Par Jean-Pierre Mbelu
Auteur d’un article très bien documenté intitulé ‘’Produire des Etats ratés’’, Edward S. Herman a publié avec D. Peterson un livre dont la traduction en français est déjà accessible. Le livre s’intitule « Génocide et propagande. L’instrumentalisation politique des massacres’’(Lux Editeur, 2012). « Un citoyen du monde » nous en propose quelques extraits:
Génocides «néfastes ». Le Rwanda et la République Démocratique du Congo.
Il faut noter que les auteurs associent les deux pays car selon eux, il s’agit d’une seule et même tragédie, puisque la conquête du Congo devait passer par celle du Rwanda (ndlr).
Dans un précédent ouvrage, nous affirmions que la dislocation de la Yougoslavie « fut peut-être la représentation d’une série d’évènements majeurs la plus biaisée des vingt dernières années ». Pour autant le continuum infiniment plus meurtrier et destructif d’invasions, de soulèvements et de guerres civiles qui a littéralement ravagé plusieurs pays de la région des Grands Lacs en Afrique centrale au cours de la même période a probablement fait l’objet d’une représentation encore plus biaisée.
Concernant le Rwanda, il est extraordinaire de voir à quel point tous les principaux acteurs de l’establishment occidental ont pu se ranger derrière une opération de propagande qui présentait les agresseurs comme des victimes et les victimes comme les agresseurs réels …
… Des Forges (HRW, ndlr) était par exemple incapable d’expliquer comment « certains Hutu » pouvaient utiliser leurs « pouvoirs officiels » à l’insu de leurs homologues Tutsi – et de leurs alliés du Front patriotique rwandais (FPR). En outre, elle fut bien obligée de reconnaître que des ministres pro-FPR étaient de mèche avec le FPR et ses projets de guerre (décrits plus bas), et qu’après l’assassinat d’Habyarimana, le FPR ne se borna pas à répondre à une vague de massacres organisée par les Hutu mais lança sa propre vague de massacres. En d’autres termes, tandis que les membres Hutu d’un gouvernement mixte pouvaient difficilement planifier un génocide des Tutsi, les Tutsi du FPR étaient en revanche on ne peut mieux placéspour paralyser toute réponse du gouvernement aux actions qu’ils avaient planifiées (et qui furent effectivement mises en œuvre) (nous le verrons, ndlr), afin de parer la menace d’élections libres que leur parti avait toutes les chances de perdre : assassiner le président Hutu et s’emparer du pays par les armes. Pour autant, si cruciaux qu’aient été les points que Des Forges dut concéder au tribunal, aucun ne filtra dans les médias occidentaux. Et dans ses déclarations publiques par la suite, elle n’en continua pas moins à marteler la ligne de propagande officielle au sujet d’une conspiration hutue préméditant un génocide.
Tenir pour avérée la version officielle du « génocide rwandais » implique premièrement de ne tenir aucun compte de l’extermination et du nettoyage ethnique des Hutu dont le FPR s’est rendu coupable bien avant la période d’avril-juillet 1994, et qui remontent à l’époque où les forces ougandaises envahirent le Rwanda, sur ordre du président (et dictateur) ougandais, Yoweri Museveni, début octobre 1990. A l’origine, le FPR était une aile de l’armée ougandaise, dont le leader, Paul Kagamé, avait dirigé les services de renseignements militaires ougandais dans les années 1980. Les combats qui suivirent cette invasion n’étaient nullement une « guerre civile » mais bel et bien une guerre d’agression, sans la moindre équivoque.
Celle-ci n’entraîna cependant ni demande de sanctions ni demande de suspension du soutien militaire des Etats-Unis et de l’Angleterre – contrairement à l’invasion du Koweit par l’Irak, à peine deux mois plus tôt, que le Conseil de sécurité sanctionna le jour même en exigeant le retrait immédiat des forces irakiennes. Contre l’invasion du Rwanda par l’Ouganda, le Conseil ne prit, jusqu’à mars 1993, absolument aucune mesure et n’autorisa même pas, jusqu’à fin juin 1993, l’envoi d’une mission d’observation (UNOMUR). A cette date, le FPR occupait déjà la majeure partie du nord du Rwanda et en avait chassé des centaines de milliers de fermiers Hutu.
