Communication de l’abbé José MPUNDU (Prêtre de l’archidiocèse de Kinshasa) à l’occasion de la Remise du Grand Prix de Mérite Patriotique BAKANJA-KIMBANGU, à Kinshasa, le 25 février 2023.
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Introduction
Avant toute chose, je vous invite à vous lever et à garder une minute de silence en mémoire de tous nos compatriotes qui ont donné leur vie pour un Nouveau Congo.
Je tiens à remercier le Professeur Isidore Ndaywell, Coordonnateur National du CLC, pour m’avoir non seulement invité à cette manifestation mais surtout pour m’avoir demandé de prendre la parole pour partager avec vous ma vision de la démocratie. Merci mon cher frère Isidore !
Les seize jeunes qui vont recevoir aujourd’hui, à titre posthume, le Grand Prix de Mérite Bakanja-Kimbangu, de même que les compatriotes qui sont tombés sous les balles meurtrières de l’armée répressive, le 16 février 1992, il y a de cela 31 ans, nous avons l’habitude de les considérer comme les martyrs de la démocratie. Personnellement, qu’il s’agisse de Thérèse Kapangala, de Rossy Mukendi, pour ne citer que ces deux noms parmi tant d’autres, je les considère comme des témoins de la lutte pour un « Autre Congo ». Pourquoi pas une « Autre Afrique » ? Ils ont tous donné leur vie pour un Congo plus beau qu’avant comme nous le chantons dans notre hymne national.
Si nous avons l’habitude de les considérer comme des martyrs de la « démocratie », c’est parce que leur engagement est vécu dans le contexte de ce que nous appelons la démocratisation ou le processus de démocratisation de notre pays. Et pourtant, après l’indépendance, notre pays portait déjà le nom de République Démocratique du Congo.
Relisons notre histoire
Je nous invite à relire notre histoire. Lorsque nous accédons à la soi-disant indépendance ou à une apparente souveraineté internationale, notre pays a pris comme nom République Démocratique du Congo. A l’avènement de Mobutu au pouvoir, ce dernier, au nom de la politique du recours à l’authenticité, change le nom du pays en République du Zaïre mot qui vient de nzadi qui signifie fleuve.
Pendant tout le temps qu’il était au pouvoir, au sommet de l’Etat, Mobutu nous a fait croire que nous étions toujours un Etat démocratique mais d’une démocratie à l’africaine où il n’y avait qu’un seul chef qui ne pouvait souffrir d’aucune contestation encore moins d’aucune opposition.
Pendant tout son règne qui a duré 32 ans, nous avons connu effectivement les trois pouvoirs constitutionnels qui caractérisent la démocratie à l’occidentale : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. A cette époque, on parlait du conseil législatif, du conseil exécutif et du conseil judiciaire.
Depuis 1957, nous avons connus une succession d’élections dans notre pays qui ont commencé par les élections municipales et locales. Pendant le règne de Mobutu, nous avons connu des élections législatives et
présidentielles qui n’avaient d’élections que le nom car, pour les élections présidentielles, nous n’avions qu’un seul candidat, Mobutu. Et curieusement, tous ceux qui nous chantent aujourd’hui la démocratie et qui avaient placé Mobutu à la tête de notre pays, n’ont jamais contesté les élections à la Mobutu. Bien au contraire, ils lui ont fait dérouler le tapis rouge partout à travers le monde comme président élu.
Au début des années 90, la donne politique internationale change. Le mur de Berlin tombe et la guerre froide entre l’Ouest et l’Est de l’Europe semblent terminée. Le temps des dictateurs fabriqués et soutenus par l’Occident est révolu. Il faut une autre classe de dirigeants correspondant à la nouvelle géopolitique internationale, au nouvel ordre mondial que les maîtres du monde mettent en place. C’est dans ce contexte qu’il faut situer le lancement du processus de démocratisation avec ses « martyrs ».
