• IDEES & RESSOURCES POUR REINVENTER LE CONGO

Moïse Katumbi face à la foule lushoise. Un essai de relecture

Moïse Katumbi face à la foule lushoise. Un essai de relecture

Moïse Katumbi face à la foule lushoise. Un essai de relecture 960 638 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

Plusieurs commentaires ont été faits et le sont encore sur le retour de Moïse Katumbi à Lubumbashi. Dans les lignes qui suivent, nous tentons de nous livrer à une lecture seconde pour dégager l’un ou l’autre message contenu dans ‘’l’accueil triomphal’’ reçu par ‘’Moïse’’.

Le mardi 23 décembre 2014, à son retour de Londres où il a été hospitalisé, le gouverneur du Katanga a tenu un petit discours de sept minutes. Il est sobre. Il s’adresse à la foule en swahili. Sa parabole de trois pénaltys est décodée rapidement par la foule. Ceux et celles qui écoutent Moïse Katumbi se rendent compte qu’il y a une sorte de symbiose entre lui et cette foule nombreuse.

Les commentaires sur ce discours vont bon train. Plusieurs commentateurs annoncent la rupture en Moïse Katumbi et le chef de sa famille politique, Joseph Kabila. D’autres y voient un signe précurseur du succès que l’actuel gouverneur du Katanga pourrait avoir aux élections de 2016 si jamais il posait sa candidature à la présidence de la République. D’autres encore y voient ‘’la maturité politique’’ du peuple katangais en particulier et du peuple congolais en général.

L’accueil de Moïse Katumbi et le rappel de notre mémoire historique

C’est vrai. Lire dans l’accueil de Moïse Katumbi autant de messages est possible. Il est possible que plusieurs associations de la société civile et certains partis politiques se retrouvant dans cette foule soient porteurs de l’un ou l’autre message politique plus ou moins clair : l’appel à l’alternance au pouvoir, le souhait d’avoir un leader politique parlant le langage le rapprochant du peuple, un langage que le peuple comprendre, le désir d’avoir un leader populaire capable de mobiliser les masses, etc. Néanmoins, il serait intéressant d’éviter la confusion entre la foule et les masses critiques. Il serait aussi intéressant de jeter un coup d’œil à notre mémoire historique.

Quand Mobutu est revenu de soins de la France avant l’entrée de l’AFDL au Congo-Kinshasa, il a bénéficié d’un bain de foule inimaginable. Cela n’a pas empêché à plusieurs de ses compatriotes d’applaudir ‘’les kadogos’’ et de les accueillir en ‘’héros’’ à Kinshasa au mois de mai 1997. (Les foules se retourneront contre ‘’les Kadogos’’ quand certains de leurs meneurs se rendront compte que l’AFDL était à la fois un conglomérat d’aventuriers et ‘’un Cheval de Troie’’.)

Sans minimiser ces moments de grands rassemblements et les messages qui s’en dégagent, il y aurait moyen de dire qu’ils sont beaucoup plus émotionnels que rationnels. Le souhait aurait été qu’ils soient les deux à la fois.

Quand Etienne Tshisekedi, donné pour mort, est retourné au Congo-Kinshasa, après les soins reçus en Belgique, afin de battre campagne pour les élections pièges à con de 2011, il est accueilli en ‘’véritable chef’’ d’Etat dans plusieurs coins du pays. Les foules sont souvent au rendez-vous. Elles ont même défié ‘’le raïs’’ dans l’un des stades de Kinshasa en chantant : ‘’Oh ya Tshitshi eee zongisa ye na Rwanda’’. Hélas ! Ces foules ont disparu à la confiscation du ‘’pouvoir’’ par ‘’les maîtres du monde’’ au profit du ‘’raïs’’ décrié.

Quand Alain Moloto meurt, les foules allant à ses obsèques paralysent la circulation et prennent en otage une bonne partie de la population kinoise. Leurs messages sur la responsabilité des commanditaires présumés de cette mort sont clairs : ils doivent pays. Jusqu’à ce jour, rien n’est encore réalisé dans ce sens.