Bien évidemment, Museveni et le FPR étaient clairement perçus comme servant les intérêts des Etats-Unis, tandis que le gouvernement du président Habyarimana était dans la ligne de mire pour un renversement en bonne et due forme. L’absence de réaction du Conseil de sécurité des Nations Unies découle naturellement de cette situation. Faisant le bilan de ses années passées comme représentant des intérêts américains en Afrique, l’ancien assistant au secrétariat d’Etat américain, Herman Cohen, se posait la question suivante : pourquoi … ? … La réponse à cette question, comme à celle de savoir pourquoi les Etats-Unis pesèrent de tout leur poids pour obtenir le retrait des troupes de l’ONU hors du Rwanda en avril 1994, alors que le « génocide » commençait, est tout simplement que l’armée ougandaise et le FPR faisaient au Rwanda ce que les Etats-Unis désiraient qu’on y fasse.
Dès de début des années 1990, les Etats-Unis avaient œuvré sans relâche à affaiblir le gouvernement rwandais en imposant l’abandon de nombreuses avancées économiques et sociales datant de la révolution sociale de 1959. Le gouvernement Habyarimana y perdait toute sa popularité tandis que les Etats-Unis soutenaient la position économique de la minorité tutsie. Au bout d’un certain temps, le FPR fut en mesure de légaliser la présence de ses troupes à l’intérieur du territoire rwandais, suite à une série de cessez-le-feu et d’autres accords qui aboutirent qui aboutirent finalement à la signature des Accords de paix d’Arusha, en août 1993. Imposés au gouvernement rwandais par les Etats-Unis et leurs alliés, ces accords exigeaient « l’intégration » des forces armées rwandaises et du FPR, et la mise en place d’un gouvernement « transnational » jusqu’à la tenue des élections prévues pour 1995. Ces accords étaient tout ce qui manquait au FPR pour pouvoir mener avec succès son renversement sanglant d’un gouvernement de coalition relativement démocratique et permettre à une dictature minoritaire de s’emparer définitivement du pouvoir au Rwanda.
Comme nous l’avons suggéré plus haut, le rapport prédateur/victime de la version officielle implique l’occultation d’un fait crucial : l’attentat du 6 avril contre l’appareil qui ramenait à Kigali le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntayramira président du Burundi, et qui ne laissa aucun survivant, fut effectivement perpétré par des commandos du FPR et était considéré par ses planificateurs comme le coup d’envoi décisif et essentiel de leur assaut final contre le gouvernement. Bien que les massacres de masse aient suivi cet attentat et que le FPR ait pu rapidement briser toute résistance militaire des successeurs du gouvernement de coalition d’Habyarimana puis de prendre le contrôle du pays, ces génocidaires initiaux ont toujours été et sont encore aujourd’hui décrits comme les héroïques défenseurs de l’unité nationale rwandaise contre les extrémistes Hutu et les milices Interahamwe [milices hutues progouvernementales] – effectivement victimes du FPR.
L’adhésion à cette version officielle implique aussi l’occultation d’un verdict clé de l’un des procès du TPIR, en décembre 2008. Ce procès de quatre ex-officiers supérieurs Hutu de l’armée rwandaise dura sept ans et demi et déboucha finalement sur l’acquittement des quatre accusés de la charge la plus grave retenue par le tribunal, à savoir qu’ils avaient participé à une prétendue conspiration ayant prémédité le génocide de la minorité Tutsi de leur pays. Au contraire, la cour reconnut à l’unanimité que les pièces et témoignages « corroborent clairement les préparatifs d’une lutte pour le pouvoir politique ou militaire et l’adoption de mesures prises dans un contexte de guerre déclarée avec le FPR à des fins tout à fait différentes, dès le 6 avril 1994 ». Evidemment, c’est surtout le FPR qui, dès années avant avril 1994, avait été créé et organisé pour mener une « lutte pour le pouvoir militaire » contre les Hutu, numériquement majoritaires au Rwanda.