Tout commence avec le discours du Président français, François
Mitterrand en juin 1990. En effet, le 20 juin 1990, François Mitterrand a tenu un discours à la 16e conférence des Chefs d’Etats d’Afrique et de France, à La Baule, où il a imposé aux pays africains l’ouverture « démocratique » dont il a fait une condition sine qua non pour bénéficier des aides de la France pour le développement de l’Afrique.
Le discours de La Baule invite les pays africains à lancer un processus de démocratisation sous peine, dans le cas contraire, d’être privé du soutien du Nord comme si le Nord nous soutenait. Une démocratie copie certifiée conforme de ce qui se passe au Nord.
Les passages-clé du discours relient l’aide publique importante en pleine crise de la dette à une « démocratisation » par un passage au « multipartisme ». « La France, dira Mitterrand, liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ; il n’y a aucune aide normale de la France à l’agar des pays africains, mais il sera plus évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pays vers la démocratisation… ».
Depuis lors, tous les dirigeants africains ayant participé à cette conférence, de retour chez eux, par obéissance, ou mieux, par soumission à leur maître, ont organisé une Conférence Nationale Souveraine pour opérer une sorte de révolution de palais en vue de lancer la démocratisation de leur pays. Ils ont mis un nouvel ordre démocratique, une démocratie copiée-collée, à l’occidentale pour ne pas dire à la française, avec son cortège de multipartisme et d’élections.
Evaluation de la démocratie copiée-collée
Trente-trois ans après, cette démocratie contrôlée et dictée par l’Occident a donné quels résultats dans notre pays ?
Le multipartisme a entraîné la division sur base non pas idéologique mais plutôt sur base d’appartenance ethno-tribale. En effet, il faut reconnaître que, depuis l’époque de la fin de la période coloniale, la plupart de nos partis politiques – on en dénombre aujourd’hui, plus ou moins mille dans notre pays- sont créés sur base ethno-tribale. Ces partis politiques sans idéologie propre, sans un projet de société propre, sont des répliques des partis politiques occidentaux. Ils se disent des socio-démocrates ou des libéraux alors qu’en réalité ils sont bakongo, bangala, baluba, baswahili, etc. C’est la tribalisation de la vie politique contre l’édification d’une nation unie.
Les élections ont entraîné une crise de légitimité du fait qu’elles ne servent qu’à donner une apparente légitimité interne à un « pouvoir » dont la vraie légitimité est externe. En effet, nos dirigeants sont ceux que les occidentaux qui se considèrent comme les « maîtres du monde », les « faiseurs des rois », choisissent ou désignent avant même le processus électoral. Le choix du peuple ne compte pour rien. En fait, nous participons à des parodies électorales où les résultats proclamés sont ceux décidés d’avance par les « maîtres du monde » qui, finalement, restent les vrais dirigeants de notre pays.
Ces élections sont à l’origine des violences meurtrières que nous observons, avant, pendant et après leur tenue. Et les compatriotes que nous mettons à l’honneur aujourd’hui sont les victimes de ce processus électoral.
Au regard de notre histoire, force nous est de reconnaître que nous ne sommes pas un Etat indépendant et souverain mais une colonie internationale créée en 1885, à la Conférence de Berlin. Une colonie politique et, le Pape François nous l’a rappelé dans un de ses discours durant sa récente visite à notre pays, une colonie économique. J’ajoute que nous sommes et restons une colonie culturelle. La preuve est que ma communication, je la fais en quelle langue ? En français, la langue des autres. Or, la langue est un véhicule de la culture.
L’indépendance proclamée le 30 juin 1960 n’était qu’une indépendance de
façade, formelle et non réelle. « Après l’indépendance, disait le Général Janssens aux soldats de la Force Publique, c’est comme avant l’indépendance », avec la seule différence que les vrais dirigeants qui sont à Bruxelles, à Paris et à Washington ont placé leurs « nègres de service » qui travaillent non pas pour le bien-être du peuple mais pour les intérêts de leurs maîtres et leurs intérêts personnels, égoïstes.
Il suffit de voir le ballet de nos dirigeants ou prétendants au pouvoir qui se rendent presque tous à Washington, à Bruxelles, à Paris pour être adoubés par les « maîtres du monde ». C’est là que se donne le vrai pouvoir.
