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Le Congo-Kinshasa, la mémoire historique et l’inculture

Le Congo-Kinshasa, la mémoire historique et l’inculture

Le Congo-Kinshasa, la mémoire historique et l’inculture 800 602 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

De temps en temps, il nous semble nécessaire de rappeler les questions liées à la mémoire historique et à leur répercussion sur le devenir collectif des peuples. A la veille de l’Année 2015, le Congo-Kinshasa nous semble faire face à une inculture galopante. Les évocations sporadiques des grandes figures de son histoire ne sont pas de nature à redonner à sa mémoire historique la place qu’il faut dans la lutte pour sa souveraineté et sa fierté.

Il y a, dans certains milieux congolais, une terrible aversion pour l’écrit et le livre. Dans ces milieux, il est plus aisé de commenter les discours ‘’des grands de ce monde’’ que de poser la question de savoir à partir d’où ils parlent. Ces discours donnent souvent l’impression de balayer d’un revers de la main toute une histoire dont ‘’ces grands ‘’ sont soit des continuateurs ou des acteurs.

« Les grands de ce monde et l’inversion sémantique »

Pour leurs applaudisseurs, ces discours rendent opaques les problématiques que ‘’ces grands’’ voudraient cacher ou à leur propre peuple ou aux peuples des pays où ils agissent pour la sauvegarde des intérêts de ‘’nouveaux cercles de pouvoir’’, des multi et des transnationales. Souvent, ‘’ces grands’’ servent à leurs ‘’nègres de service’’ et autres applaudisseurs des mots et des expressions vidés de toute leur substance collectivement partagée tels que le vote, les élections libres, transparentes et démocratiques, la démocratie, la liberté, etc. Pour dire les choses autrement, ils font usage d’une inversion sémantique transformant leurs applaudisseurs en ‘’fanatiques réalistes’’.

Travaillant sur fond des archives, ‘’ces grands’’, acteurs historiques et/ou continuateurs des œuvres de ‘’leurs pères’’ sapent la mémoire historique des populations entières. Ils se transmettent, de génération en génération, cette conviction : « Les populations, nous le savons, n’ont pas de mémoire historique. Ils répètent inlassablement les erreurs du passé sans se rendre compte que ces mêmes erreurs avaient conduits leurs pères, avant eux, aux mêmes déchéances qu’ils vivront en pire (…). » Concrétisons notre propos en partant de l’exemple du Congo-Kinshasa.

Corrompus par la logique du ‘’court terme’’, les applaudisseurs des ‘’grands’’ n’ont que faire, au Congo-Kinshasa, des leçons de l’après Mobutu ou Laurent-Désiré Kabila : ‘’ils sont réalistes et pragmatiques, disent-ils’’.

Les applaudisseurs des ‘’grands’’ ont vite oublié qui a fabriqué Mobutu, Laurent-Désiré Kabila et ‘’le raïs’’. Ils estiment qu’ils sont ‘’réalistes’’ en obéissant à la cynique mise en scène des ‘’créateurs’’ de Mobutu, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila. Ils croient que cette fois-ci sera la bonne ! Qu’il n’y a pas d’alternative aux propositions de ces ‘’créateurs des dictateurs’’. Qu’ils sont les seuls habilités à créer et à se débarrasser de ‘’leurs créatures’’. Que c’est un manque de ‘’réalisme’’ de refuser de saisir les opportunités qu’ils offrent et de proposer d’autres voies locales et patriotiques. Surtout celles qui voudraient que les résultats d’une alternative crédible soient visibles à moyen ou à long terme. Corrompus par la logique du ‘’court terme’’, les applaudisseurs des ‘’grands’’ n’ont que faire, au Congo-Kinshasa, des leçons de l’après Mobutu ou Laurent-Désiré Kabila : ‘’ils sont réalistes et pragmatiques, disent-ils’’.

Plusieurs parmi eux ont renoncé, par ‘’pragmatisme’’ à la culture, à la formation continue, à la diversification et à un tri sage et informé des sources d’informations ; ils opèrent sur le tas et sont fanatiques des médiamensonges dominants.

Pour une lutte pour la souveraineté et la dignité des peuples

Pour le Congo-Kinshasa, cela crée ‘’des situations cocasses’’. Cela d’autant plus « qu’au sein des organismes internationaux dont principalement les Nations-Unies, l’Union Européenne et l’Union Africaine, on assiste à des scènes les plus ridicules où les pyromanes sont en même temps des sapeurs pompiers, des criminels s’érigent eux-mêmes en enquêteurs et puis en juges de leurs propres crimes, et les agresseurs deviennent eux-mêmes médiateurs vis-à-vis des leurs victimes agressées… !»[1]

Le Cuba de Fidel Castro, la Bolivie de Morales, le Venezuela d’Hugo Chavez, l’Equateur de Rafaël Correa, etc., ont refusé de vendre ‘’leur fierté’’ par ‘’réalisme’’ et/ou ‘’pragmatisme’’. Ils ont compris que les peuples vivent surtout de la fierté d’être eux-mêmes et du recours permanent à leur mémoire historique pour la transformer en une mémoire vivante, créatrice d’un imaginaire alternatif.

Il y a ici une instrumentalisation des organismes internationaux par ‘’les grands et les criminels’’ dont se foutent plusieurs ‘’pragmatistes et réalistes congolais’’. Victimes d’une certaine renonciation à la recherche permanente, ils perdent en esprit de discernement.

Il nous semble urgent que les minorités congolaises organisées et agissantes comprennent davantage l’importance de travailler sur des archives pour éviter d’être victimes de la ‘’stratégie du chaos et de mensonge’’ que cachent souvent ‘’les discours des grands de ce monde’’. Ce faisant, elles pourraient susciter le débat d’idées et contribuer à la lutte contre l’inculture qu’une certaine ‘’élite politique et intellectuelle dite pragmatiste et réaliste’’ est en train de propager.

Il y a de plus en plus, à travers le monde, des cas des luttes pour la souveraineté et la dignité des peuples qui ont pris du temps avant d’aboutir. Ces peuples et leurs mouvements sociaux ont pris le temps d’identifier leurs véritables agresseurs et leur mode opératoire. Ils ont organisé leur résistance et l’ont transmutée, au moment opportun, en pouvoir. Ils ont finalement promu les meilleurs d’entre leurs filles et fils aux plus hautes charges de l’Etat. Ils n’ont pas confondu vitesse et précipitation. Car ils avaient besoin de conserver leur initiative historique.

Le Cuba de Fidel Castro, la Bolivie de Morales, le Venezuela d’Hugo Chavez, l’Equateur de Rafaël Correa, etc., ont refusé de vendre ‘’leur fierté’’ par ‘’réalisme’’ et/ou ‘’pragmatisme’’. Ils ont compris que les peuples vivent surtout de la fierté d’être eux-mêmes et du recours permanent à leur mémoire historique pour la transformer en une mémoire vivante, créatrice d’un imaginaire alternatif.

 

Mbelu Babanya Kabudi


[1] P. MBEKO et H. NGBANDA, Stratégie du chaos et du mensonge. Poker menteur  en Afrique des Grands Lacs, Québec, L’Erablière, 2014, p.38.

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