Sans autre base électorale que la communauté Tutsi, largement minoritaire (à peine 15% de la population totale du pays), le FPR savait bien que si les élections libres stipulées dans les Accords d’Arusha devaient se tenir, il n’avait pas la moindre chance de l’emporter. Mais que ce soit en réalité le FPR lui-même qui ait conspiré pour éliminer Habyarimana et déclencher le bain de sang qui fut perpétré immédiatement après, le tribunal d’Arusha reste encore aujourd’hui incapable de l’admettre. Bien qu’il n’ait jamais pu condamner un seul Hutu pour participation à une conspiration ayant prémédité un génocide, pas une seule fois le TPIR n’a daigné envisager l’éventualité d’une conspiration du FPR – si fulgurant qu’ait pu être le renversement du gouvernement hutu et la prise de pouvoir de Kagamé. Ce paradoxe tient fondamentalement, nous semble-t-il, au soutien des Etats-Unis et de leurs alliés dont bénéficiait le FPR, et que reflète aussi bien la couverture médiatique des évènements du Rwanda, que l’activisme des ONG et intellectuels humanitaires, ou les décisions du TPIR.
Depuis leur apparition en Ouganda dans les années 1980, Paul Kagamé et le FPR étaient typiquement des créatures du pouvoir américain. Allan Stam, universitaire rwandais qui fut un temps membre des Forces spéciales de l’armée américaine, note que Kagamé « avait passé pas mal de temps à Fort Leavenworth, […] pas très longtemps avant le génocide de 1994 ». Fort Leavenworth est « le centre de formation des officiers d’Etat-major […] où les étoiles montantes de l’armée des Etats-Unis et d’autre pays viennent faire leurs classes quand leur carrière les destine à devenir généraux. La formation qu’ils y reçoivent porte sur la planification d’opérations de grande envergure. Ce ne sont pas des questions d’organisation logistique à petite échelle. Ce ne sont pas des questions de tactique. C’est plutôt comment on planifie une invasion.
Et apparemment il a bien appris ses leçons ». En 1994, le FPR et Kagamé disposaient déjà d’une stratégie très élaborée pour s’emparer du pouvoir au Rwanda qui dans sa finalisation, explique Stam, « ressemble stratégiquement à l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 1991 ». Le type de personnel et de matériel requis aussi d’ailleurs. Stam ajoute que le FPR lança son assaut final sur le gouvernement rwandaispresqu’immédiatement après l’assassinat d’Habyarimana, dans les 60 à 120 minutes après que l’appareil eût été abattu, avec « 50.000 soldats [FPR] entrant en action sur deux fronts distincts, de façon parfaitement coordonnée […]. Pas vraiment le genre de plan qu’on griffonne vite fait au dos d’une enveloppe ».
De sorte que le schéma de la conspiration hutue qui, bien qu’implicitement rejeté par le TPIR, reste au centre de la version officielle de l’establishment, est rendu bancal par la responsabilité manifeste de Kagamé et du FPR dans l’évènement déclencheur (la destruction du jet présidentiel au moment de son approche sur l’aéroport de Kigali), mais aussi par l’instantanéité et la coordination incroyables de la réponse militaire du FPR qui suggère, une fois de plus, une planification minutieuse et ne place pas les conspirateurs du même côté.
Reste encore que ce sont bien les Hutu, les prétendus auteurs du « génocide rwandais », qui ont été renversés, avec pour conséquence l’exode massif de plusieurs millions de Hutu fuyant le Rwanda dès le 4 juillet, date de la prise de Kigali par le FPR. En outre, avant la fin de ce même mois de juillet, Washington cessa de reconnaître le gouvernement renversé et n’accorda plus sa reconnaissance qu’au FPR – « entité qui exerce le contrôle effectif du Rwanda », déclarait un porte-parole du département d’Etat. Et au même moment, Washington fit envoyer des troupes américaines et une aide massive à Kigali, après avoir fait tout le lobbying possible pour obtenir, le 21 avril, un vote du Conseil de sécurité de l’ONU en faveur du retrait de la quasi-totalité des Casques bleus de l’ONU, en dépit des protestations de l’ambassadeur du Rwanda, ce qui ne pouvait que favoriser à la fois les massacres et la prise du pouvoir par le FPR. Si la version officielle (selon laquelle ce sont les Hutu qui utilisèrent l’attentat présidentiel comme prétexte) était exacte, ce serait bien la première fois dans l’histoire qu’une minorité ethnique victime d’une extermination massive serait néanmoins arrivée à renverser ses bourreaux malgré leur surnombre, et à prendre le pouvoir et le contrôle du pays … en moins de 100 jours ! On a peine à le croire (et ce n’est pas rien de le dire …).