En lieu et place d’une démocratie, les élections nous ont amené une aristocratie représentative électorale.
En réalité, comme le dit si bien Madame Danielle Mitterrand, la veuve du Président Mitterrand, « la démocratie n’existe ni aux USA, ni en France ». Ecoutons ce passage de sa réponse à la question lui posée par le journaliste, Hernando Calvo Ospina !
HCO : Mme Mitterrand, est-ce que la France est un modèle de démocratie ? Est-ce une puissance mondiale ?
DM : En France, on élit et les élus font des lois qu’ils n’ont jamais proposées et dont nous n’avons jamais voulu. Est-ce la démocratie quand après avoir voté nous n’ayons pas la possibilité d’avoir de l’influence sur les élus ? Je ne crois pas que dans aucun des pays qui se disent démocratiques, ceux-là qui croient avoir le droit d’imposer « leur » démocratie aux pays pauvres, il existe la démocratie, à commencer par les Etats-Unis et la France. La France est une démocratie ? Une puissance mondiale ? Je le dis en tant que Française : Cela ne veut rien dire. Si on le dit pour les niveaux d’éducation, de la recherche ou de la santé, c’est nul. Pour être capables d’aider la paix mondiale, les peuples opprimés ? Nul »
Après ce verdict de Madame Danielle Mitterrand, il ne nous reste plus qu’une seule chose à faire : inventer notre démocratie.
Inventons notre démocratie
Pour ma part, j’estime que la démocratie n’est pas d’abord une affaire des institutions dites démocratiques. En effet, notre pays a connu et connaît encore aujourd’hui l’existence des différentes institutions dites démocratiques avec une apparente séparation des pouvoirs. Pouvonsnous dire pour autant que nous sommes un Etat démocratique ? Non. A chaque fois, nous déplorons la dictature de nos dirigeants qui ne sont pas du tout des démocrates.
La démocratie est avant une culture, un mode de vie qui comprend des valeurs éthiques, morales et humaines.
J’en retiens principalement quatre avec leurs corollaires. Il s’agit notamment de l’égalité avec le respect de tout être humain, de la participation avec la responsabilité personnelle et collective, de la liberté qui provient de la vérité et de la justice qui engendre la vraie paix.
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La démocratie c’est l’égalité
Le Congo démocratique nouveau que nous voulons bâtir ensemble devra être une société d’égalité où nul ne se considère comme supérieur aux autres se donnant ainsi le droit de les dominer et nul ne se considère comme inférieur aux autres se plaçant ainsi dans une situation de soumission servile. Les rapports entre les citoyens sont des rapports égalitaires, des rapports de collaboration, de coopération et non de domination et d’exploitation.
Cette égalité de nature n’est nullement à confondre avec l’uniformité, avec un nivellement par le bas ou avec une standardisation où tout le monde sera comme tout le monde. Il s’agit d’une égalité par rapport à notre nature humaine commune. C’est le principe de la commune humanité dont parle le Manifeste Convivialiste. Ce principe nous dit : « par-delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orientation sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres » (Manifeste Convivialiste, Déclaration d’interdépendance, Editions Le Bord de l’eau, p. 25)
Tous, comme le dit la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, nous sommes égaux en dignité, en droits et cela, dès la naissance (Article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme).
Cette égalité se vit dans la diversité et la complémentarité des rôles, des statuts, des fonctions. Comme pour les membres d’un même corps, chacun a un service à rendre à l’ensemble du corps.
Dans cette société égalitaire, chaque congolais et chaque congolaise est respecté non pour son titre ou son statut social ou encore pour son rôle ou sa fonction dans la société, mais parce qu’il est un être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
En d’autres termes, cet Autre Congo sera une terre où le respect de tout être humain et de ses droits fondamentaux sera une règle absolue, observée par tous. Et le premier droit de chaque être humain est celui de vivre décemment et dignement. Le droit à la vie et à une vie digne d’un être humain est fondamental et sacré. Et si vivre c’est aimer et être aimé, nous pouvons dire que le premier droit de l’homme est celui d’être aimé.
