Par Jean-Pierre Mbelu
« En regardant ce peuple, on a l’impression que la Communauté internationale s’est presque résignée à la violence qui le dévore. Nous ne pouvons pas nous habituer au sang qui coule dans ce pays, depuis des décennies désormais, faisant des millions de morts à l’insu de beaucoup. » – Pape François
Rappel
La deuxième partie partie de cet article a mis l’accent sur l’appel lancé par François Mitterrand à La Baule pour que les pays africains soucieux de bénéficier de » l’aide fatale » française s’engagent sur la voie de »la démocratie ». Le Président français parlait comme si »la démocratie était une invention occidentale » et ignorait complètement « la démocratie des autres »[1]. (Une approche relevant du « vol de l’histoire »[2] et du rejet de l’histoire des idées.)
Elle revenait aussi sur la Conférence Nationale Souveraine dont les travaux furent sabotés par les agents de la lutte contre la souveraineté kongolaise au moment où les dignes filles et fils du pays de Lumumba se sentirent obligés de prendre en charge ces assises nationales en les finançant eux-mêmes. Et que, pour éviter que les Kongolais(es) trouvent par eux-mêmes la voie de leur émancipation politique, une guerre leur fut imposée dans les années 1990. Elle se perpétue jusqu’à ce jour et elle est le réel kongolais actuellement.
Dans ce contexte de guerre permanente, mener des actions politiques fondées sur des principes intangibles pour la souveraineté populaire et la souveraineté nationale m’a semblé plus urgent que localiser la démocratie dans les élections pièges-à-cons. Pourquoi ? Ces élections peuvent conduire à la formation d’un gouvernement et non à la gestion du vrai pouvoir.
Etre président ne sert pas à grand-chose
La troisième partie de cet article voudrait questionner »les vendeurs de la démocratie » et le contexte de guerre perpétuelle que connaît le Kongo-Kinshasa et indiquer les batailles urgentes à gagner. François Mitterrand, « le vendeur » de la démocratie électoraliste aux pays africains est élu en 1981.
Plusieurs pays africains ayant répondu positivement à l’appel de La Baule font la triste expérience du manque de justice et d’équité. Ils sont en proie au terrorisme et aux divisions internes entretenues par les agents du capital financier et leurs « petites mains » de « père et de mère ».
Au cours de son règne comme Président de la France, son épouse, Danielle, fait un constat selon lequel la « France juste et équitable ne pouvait pas s’établir. ». Et « alors, dit-elle, je lui demandais à François : Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais offert ? Il me répondait qu’il n’avait pas le pouvoir d’affronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme. Qu’il avait gagné un gouvernement mais non pas le pouvoir. » Et voici ce qu’elle a tiré comme leçon : « J’appris ainsi que d’être le gouvernement, être président, ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. J’ai vécu l’expérience directement durant 14 ans. [3]»
A lire un extrait de cette expérience directe, il y a lieu de se poser quelques questions. Pourquoi François Mitterrand a-t-il voulu « vendre » à l’Afrique « une démocratie » qui lui avait donné un gouvernement sans aucun pouvoir ? François Mitterrand aurait-il voulu vendre du vent aux pays africains ou les entraîner dans un processus électoraliste d’impuissance ?
Pourquoi les pays africains ayant cru à son appel ont-ils accepté d’y répondre positivement sans une étude approfondie du contexte dans lequel il a été lancé ?
Oui. François Mitterrand vendait du vent en faisant allusion à « l’aide fatale » dont pourraient bénéficier ses adeptes. Cela avant que l’un de ses successeurs, Jacques Chirac, ne vienne soutenir qu’une bonne partie de l’argent se retrouvant dans le porte-monnaie français vient de l’exploitation de l’Afrique.
Sans lire dans sa tête, il voulait que les Africains reproduisent un processus électoraliste favorable au contrôle pouvant être exercé sur eux par le capital financier et ses huissiers que sont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Pour quel résultat ?
Pour un résultat semblable à celui récolté par la France : la « France juste et équitable ne pouvait pas s’établir », comme l’a si bien affirmé Danielle Mitterrand.
Plusieurs pays africains ayant répondu positivement à l’appel de La Baule font la triste expérience du manque de justice et d’équité. Ils sont en proie au terrorisme et aux divisions internes entretenues par les agents du capital financier et leurs « petites mains » de « père et de mère ».
Au vu de cela, quelques pays africains ont pris l’initiative de marquer une pause. Ils ont mis de côté les agents du capital et les autres élites compradores pour réévaluer leur parcours en renouant avec les masses populaires afin qu’ensemble, ils luttent pour la reconquête de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire.