La masse de documents qui est passée à la trappe dans cette affaire n’est pas moins incroyable. En juillet et août 1994, une enquête de l’ONU commissionnée par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) découvrit, à la place des massacres des Tutsi par les Hutu qu’elle était censée documenter, des massacres de civils Hutu (de l’ordre de 25.000 à 45.000 morts) dans les zones du Rwanda contrôlées par le FPR. Ces chiffres amenèrent le HCR à prendre la décision extraordinaire d’interdire aux réfugiés Hutu de retourner au Rwanda, afin d’assurer leur protection. Selon le New York Times, ce rapport, préparé par Robert Gersony « concluait qu’on observait ‘un type bien spécifique de massacres et de persécutions’ perpétrés par des soldats du FPR et ‘visant les populations Hutu’ ». Mais le rapport Gersony « déclencha une âpre polémique au sein de l’ONU, qui amena le Secrétaire général à exiger que les responsables des Nations Unies évitent d’en débattre » afin de calmer le FPR et à fortiori ses commanditaires occidentaux. Officiellement, ce rapport « n’existe pas » aux Nations Unies et Gersony a reçu des instructions lui interdisant de discuter de ses découvertes (interdiction à laquelle il s’est assez scrupuleusement tenu jusqu’ici).
En septembre 1994, un mémorandum confidentiel à l’attention exclusive du secrétaire d’Etat Warren Christopher apprenait à ce dernier que l’équipe du HCR « concluait qu’un type particulier de massacres avait fait son apparition » au Rwanda. Le « FPR et ses auxiliaires civils tutsis [massacraient] environ 10.000 civils hutus par mois, voire davantage, 95% des victimes étant imputables au FPR ». « L’équipe du HCR soupçonnait [précisait le mémorandum] que l’objectif de ces massacres était une campagne de nettoyage ethnique visant à purger certaines zones du sud du Rwanda afin d’y reloger des Tutsi. Les massacres visaient aussi à réduire la population hutue mâle et à décourager les réfugiés de revenir réclamer leurs terres. » Ce rapport est d’autant plus significatif que le sud du Rwanda a une frontière commune avec le nord du Burundi où une majorité tutsie est installée de longue date.
Dans un autre rapport, deux universitaires américains, Christian Davenport et Allan Stam, estimaient qu’on avait dénombré au Rwanda plus d’un million de morts entre avril et juillet 1994. Leur conclusion : « Il semble que la majorité soient des Hutu et non des Tutsi. » Initialement commissionné par le TPIR, puis laissé de côté, le travail de recherche de ces deux universitaires montrait sans la moindre équivoque que les plus importants de ces massacres correspondaient à des pics d’activité du FPR (« des poussées du FPR », selon leurs propres termes). Ainsi, au cours d’une série d’avancées du FPR, en particulier au mois d’avril 1994, le même type de massacres gratuits se répéta tout au long de leurs parcours. Les auteurs décrivent en fait au moins sept « poussées » principales du FPR (ex. : « Ils firent une poussée en avant depuis le Nord s’enfonçant dans le Nord-Ouest puis dans la partie centre-est du pays. »), chacune de ces poussées s’accompagnant de véritables bains de sang.
Fin 2009, Davenport et Stam rendirent compte de ce qu’ils appelèrent « le résultat le plus choquant » à ce stade de leur recherche : « Les massacres commis dans la zone contrôlée par les Forces armées rwandaises (FAR) [contrôlées par les Hutu] semblaient augmenter au fur et à mesure que le FPR s’enfonçait dans le pays et gagnait du terrain. (Or le nord du pays était occupé à plus de 90% par des Hutu !!! ndlr) Plus le FPR avançait, plus les massacres augmentaient. Lorsque le FPR arrêtait, les massacres de masse diminuaient substantiellement. »
Sur la base de ce constat, Davenport et Stam mettaient en évidence un lien de cause à effet entre les massacres de 1994 et les actions du FPR. Leur recherche suggère en outre que les principales hécatombes n’étaient pas dirigées contre la population Tutsi. Enfin, nombre d’observateurs et de participants de ces évènements de 1994 affirment que la grande majorité des victimes étaient des Hutu, certaines estimations s’élevant jusqu’à deux millions de morts.