Corollairement, son premier devoir est celui d’aimer.
Le respect de ce droit exclut l’application de toute sanction qui supprime la vie. La peine de mort ne pourra donc pas avoir une place dans cette nouvelle société démocratique congolaise. Une révision du code pénal s’avère indispensable pour abolir la peine capitale.
La démocratie c’est la participation
Le Congo démocratique que nous voulons construire sera une société de participation où tout le monde mettra la main dans la pâte. Cette participation peut être directe ou indirecte selon les cas. Elle implique toutes les filles et tous les fils du pays à la réflexion, à la prise des décisions, à l’exécution de celles-ci et surtout à l’évaluation des résultats.
Réfléchir ensemble, prendre des décisions ensemble, les exécuter ensemble et les évaluer ensemble, tel sera le mode de fonctionnement qui caractérisera ce Nouveau Congo ! Et ici, nous devons reconnaître que nous, les Congolais, nous sommes rebelles à l’évaluation. Nous avons connu des élections depuis 1957 jusqu’aujourd’hui. Avons-nous fait une évaluation de toutes ces élections pour en tirer des leçons en vue de rectifier éventuellement le tir ?
Périodiquement, selon ce que la Constitution de ce Nouveau Congo va prévoir, le peuple sera appelé à choisir les dirigeants auxquels il confie le mandat de conduire les affaires de l’Etat pendant un temps déterminé par la loi fondamentale. Les modalités de ce choix peuvent être la combinaison des élections et du tirage au sort.
Ici, j’invite tous mes compatriotes à lire attentivement le livre de David
Van Reybrouck intitulé « Contre les élections » paru aux Editions Babel en 2014. Dans ce livre, il explique très clairement que l’institution des élections au XVIIIe siècle a contribué à tuer la démocratie pour mettre en place une aristocratie représentative électorale.
Cette participation ne sera pas seulement politique mais elle sera aussi culturelle et économique. En effet, dans la société de participation, tout congolais et toute congolaise sont appelés à travailler pour la promotion des valeurs culturelles congolaises.
Tous sont appelés à produire pour assurer leur subsistance. Le travail de la terre, le travail manuel seront valorisés au même titre que le travail intellectuel. Dans le nouveau Congo démocratique, l’obligation est faite à l’Etat de procurer du travail à tout le monde en créant des emplois afin qu’il n’y ait plus de place pour les parasites et les paresseux.
Cette participation fera de chacun et chacune de nous responsable de notre bonheur ou de notre malheur. Il n’y a plus de place pour la recherche de boucs émissaires sur qui on rejette la responsabilité de tous nos malheurs. Si rien ne va, nous en répondrons devant Dieu, devant les hommes et devant l’histoire. En d’autres termes, ce Congo nouveau est une société de responsabilité, une société d’hommes et de femmes responsables.
Tous et toutes, nous sommes, certes responsables collectivement mais cela n’empêche pas que chacun et chacune, selon sa fonction et son rang dans la société, puisse assumer sa responsabilité individuelle. Et, cette responsabilité individuelle ne sera pas la même pour tout le monde. Ainsi, par exemple, la responsabilité d’un chef de l’Etat n’est pas comparable à celle d’un huissier au point de vue de ses conséquences dans la vie de la nation.
La démocratie c’est la liberté
Le Congo démocratique que nous voulons bâtir ensemble sera une société de liberté où il n’y a plus de place pour un quelconque asservissement ou esclavage.
Tout congolais et toute congolaise devront jouir de la liberté de penser, de s’exprimer, d’agir, de s’associer avec d’autres, de se mouvoir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, de choisir sa religion et de la pratiquer.
Toutes ces libertés sont garanties par la déclaration universelle des droits de l’homme et par notre constitution. Elles ne peuvent souffrir d’aucune restriction hormis celles prévues par les lois du pays.
L’exercice de ces libertés s’enracine dans une liberté profonde du cœur vis-à-vis de l’avoir, du pouvoir et de la gloire qui sont les véritables sources d’asservissement de l’homme et de la femme congolais.
