. Celui-ci étant la chasse gardée des institutions financières dites internationales.
Je mentionnais aussi le fait que le réel kongolais étant dominé par la guerre, organiser les élections au pays de Lumumba ne servait qu’à en faire des « pièges-à-cons ».
Dans cette dernière partie de ce long article, je tâcherai d’expliquer pourquoi je soutiens cette hypothèse et estime que les luttes kongolaises devraient avoir comme objectif majeur la reconquête de la souveraineté intégrale du pays, fruit de « la reliance » des collectifs citoyens et des autres mouvements intercommunautaires, c’est-à-dire des lieux qui refont le lien entre les Kongolais(es), créent la cohésion sociale et nationale moyennant les efforts (et des stratégies) qu’ils conjuguent ensemble pour bâtir « un pays plus beau qu’avant ».
Conférence Nationale et les années 1990
« La démocratie du marché » est venue au Kongo et en Afrique dans les années 1990. Celles-ci sont marquées par la chute du mur de Berlin, la fin de l’URSS et une proclamation de « la fin de l’histoire » par les globalistes apatrides et le triomphe du capitalisme ensauvagé. La guerre menée par procuration en est l’une des expressions.
Après que « les maîtres du monde » aient refusé que la Conférence Nationale Souveraine soit financée par les Kongolais eux-mêmes, ils ont intimé à leur sous-fifre, Mobutu, l’ordre d’y mettre fin. Le pays a commencé à connaître des moments de grande turbulence jusqu’à l’éclatement de la guerre raciste de prédation et de basse intensité menée par « l’impérialisme intelligent » contre le pays de Lumumba.
En effet, après que « les maîtres du monde » aient refusé que la Conférence Nationale Souveraine soit financée par les Kongolais eux-mêmes, ils ont intimé à leur sous-fifre, Mobutu, l’ordre d’y mettre fin. Le pays a commencé à connaître des moments de grande turbulence jusqu’à l’éclatement de la guerre raciste de prédation et de basse intensité menée par « l’impérialisme intelligent »1 contre le pays de Lumumba. Ici, « l’intelligence » consiste à mettre sur le devant de la scène les proxys engagés dans cette guerre par procuration de façon que les acteurs pléniers agissent dans l’ombre et aient une image de « sauveurs » et de « faiseurs de paix » dans les médias mainstream.
Si l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, etc. ont joué à fond le rôle de sous-fifres dans cette guerre contre l’intelligence kongolaise, une bonne partie de l’opposition kongolaise y a participé de près ou de loin en invitant les populations à se débarrasser de Mobutu et à le remplacer « même par un chien ». Pour dire les choses simplement, elle était, elle aussi, de mèche avec « l’impérialisme intelligent » et disposée à se mettre à son service après l’homme lige des anglo-saxons. En d’autres termes, « l’opposition kongolaise » ayant en son sein des « amis de Mobutu » n’était pas « souveraine ». Elle avait les mêmes maîtres que son »ami ».
Ce n’est pas anodin qu’un vieux maquisard, « un opposant » à Mobutu, Laurent-Désiré Kabila, ait été choisi pour être sur le devant de la scène au cours d’une guerre de basse intensité dont les tireurs de ficelle jouaient à partir des coulisses. En mai 1997, il se déclare président après la défaite de l’armée de Mobutu.
Dans ce contexte de guerre, Laurent-Désiré Kabila devient président sans passer par le processus électoraliste. Les Kongolais(es), fatigués de la dictature de Mobutu et étant très peu averti(e)s sur la géopolitique de l’après la chute du mur de Berlin, l’adoptent sans penser un seul instant que ses parrains sont les mêmes que ceux de Mobutu. Au moment de la prise du « pouvoir-os » par Kabila, à quelques exceptions près, l’histoire de cette guerre n’est pas la chose la mieux connue et partagée par les masses kongolaises.
Adopté sans processus électoraliste au préalable, Laurent-Désiré Kabila va se choisir certains de ses « gouverneurs » de provinces en recourant au « vote à main levée » dans certains stades de football du pays. Eux aussi sont adoptés par les populations kongolaises.