… A l’instar du rapport Gersony, passé totalement sous silence, les conclusions du rapport Davenport-Stam furent particulièrement mal reçues à l’ONU, pour ne rien dire de Washington et Kigali. En butte à d’incessantes critiques et contraints de battre en retraite, leurs auteurs furent même chassés du Rwanda en novembre 2003, la première fois qu’ils annoncèrent que la « majorité des victimes de 1994 étaient de la même ethnie que le gouvernement au pouvoir ». Et ils y sont toujours interdits de séjour. En définitive, il semble que la version officielle de 800.000 morts voire davantage, majoritairement Tutsi résultant d’un « génocide programmé » perpétré par le Hutu Power, n’ait en fait aucun fondement réellement documenté en dehors des premières revendications du FPR de Kagamé et de ses commanditaires et propagandistes occidentaux, politiquement très motivés.
On en sait aussi bien plus aujourd’hui au sujet des auteurs du meurtre d’Habyarimana. Dans l’un des rebondissements les plus cruciaux, mais aussi des plus soigneusement occultés de l’histoire du « génocide rwandais », l’ex-enquêteur du TPIR Michael Hourigan en apporta les preuves dès 1996-1997, sur la base du témoignage de trois informateurs du FPR, qui reconnaissaient leur « implication directe dans l’attaque fatale à la roquette de 1994 contre l’avion présidentiel », et « dénonçaient spécifiquement l’implication directe de [Kagamé] » et de plusieurs autres membres du FPR. Mais début 1997, lorsque Hourigan remit en mains propres les résultats de son enquête à Louise Arbour, procureur général du TPIR, celle-ci se montra « agressive » et « hostile », relate Hourigan dans un affidavit, et lui fit savoir que son « investigation s’arrêtait là, car de son point de vue elle ne relevait pas du mandat du TPIR ». Une décision qui stupéfia Hourigan et que l’ex-procureur général du TPIR, Richard Goldstone, trouve lui aussi inacceptable.
Comme le confiait Goldstone à un journal danois, « l’assassinat était clairement lié au génocide » puisqu’il était « l’élément déclencheur qui fut le point de départ du génocide […] » Supprimer les preuves démontrant la culpabilité des véritables auteurs de l’attentat était crucial pour les Occidentaux, car il était embarrassant que « l’élément déclencheur » du « génocide rwandais » ait pu être activé, non par les criminels officiels, les méchants Hutu, mais par les futurs vainqueurs du conflit, les Tutsi du FPR, soutenus depuis le début par les Etats-Unis et leurs plus proches alliés (lesquels pourraient bien avoir assisté les assassins dans l’exécution de leur attentat). De même avait-on pris soin de faire passer à la trappe le fait que le premier président hutu du Burundi, Melchior Ndadaye, avait lui aussi été assassiné par des officiers tutsi de sa propre armée zen octobre 1993, une action célébrée par le FPR, mais de bien mauvais augure pour les hutu du Rwanda.
Une autre enquête bien plus complète encore, fut produite par le magistrat français Jean-Louis Bruguière, chargé de statuer sur la mort des trois membres d’équipage français aux commandes du jet présidentiel abattu en avril 1994. Ce rapport de huit années indique que l’assassinat était la conséquence du rejet, par Kagamé, des termes des Accords d’Arusha d’août 1993, concernant le partage du pouvoir. Pour Kagamé, « l’élimination physique » d’Habyarimana était donc, précise le rapport d’enquête, essentielle pour assurer le succès de la prise de pouvoir du FPR au Rwanda. Bruguière lança neuf mandats d’arrêt contre des membres haut placés du FPR, proches de Kagamé, et réclama que le TPIR lui-même lance des poursuites contre Kagamé, les limites du droit français ne lui permettant pas de poursuivre un chef d’Etat.
Toujours est-il qu’aux Etats-Unis, l’existence des preuves apportées par Hourigan ne fut évoquée qu’une seule fois, dans deux journaux différents (le Los Angeles Times et le Seattle Times) et pas une seule fois dans les plus grands : le New York Times, le Washington Post et le Wall Street Journal. Quant au rapport d’enquête du juge Bruguière, il fut évoqué dans plusieurs journaux américains (nous en avons trouvé 16), avec notamment 3 entrefilets dans le Washington Post un article assez complet dans le Los Angeles Times (intégralement repris dans le Seattle Times) et une simple présentation dans le New York Times et le Wall Street Journal pour un total de 94 mots. Curieusement, lorsqu’il s’agit de présenter les opinions de Bruguière sur Al-Qaida en tant que spécialiste français du « contre-terrorisme », les médias américains se font nettement plus volubiles. On trouve alors plusieurs dizaines d’articles, tant dans le New York Times que dans le Wall Street Journal ou le Washington Post. Mais dès qu’on fouille la presse américaine à la recherche d’une enquête de huit années portant sur les massacres de masse commis au Rwanda, et qui vise spécifiquement un client et agent des Etats-Unis, leur enthousiasme retombe comme un soufflet. Ca marche très fort la propagande.