En effet, la plus grande faiblesse du congolais et de la congolaise d’hier et d’aujourd’hui reste son asservissement à l’argent, au pouvoir et aux honneurs.
Cette liberté profonde est le fruit de la vérité qui seule libère totalement l’homme : vérité sur l’homme, sur la religion, sur les biens matériels et l’argent, sur le pouvoir et sur la gloire.
Vérité sur l’homme
Tout être humain est image de Dieu. Il est créé pour aimer et pour être aimé. L’amour est la finalité de son existence. Voulu par son créateur comme un être-avec, seul l’amour donne un sens à la vie de l’homme.
Créé à l’image de Dieu pour être sa ressemblance, l’homme est la seule valeur sacrée qui a droit à un respect absolu.
Vérité sur la religion
La religion n’est pas un moyen pour opprimer l’homme ni pour diviser les hommes. La vraie religion sera celle de l’amour et de la fraternité. La vraie religion sera celle qui invite à la pratique de la justice avant toute autre chose. La vraie religion ne sera pas celle d’un culte extérieur mais celle d’une vie caractérisée par l’amour, la justice, la paix et la vérité.
Vérité sur les biens matériels et l’argent
Les biens matériels et l’argent sont des moyens au service du bonheur de l’homme et non des fins en soi. Les biens matériels sont destinés à tout le genre humain et doivent servir au bonheur de tous et pas seulement d’une poignée de gens. D’où l’existence d’une répartition équitable des biens du sol et du sous-sol congolais afin que nul fils ni fille de ce pays ne soit dans le dénuement, dans le manque.
Les biens doivent être acquis par des voies honnêtes et non par le vol, le pillage et la prédation. Et ils doivent être utilisés dans un esprit de solidarité et de partage.
Vérité sur le pouvoir
Le pouvoir doit être au service de la croissance et de l’épanouissement de tout l’homme et de tous les hommes. Il ne peut être considéré comme venant de Dieu que dans la mesure où celui qui l’exerce le fait dans un esprit de service.
Les modes d’exercice du pouvoir tyranniques, autocratiques et dictatoriaux, dans la mesure où ils oppriment l’homme, ne viennent donc pas de Dieu.
Le pouvoir est désacralisé et démystifié. Les chefs, dans le Nouveau Congo démocratique, ne seront pas des démiurges aux pouvoirs illimités mais des serviteurs du peuple pour un temps bien précis. Ils n’auront comme unique préoccupation le bien-être de la population qui est leur patron.
Le pouvoir sera exercé avec la tête c’est-à-dire avec la raison, l’intelligence et avec le cœur, c’est-à-dire avec l’amour.
Vérité sur la gloire
La vraie gloire ne peut provenir que du bien que nous faisons aux autres. La gloire n’est donc pas dans la possession égoïste des biens ni dans l’exercice tyrannique du pouvoir encore moins dans le culte entretenu de la personnalité.
La vraie gloire se reçoit dans une attitude d’humilité. D’où les chefs du Congo Nouveau seront des serviteurs humbles et simples, proches du peuple.
Cette société congolaise de liberté est une société en permanent processus de libération. Car la liberté est le fruit d’un combat de tous les jours. Elle n’est pas un acquis statique mais une réalité dynamique sui se conquiert tout au long de l’existence d’un être humain, d’une société.
Cette société est donc une société en train de devenir toujours plus libre.
La démocratie c’est la justice
Le Congo démocratique que nous voulons construire ensemble sera une société de justice.
Justice distributive
Justice distributive par laquelle toutes les ressources du pays sont réparties de manière équitable de sorte que chaque congolais et congolaise jouissent du minimum vital, d’un minimum de confort. Justice sociale dans la répartition des salaires en veillant à ce que les écarts ne soient pas trop criants et que le plus bas salaire puisse permettre à celui qui le touche de vivre décemment.
Cette justice distributive n’est pas à confondre avec la charité ou la générosité des nantis vis-à-vis des pauvres mais elle est fondée sur l’application des droits économiques.