La République centrafricaine, le Mali et le Burkina Faso peuvent être cités comme exemples. Ils semblent donner raison à Alain Badiou lorsqu’il écrit ceci : « Je dois dire que je ne respecte pas le suffrage universel en soi, cela dépend de ce qu’il fait. » Interrompre le processus électoraliste peut permettre d’évaluer ce qu’il fait. Tout comme dans les autres domaines de l’action. « Dans aucun autre domaine de l’action et du jugement sur les actions, écrit Alain Badiou, on ne considère qu’une chose est valide en fonction de ses effets réels. [4]»
On pourrait ajouter « de ses effets réels sur le réel ». Or, qu’est-ce que le processus électoraliste dominé par le militarisme, le mercantilisme et le racisme a produit en Afrique ? Qu’est-ce que le processus électoraliste a produit dans un Kongo-Kinshasa souffrant de la guerre et d' »un coup d’Etat permanent »[5] ? Rien de bon. L’appauvrissement anthropologique, l’abâtardissement, l’assujettissement, la bêtise, etc. y sont le lot quotidien des masses populaires zombifiées. Pour cause.
Chute du mur de Berlin et guerre contre la souveraineté
La chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS ont laissé la porte ouverte à l’expansion du capital financier manipulé par des globalistes apatrides, leurs multi et transnationales. Ces globalistes apatrides, partisans et artisans de « la souveraineté individualiste » au service de quelques familles, sont entrés en guerre contre les Etats-nations souverains et/ ou aspirant à leur souveraineté en recourant à la militarisation des armées des pays qu’ils gouvernent ainsi que ceux de leurs alliés et en soutenant des guerres par procuration. Un article très détallé traitant de la recolonisation du Kongo-Kinshasa cite certains noms et soutient que «les États-Unis et le Canada ont toujours eu pour objectif de saper la souveraineté africaine et de faciliter l’exploitation des ressources du continent par les sociétés américaines et canadiennes, de façon générale – et dans une perspective plus large, par les sociétés occidentales. [6]»
En vue de camoufler leur participation à leurs guerres par procuration, ils ont eu recours au discours sur « la démocratie », « les élections libres et transparentes » et la protections des « droits de l’homme ». Ils ont organisé des guerres de basse intensité et imposé une doxa à leur unique profit. Ils pratiquent en permanence l’inversion sémantique et l’inversion accusatoire.
En vue de camoufler leur participation à leurs guerres par procuration, ils ont eu recours au discours sur « la démocratie », « les élections libres et transparentes » et la protections des « droits de l’homme ». Ils ont organisé des guerres de basse intensité et imposé une doxa à leur unique profit. Ils pratiquent en permanence l’inversion sémantique et l’inversion accusatoire. Ils ont les seuls à dire qui est »démocrate » et qui ne l’est pas, où est-ce les élections libres, transparentes et démocratiques ont eu lieu ou ne l’ont pas été, etc.
Tel est le contexte mondial, africain et kongolais dans lequel est né le fétichisme électoraliste. En fait, il signifie une reconduction du discours et d’un processus néocolonisateurs et/ou recolonisateurs sans les questionner par peur de déplaire aux « souverainistes individualistes », »maîtres du monde ».
Ce processus biaisé et piégé conduit à la cooptation des élites compradores pouvant servir « les souverainistes individualistes », producteurs de « nouveaux féodalismes » au détriment de la souveraineté populaire et nationale.
Pour conclure : gagner la bataille de la souveraineté populaire et de la souveraineté nationale
Les résistants, les dissidents, les leaders éveillés et les patriotes kongolais ayant analysé et compris ce jeu estiment de plus en plus qu’ils doivent travailler à l’avènement de »l’intercommunautaire » à la base pour emporter la bataille de la souveraineté populaire. Ils refont le lien brisé entre les communautés par les politicards à cause de leurs discours partisans mis au service des globalistes apatrides en guerre contre la souveraineté nationale.
Gagner la bataille de la souveraineté populaire est une question du nombre. C’est-à-dire des masses critiques s’organisant en fonction du réel kongolais pour devenir, sur le court, moyen et long terme « les démiurges de leur propre destinée » en pesant dans les rapports de force afin que le gain de la souveraineté populaire soit suivi de celui de la souveraineté nationale , gages de la justice , de l’équité et de l’indépendance réelle.
Gagner la bataille de la souveraineté populaire à partir des collectifs citoyens interconnectés, « unis par le sort et dans l’effort » pour « bâtir un pays plus beau », cela peut induire le renversement des rapports de force les opposant aux élites compradores et l’invention d’ une légitimité autre que celle prônée par les fétichistes électoralistes.
Gagner la bataille de la souveraineté populaire est une question du nombre. C’est-à-dire des masses critiques s’organisant en fonction du réel kongolais pour devenir, sur le court, moyen et long terme « les démiurges de leur propre destinée » en pesant dans les rapports de force afin que le gain de la souveraineté populaire soit suivi de celui de la souveraineté nationale , gages de la justice , de l’équité et de l’indépendance réelle. (à suivre)
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961