Le continuum d’invasions, d’assassinats et autres massacres de masse par lesquels le FPR a frayé son chemin vers le pouvoir à Kigali visait de nombreux objectifs, et le soutien des Etats « éclairés » reflète, aux yeux de ceux qui les ont dénoncés devant le TPIR, une sorte de compromis entre Washington et le FPR.Washington y gagne une présence militaire forte en Afrique centrale, une diminution substantielle de l’influence de ses rivaux européens sur le terrain, une force de déstabilisation redevable assujettie à ses intérêts, et le libre accès aux fabuleuses réserves de matières premières du riche sous-sol de la RDC. Le FPR, pour sa part, y gagne la restauration du contrôle du pouvoir par la minorité tutsie au Rwanda et une carte blanche pour éliminer librement tout adversaire politique potentiel – outre les autres avantages communément liés au clientélisme : l’argent, les armes, les investissements et un prestige international non négligeable …
… Florence Hartmann, ex porte-parole du TPIY et du TPIR, relate, elle aussi, la manière dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le FPR de Kagamé interféraient considérablement avec toute tentative du bureau du procureur (Carla Del Ponte qui a été évincée pour cette raison, ndlr) d’enquêter sur les crimes du FPR. Hassan Jallow, qui a pris la succession de Del Ponte au TPIR a pour sa part déclaré officiellement que de son point de vue, l’assassinat d’Habyarimana ne relevait pas du mandat du TPIR, et depuis qu’il est en poste (depuis septembre 2003) le bureau du procureur traîne systématiquement les pieds dès qu’il s’agit des crimes du FPR, avançant constamment la nécessité d’ouvrir des « enquêtes additionnelles », sans jamais demander une seule mise en examen. Depuis fin 2008, 100% des inculpations du TPIR pour « violation aggravée du droit international humanitaire » commises en 1994 visaient des membres hutus de l’ancien gouvernement et des Hutu en général.
Aucune ne visait un membre du FPR, malgré l’engagement du TPIR à ne faire aucune distinction sur une base ethnique ou d’obédience politique, entre les personnes citées à comparaître. De fait, ni la conquête du Rwanda par les armes, ni le massacre de « 10.000 Hutu ou plus » par mois en 1994, ni aucun des nombreux massacres de l’après-guerre, ne furent jamais l’objet de poursuites du TPIR pour crimes de guerre.
Des mensonges grossiers sont à présent totalement institutionnalisés sur le Rwanda et font désormais partie intégrante de l’idée (fausse) que les Citoyens occidentaux se font de cette période. En réalité, Paul Kagamé compte parmi les plus grands exterminateurs de notre époque. Et cependant, grâce à l’extraordinaire assemblage de mythes qui l’entoure, il jouit d’une immense popularité auprès de son parrain à Washington(le plus grand exterminateur de tous les temps ! ndlr), et son image de boucher est devenue celle d’un sauveur vénéré qui mérite un solide soutien de l’Occident …
Les auteurs du livre passent ensuite en revue une série d’écrivains et de journalistes américains et canadiens (Philip Gourevitch, Stephen Kinzer, Samantha Power), la « communauté des droits de l’homme » emmenée par Alison Des Forges (HRW) et sa Commission d’enquête internationale (avec William Schabas comme membre) ou encore la Fédération internationale de la Ligue des droits de l’homme (et son président Daniel Jacoby), qui n’ont fait que diaboliser les Hutu et le régime Habyarimana et fait passer Kagamé pour un « nouvel Abraham Lincoln », le « père fondateur d’une nouvelle Afrique » ou encore « l’une des grandes étoiles du continent », etc, etc, en faisant passer à la trappe les preuves les plus flagrantes de la responsabilité du FPR dans l’agression initiale, dans l’attentat aérien et les massacres de 1990 à 1994. Ils continuent ensuite de la manière suivante :
Dans le cas du « génocide rwandais », la « communauté des droits de l’homme » joua elle aussi un rôle inhabituellement actif, soutenant pleinement les agresseurs réels, à l’unisson des perspectives et politiques de leurs propres gouvernements. Tout comme dans le cas des agressions occidentales contre la Yougoslavie (1999) ou l’Irak (2003), HRW, entre autres ONG, préféra ignorer le « crime international suprême » (ou « l’acte d’agression de l’Ouganda », pour reprendre l’expression d’Herman Cohen) et minorer, d’une façon aussi prodigieusement partiale que commode, le niveau de violations des droits de l’homme. Ainsi préfèrent-ils minorer ou ignorer totalement l’exode provoqué par l’invasion et l’occupation du nord du Rwanda par les troupes ougandaises et le FPR, puis par la pénétration et la subversion de factodu reste du pays par le FPR.