D’une part, les employeurs n’ont pas à faire des cadeaux aux employés mais ils sont tenus à leur assurer un traitement juste et viable leur permettant de vivre dignement, de nouer les deux bouts du mois et de subvenir à leurs besoins fondamentaux.
D’autre part, les travailleurs ont le droit de réclamer des salaires suffisants et payés régulièrement pour leur permettre de travailler convenablement et d’être à l’abri de la corruption.
Justice juridique ou rétributive
Justice juridique dans le règlement des conflits et des litiges ou le droit est prononcé de manière vraie. Il ne sera plus question de donner raison seulement à celui qui est puissant, qui a le pouvoir et qui a l’argent. Les sanctions sont faites pour tous ceux qui enfreignent la loi. Il n’est donc plus question d’impunité ni d’une justice à deux vitesses.
Justice-miséricorde
Enfin, justice-miséricorde où l’on donne toujours à chaque homme et femme, quel que soit le degré de sa faute, la chance de se convertir, de se racheter et de réparer sa faute. La justice-miséricorde est donc celle qui détruit le mal et sauve le malfaiteur en lui redonnant la dignité qu’il avait perdue en commettant le mal. La justice-miséricorde est celle qui pardonne et, partant, donne et sauve la vie.
L’application de la justice-miséricorde exclut totalement la peine de mort qui ne donne aucune chance au malfaiteur pour une éventuelle chance de réinsertion sociale. Les pénitenciers sont transformés en maison de rééducation.
Cette justice donne comme fruit la paix profonde et durable. En effet, la paix dont notre pays a besoin n’est pas seulement la fin de la guerre ou l’absence de la guerre mais une paix profonde du cœur lorsque chaque congolais et congolaise vivra en harmonie avec lui-même et avec le autres; une paix sociale qui repose sur des rapports sociaux d’égalité et de respect mutuel.
Cette paix profonde et durable est l’aboutissement d’une guerre contre soi-même. Athénagoras, Patriarche de Constantinople, décrit cette guerre d’une manière pertinente dans le texte suivant:
Une guerre qui mène à la paix
Il faut mener la guerre la plus dure qui est la guerre contre soi-même.
Il faut arriver à se désarmer.
J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible.
Mais je suis désarmé.
Je n’ai plus peur de rien, car l’Amour chasse la peur.
Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres. Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses.
J’accueille et je partage. Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets. Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non, pas meilleurs, mais bons, j’accepte sans regrets. J’ai renoncé au comparatif. Ce qui est bon, vrai, réel est toujours pour moi le meilleur.
C’est pourquoi, je n’ai plus peur. Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur.
Si l’on désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu Homme qui fait toutes choses nouvelles, alors, lui efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible.
Athënagoras
Patriarche de Constantinople
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Ma proposition pour inventer la démocratie
La démocratie que je nous propose d’inventer sera une démocratie participative, consensuelle où les décisions se prennent ensemble et où le peuple reprend son vrai pouvoir.
Il nous faudra retrouver l’arbre à palabre sous lequel nous nous mettrons ensemble pour décider de ce que nous devons faire ensemble pour notre bien-être commun, notre bien-vivre ensemble.
Pour commencer, je propose aux congolais de se mettre ensemble pour se poser les trois questions fondamentales suivantes :
La première : Qu’ai-je fait du Congo ? Qu’ai-je fait pour que le Congo en arrive là où il est aujourd’hui ? Qu’ai-je omis de faire pour que le Congo en soit là où il est aujourd’hui ? Qu’avons-nous fait pour que le Congo en arrive là et qu’avons-nous omis de faire pour que le Congo en soit là ?
Cette première question établit notre responsabilité personnelle et collective et nous fait prendre conscience que nous sommes responsables de ce qui nous arrive. Cela ne signifie que nous ignorons la responsabilité des autres, des colonisateurs, des néocolonisateurs. Mais cela signifie tout simplement que nous prenons conscience que ces autres ne font finalement rien sans notre participation, sans notre complicité, sans notre collaboration.