Donc, dans ces circonstances plus ou moins exceptionnelles, les « gouvernants » du pays sont choisis et/ ou adoptés de manière exceptionnelle. Donc, Laurent-Désiré Kabila se légitime sans passer par une processus électoral légal. Comment ? En décidant de mettre les Kongolais et les Africains au courant des en-dessous de la guerre et en décidant qu’elle retourne d’où elle était venu et que le pays vive en paix tout en jouissant de ses richesses. Une bonne partie de la population en fait »le soldat du peuple » et partage sa devise selon laquelle il ne faut jamais trahir le Kongo.
De 1997 à 2001, Laurent-Désiré Kabila a présidé aux destinées du Kongo-Kinshasa et a su mobiliser et le peuple kongolais et les pays alliés pour mettre fin à la guerre raciste de prédation et de basse intensité dont son pays était victime. Malheureusement, le retournement d’alliance contre certaines trans et multinationales ayant participé aux « efforts de la guerre » ainsi que contre les pays proxys finira par lui coûté la vie le 16 janvier 2001. Aussi , Laurent-Désiré Kabila avait-il osé renoncer à l’emprunt de l’argent auprès des institutions financières dites internationales ! Un crime impardonnable pour le capital financier. Et il tenait à engager ses compatriotes à la lutte pour la souveraineté du pays. Il leur disait : « Vous devez être maîtres, chez vous, là. »
Après Laurent-Désiré Kabila
Après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, soupçonné d’être resté fidèle à Lumumba, alias « Joseph Kabila » le remplace. A son sujet, un politicien kongolais présent au dialogue (dit) intercongolais de Sun City en Afrique du Sud, Valentin Mubake, soutient qu’au cours d’une pause café, l’un des facilitateurs, le Président Sud-Africain, Thabo Mbeki, lui a confié qu’il lui avait été imposé d’imposer « Joseph Kabila » aux Kongolais. C’est d’un.
Des bains de sang, le pays en a connus autour de tous les rendez-vous électoralistes. Ces rendez-vous ont été des moments de terreur indescriptible. Accompagnés du rejet du « pouvoir-os » du « Cheval de Troie » du Rwanda, ils ont fait un nombre important de morts au pays de Lumumba. Oui, des bains de sang disant que depuis plus ou moins trois décennies, le réel kongolais est dominé par la guerre, le somnambulisme et la résistance au marionnettisme et au larbinisme.
De deux, un député européen, Jean-Luc Schaffhauser explique aux autres députés qu’après la mort de Laurent-Désiré Kabila, « on est allé chercher ce jeune homme en se disant qu’on le manipulerait parce qu’il n’est pas kongolais, il était de nationalité rwandaise et qu’on allait en faire un président. » (Ce député européen résume l’histoire de la guerre par procuration menée contre le Kongo-Kinshasa en moins de deux minutes comme l’atteste cette vidéo 22.06.2016 Massacres dans l’est du Congo – YouTube )
De trois, dans « Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique », le Président congolais Denis Sassou Nguesso confie à Pierre Péan que « Joseph Kabila » est un « Cheval de Troie » du Rwanda2. Encore une fois, au Kongo-Kinshasa, « Joseph Kabila » devient Président sans passer par le processus électoral. Il va s’en servir, à deux reprises, pour « se légaliser ». Et presque tous les compatriotes le savent.
En 2006, Jean-Pierre Bemba gagne les élections et « il accepte l’inacceptable », comme il l’avouera lui-même. En 2011, Etienne Tshisekedi gagne les élections et c’est »Joseph Kabila » qui est légalement proclamé »Président ». Au sujet des élections de 20183, le président de la Commission Electorale (dite) Indépendante, Corneille Nangaa, vient de révéler ceci à « Jeune Afrique » : « Grâce à Dieu, j’étais aux premières loges lors de cette alternance. Un accord politique a été conclu et je demeure convaincu qu’il ne faut pas le jeter dans la poubelle de l’histoire, parce qu’il a sauvé la République d’un possible bain de sang. »
Des bains de sang, le pays en a connus autour de tous les rendez-vous électoralistes. Ces rendez-vous ont été des moments de terreur indescriptible. Accompagnés du rejet du « pouvoir-os » du « Cheval de Troie » du Rwanda, ils ont fait un nombre important de morts au pays de Lumumba.
Oui, des bains de sang disant que depuis plus ou moins trois décennies, le réel kongolais est dominé par la guerre, le somnambulisme et la résistance au marionnettisme et au larbinisme. Elle est le produit de la violence systémique propre au capitalisme ensauvagé que servent les institutions financières (dites) internationales. Cette violence systémique est un frein à la reconquête de la souveraineté et à l’indépendance réelle du pays.