Toute réponse à celles-ci de la part du gouvernement d’Habyarimana, à partir d’octobre 1990 puis par la suite, pouvait dès lors soulever des accusations de violations « des droits de l’homme » et être dénoncée pour preuve d’une répression intolérable. (La provocation comme système pervers qui permet de dénoncer l’organisation de la résistance faisait aussi partie de la planification globale du FPR et de ses complices, ndlr). Enfin, les preuves les plus flagrantes de la responsabilité du FPR dans l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel furent systématiquement passées à la trappe, manifestement parce que leurs implications contredisaient totalement la thèse d’un génocide hutu prémédité et d’une réaction d’autodéfense du FPR volant au secours du Rwanda (les deux éléments clés de la version officielle).
Il nous semble clair que ce parti pris a joué un rôle non négligeable de soutien à l’agression du FPR, facilitant d’autant sa progression au cœur du pays et la mise en œuvre de son assaut final. Mais surtout, ce qui pour nous ne fait aucun doute, c’est qu’en abondant dans le sens de la propagande, ce parti pris a considérablement contribué aux massacres de masse qui ont suivi – et c’est précisément ce dont la véritable politique des Etats-Unis dans la région avait besoin …
… Dans son rapport annuel de 1993, HRW notait que cette année-là, lorsque le FPR lança sa grande offensive, il justifia son action en partie par la nécessité de « contrer les violations des droits de l’homme commises par le gouvernement rwandais », telles que celles dénoncées par devant le monde entier par le rapport de la commission. En d’autres termes, dès lors que la majeure partie des attaques du rapport de la commission étaient portées contre le gouvernement d’Habyarimana, le travail de la commission contribuait véritablement à mettre en cause la légitimité du gouvernement rwandais et à établir celle des forces armées du FPR. Le FPR s’étant empressé d’utiliser les allégations de la commission pour justifier une vague de massacres, il nous semble clairement démontré que l’impact général de ce rapport ainsi que du travail de HRW et de ses alliés sur la question rwandaise au cours des deux dernières décennies – aura été de légitimer les massacres à venir, et notamment ceux perpétrés en République démocratique du Congo (RDC), régulièrement décrits comme ayant été commis par le FPR et l’armée ougandaise traquant en toute bienveillance les « génocidaires » Hutu.
(Tout ceci montre qu’en justifiant par anticipation les crimes du FPR, ces organisations ne sont pas seulement complices mais qu’elles ont participé à la planification, à la guerre et aux massacres – le FPR sur le terrain militaire et elles sur le terrain médiatique. C’est la raison pour laquelle elles ne reconnaîtront jamais les crimes du FPR car ils sont aussi les leurs. Et à ce titre, elles devraient être transférées, elles aussi devant la CPI. Mais comme les généraux nazis au Tribunal de Nuremberg, elles continueront de nier jusqu’à la fin, ndlr).