Retirer notre participation, notre collaboration à leur système fera écrouler celui-ci ! Ils ont besoin de nous plus que nous nous avons besoin d’eux. Leur mode opératoire consiste à nous amener à consentir librement à notre propre esclavage en croyant que nous ne valons rien, nous sommes inférieurs à eux et que nous ne pouvons rien faire sans eux, sans leur savoir et sans leur avoir. Lorsque le libre consentement ne marche pas, ils recourent alors à la violence physique et psychologique. Ils distillent en nous la peur du « maître » qui est prêt à tuer les contestataires de leur pouvoir.
Cette première question nous amène à sortir de la manie de chercher toujours un bouc-émissaire à qui nous attribuons, à tort ou à raison, la cause de nos malheurs, de nos misères.
Au terme de cette première question, nous prenons des résolutions pour le changement individuel, personnel et collectif.
La deuxième : Quel est le Congo dont je rêve ? Quel est le Congo dont nous rêvons tous ? Cette question nous place dans la position de celui qui veut construire sa maison et commence d’abord par rêver de ce que sera sa maison. Il imagine ce que sera la maison qu’il veut bâtir et dans laquelle il veut vivre. Il en fait un portrait-robot avant de confier le travail d’élaboration du plan à un architecte.
Nous devons être les concepteurs et les architectes de la Maison Congo dans laquelle nous voulons vivre ensemble. Nous devons rompre avec le Congo conçu par les autres et pour les autres afin de penser au Congo qui sera le nôtre.
C’est à cette étape que devrait intervenir l’élaboration d’une charte ou d’une constitution qui comprendra les normes collectives auxquelles nous devons nous soumettre tous sous peine d’une sanction positive afin de garantir un vivre-ensemble harmonieux et fraternel.
Ainsi, nous quitterons les constitutions élaborées pour nous sans nous par les maîtres et qui privilégient leurs intérêts en ne tenant nullement compte de nos spécificités culturelles, nos valeurs culturelles.
La troisième et dernière question : que faire pour passer du rêve à la réalité ? C’est ici le lieu et le moment d’élaborer un plan stratégique d’action en répondant aux questions : qui fait quoi ? avec qui ? avec quoi ? quand ? comment et où ?
Définir les tâches et le profil de ceux qui doivent les assumer sera le premier travail à cette dernière étape. Choisir et désigner les conducteurs des travaux selon les critères et un profil, établis par nous-mêmes en conformité avec la maison de nos rêves interviennent à ce stade-ci de notre construction collective.
Les modalités de ce choix seront celles que nous aurons nous-mêmes inventées. Il n’est plus question de recourir à des élections telles que l’Occident nous l’impose alors que ces élections ont montré leurs limites même en Occident où le taux d’abstention ne fait que croître.
Ces conducteurs des travaux travailleront en équipe pluridisciplinaire où toutes les compétences seront représentées pour un travail efficace et bien fait.
Conclusion
Au terme de cette réflexion-proposition, d’aucun pourra me dire que je rêve ; c’est de l’utopie tout cela. Eh bien, je répondrais : le monde appartient à ceux qui savent rêver et traduire leur rêve en réalité.
Ghandi a rêvé de l’Inde indépendant et il s’est engagé jusqu’à perdre sa vie. Et l’Inde a obtenu son indépendance et se trouve aujourd’hui parmi les pays émergents.
Martin Luther King a rêvé des Etats-Unis sans discrimination raciale et s’est investi dans cette lutte jusqu’à donner sa vie. Des années plus tard après sa mort, Obama est devenu le premier président américain, noir.
Mandela a rêvé d’une Afrique du Sud sans apartheid et il a payé le prix en faisant la prison pendant une vingtaine d’années. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud vit sans apartheid.
Lumumba, Kwame Nkrumah, Thomas Sankara, Kadafi et tant d’autres ont rêvé d’une Afrique unie et forte, d’une Afrique libre et indépendante. Reprenons leur rêve et passons à l’acte pour que ce rêve, par notre engagement personnel et collectif, déterminé et résolu, devienne une réalité.
Je vous remercie pour votre aimable attention.
Fait à Kinshasa, le 25 février 2023
José MPUNDU
Prêtre de l’archidiocèse de Kinshasa