Sans minimiser ces moments de grands rassemblements et les messages qui s’en dégagent, il y aurait moyen de dire qu’ils sont beaucoup plus émotionnels que rationnels. Le souhait aurait été qu’ils soient les deux à la fois. Combiner en conscience l’émotionnel, le raisonnable et le rationnel aurait l’avantage de transformer ces foules en masses critiques ayant un plan d’actions à réaliser sur le court, le moyen et le long terme. Des masses critiques ayant ‘’la conscience de soi’’ coordonnées par des leaders ayant ‘’une conscience intime, irréductible et singulière’’[1] d’eux-mêmes pourraient devenir des mouvements avant-gardistes pour un autre Congo. Ceux-ci sont différents des politicards opportunistes et fanatiques du court terme dans lequel confinent l’organisation des élections bourgeoises, véritables pièges à con.

Transformer les foules en masses critiques

Des masses critiques éprises du désir de voir leur pays, le Congo-Kinshasa, devenir un havre de paix respectueux de sa souveraineté, protecteur de ses terres et de la dignité de ses filles et fils peuvent programmer des actions de résistance aux forces de la mort et de la décivilisation en les fondant sur une bonne maîtrise de leur mémoire historique collective, en apprenant des erreurs du passé, en identifiant leurs pyromanes déguisés en pompiers et en s’inscrivant en faux contre la logique de la renonciation et de la capitulation face à l’inégalité des forces en présence.

C’est vrai. Pour en arriver là, elles ont besoin des leaders dialoguant en permanence avec elles sur des questions engageant l’avenir du pays et créant avec elles des lieux de batailles des idées pour un projet de société participatif.

Au regard des dimensions du Congo-Kinshasa et des enjeux face auxquels ce pays est confronté, un leadership collectif (patriote) conduirait à bon port de travail transformateur. Les pays latino-américains l’ont compris.

Moïse Katumbi en est-il un ? Pour plusieurs compatriotes congolais, la réponse est positive. Pour d’autres, il n’en a pas la carrure : c’est simplement un ‘’populiste’’ cachant des pans entiers de son passé et de la gestion calamiteuse de la cité katangaise derrière le fanatisme que son soutien au football a engendré. Ceux-ci n’ont pas vu ce qu’il a fait contre ‘’les Bakata Katanga’’ semant la mort et la désolation dans la province cuprifère. Ils vont jusqu’à évoquer ‘’les révélations’’ que ses démêlés avec Jean-Claude Muyambo ont mises sur la place publique. D’autres encore attendent voir la réaction du ‘’raïs’’ face à la dernière sortie médiatique de Moïse Katumbi. D’autres enfin disent : ‘’Attendons voir. Le Lubumbashi n’est pas le Katanga. Le Katanga n’est pas le Congo’’.

Tout cela étant, le dernier accueil ‘’triomphal’’ du gouverneur du Katanga pose aux politiciens et aux autres leaders ‘’charismatiques’’ de la société congolaise l’épineuse question de la transformation des foules en masses critiques ayant une conscience suffisamment clair des luttes d’émancipation politique qu’elles doivent mener de manière organisée et programmée. Au regard des dimensions du Congo-Kinshasa et des enjeux face auxquels ce pays est confronté, un leadership collectif (patriote) conduirait à bon port de travail transformateur. Les pays latino-américains l’ont compris. Fidel Castro et ses amis ont mobilisé les masses cubaines pour la révolution. Celles de la Bolivie et du Venezuela ont eu la chance d’avoir Evo Morales et Hugo Chavez. Avant eux, elles ont eu Simon Bolivar et Che Guevara. Actuellement, tous ces leaders sont en train de créer, contre vents et marées, collectivement et en prenant appui sur leurs masses critiques des espaces de paix, de sécurité et de prospérité pour l’Amérique du Sud.

 

Mbelu Babanya Kabudi

[1] J. ZIEGLER, Retournez les fusils. Choisir son camp, Paris, Seuil, 2014, p. 58.

 

INGETA.

REINVENTONS

LE CONGO

Informer. Inspirer. Impacter.

Notre travail consiste à :
Développer un laboratoire d’idées sur le passé, présent et futur du Congo-Kinshasa.

Proposer un lieu unique de décryptage, de discussion et de diffusion des réalités et perspectives du Congo-Kinshasa.

Aiguiser l’esprit critique et vulgariser les informations sur les enjeux du Congo, à travers une variété de supports et de contenus (analyses, entretiens, vidéos, verbatims, campagnes, livres, journal).