Comme on peut le voir plus haut dans le tableau 1.1 (p. 53), les massacres de masse commis au Rwanda en 1994 demeurent le cas par excellence où le terme de « génocide » semble requis. Il a été plus souvent utilisé dans le cas du Rwanda que dans aucun autre cas de cette étude (3199 fois en tout, soit 3 fois plus que pour le Darfour). Cette réussite tient, nous semble-t-il, principalement à une assimilation remarquablement efficace des Hutu aux méchants, perpétrant un « génocide » prémédité contre les Tutsi – massacre à la fois mythique et néfaste – et du FPR de Kagamé aux gentils, défenseurs et sauveurs à la fois des Tutsi, du Rwanda et de l’Afrique centrale, et devenus un beau jour, contre toute attente, les nouveaux maîtres du pays. Cette version officielle ouvrait aussi la voie à Kagamé et à son allié ougandais Yoweri Museveni – les deux plus inconditionnels clients des Etats-Unis dans la région – pour envahir et occuper périodiquement le Zaïre voisin (rebaptisé Congo depuis 1997) et surtout, sans que la « communauté internationale » y trouve à redire.
Le Pentagone a très activement soutenu ces invasions successives du Congo, plus activement encore qu’il n’avait soutenu la prise de Kigali par le FPR. Elles eurent notamment pour conséquence l’extermination de plusieurs milliers de réfugiés hutus dans une série de massacres entre 1994 et 1997. Elles servaient aussi de prétexte à des séries d’assaut de Kagamé et Museveni contre le Congo qui ont profondément déstabilisé et désorganisé cet immense pays de près de 60 millions d’habitants, où ils ont fait littéralement des millions de morts. Dans la lettre de démission qu’il adressait au procureur Hassan Jallow, l’universitaire belge Filip Reyntjes, témoin expert devant le TPIR, évoqua notamment « l’impunité » qui mettait les leaders du FPR à l’abri de toute poursuite. Les crimes du FPR « relèvent clairement de la compétence du TPIR », écrit-il. « Ils sont largement documentés, ne manquent ni de témoignages ni de preuves, et l’identité même des suspectes du FPR est connue […]. Or, c’est précisément parce qu’on a conforté le régime de Kigali dans ce sentiment d’impunité qu’il a pu commettre dans les années qui ont suivi 1994, des crimes immenses, internationalement reconnus, tant au Rwanda même qu’en République démocratique du Congo.
Tout cela aussi était compatible avec les intérêts et les politiques des puissances occidentales, car cela facilitait le remplacement de Mobutu par Laurent Désiré Kabila, plus malléable, puis par son fils Joseph, et l’ouverture du Congo à une nouvelle vague d’exploitation effrénée des forêts, pierres précieuses et autres minerais rares, par les compagnies occidentales, dans une guerre des ressources d’un autre type – intéressante illustration de ce qu’on entend par « thérapie de choc », prodigieusement létale pour la population congolaise (l’équivalent d’un tsunami tous les six mois pendant plus d’une décennie), mais particulièrement lucrative pour une infime élite industrielle et militaire. Dans une série de rapports de l’ONU qui reviennent fréquemment sur la notion de « réseau d’élites » au sens de « groupes politiquement et économiquement puissants investis dans des activités d’exploitation » et qui seraient au cœur du génocide du Congo, on peut lire : « L’économie de guerre contrôlée par les trois réseaux d’élites [Kinshasa, Rwanda et Ouganda] qui opèrent en République démocratique du Congo, domine les activités économiques de la majeure partie de la région des Grands Lacs […]. Des années de non-droit total et un gouvernement incapable de garantir la protection de ses citoyens ont permis à des groupes armés de dévaliser et piller les ressources du pays en toute impunité […]. Ceux-ci ont mis en place un système d’économie de guerre autofinancée, centrée sur l’exploitation des ressources minérales » – et la vente de celles-ci, aux industriels qui produisent les ordinateurs et les téléphones portables de notre vie quotidienne.
Grâce au soutien des Etats-Unis, Paul Kagamé et Yoweri Museveni sont incontestablement devenus des acteurs clés des épouvantables massacres qui ont ensanglanté le Congo. Ces massacres sont donc seulement bénins, contrairement à ceux du Darfour et du Kosovo. Comme le montre le tableau 1.1 (p. 53), dans toute la presse des Etats-Unis, on ne parle de génocide au sujet du Congo que 17 fois, soit une seule utilisation du terme de « génocide » tous les 317.647 morts, alors que pour les massacres néfastesd’Albano-Kosovars par exemple, seuls 12 morts suffisaient pour qu’on parle déjà une fois de génocide.On peut difficilement démontrer plus clairement pourquoi nous constatons qu’il y a bien une « politique du génocide ».