En quoi consisterait la connerie dans ce processus électoraliste ? Elle consiste, comme le dirait Einstein, à « faire toujours la même chose et à s’attendre à des résultats différents. » Cette « folie » entretenue pendant plus ou moins trois décennies devient « une connerie », « une bêtise », un refus permanent de remise en question, un rejet de tout esprit critique au sujet du fétichisme électoraliste, une volonté d’ignorer les possibilités de trouver des propositions différentes pouvant provenir des lieux de la production de l’intelligence collective.
Donc, sans une souveraineté réelle, sans une rupture avec la violence systémique produite par le capitalisme ensauvagé, les élections, au Kongo-Kinshasa, seront toujours des « pièges-à-cons ».
Des leaders des mouvements intercommunautaires, ceux des collectifs citoyens conscients de leurs intérêts, les intellectuels organiques et les véritables politiciens pensant à la prochaine génération et non aux prochaines élections auraient intérêt à proposer des tables palabriques à travers tout le pays pour plancher ensemble sur les principes pouvant animer des luttes communes pour la souveraineté du pays, dresser le portrait des « gouvernants-serviteurs » de demain, indiquer des modes de leur choix s’inspirant de nos traditions et de nos cultures en rompant avec « le vol de l’histoire »; et arrêter des stratégies pouvant permettre au pays de trouver des alternatives aux institutions financières, huissiers du capitalisme ensauvagé. Cet enjeu est majeur. Il est existentiel. Les BRICS y travaillent.
Conclusion
Localiser « la démocratie des autres » vendue à notre pays et à l’Afrique dans un processus électoraliste non questionné après plus ou plus trois décennies, c’est sombrer dans un fétichisme pouvant être attribué à l’ignorance, à la paresse intellectuelle et/ou au refus collectif de produire régulièrement une pensée collective. Cela peut aussi être un signe de manque de créativité, d’inventivité et d’imagination. Les processus politiques sont le fruit de la pensée et ils peuvent être repensés. Ils sont historiquement questionnables en fonction de ce qu’ils produisent comme résultats dans le réel kongolais et africain.
Les processus politiques sont le fruit de la pensée et ils peuvent être repensés. Ils sont historiquement questionnables en fonction de ce qu’ils produisent comme résultats dans le réel kongolais et africain. Si un processus porte atteinte à la cohésion sociale et nationale, s’il produit des bains de sang et la mort, il mérite d’être repensé à partir de la matrice organisationnelle qui l’enfante.
Si un processus porte atteinte à la cohésion sociale et nationale, s’il produit des bains de sang et la mort, il mérite d’être repensé à partir de la matrice organisationnelle qui l’enfante.
Or, le processus électoraliste vendu par « la démocratie des autres » est intimement lié au colonialisme et au néocolonialisme économique porteurs des anti-valeurs comme la cupidité, le mépris des gens et l’instinct de domination. Comment, sur fond de ces anti-valeurs, promouvoir des « démophiles », des « populistes » au lieu des « populicides » ? C’est quasi impossible. D’où l’urgence de changer de paradigme pour sortir de la violence systémique et rendre le pouvoir au souverain primaire en le débarrassant des larbins et des marionnettes du capital financier. Une tâche ardue!
Elle est à assumer sur le temps long tout en se débarrassant de l’illusion d’un « grand soir ». Les leaders intercommunautaires et les collectifs citoyens ont du pain sur la planche. Donc, la question essentielle et/ou existentielle du Kongo-Kinshasa est d’abord et avant tout celle de la reconquête de sa souveraineté. Elle n’est pas électoraliste. La souveraineté conquise en 1960 n’a duré que quelques mois. Pourquoi ? Parce que « les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale » avaient exclu les « perdants » et « leurs alliés » ou « assimilés » du droit international reconnaissant à tous les Etats « une égale souveraineté ». (Cette vidéo est suffisamment explicite sur cette question : Elle a été journaliste en Russie, elle témoigne de ce qu’elle a vu. ) Jusqu’à ce jour, les guerres qu’ils orchestrent disent ce déni. Les peuples exclus et qui l’ont compris ont fait de la lutte pour leur souveraineté une question de vie et/ ou de mort.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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1Lire M. COLLON, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’Action, 2009, p. 393-394.
2Lire P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p.531-532.