Par Jean-Pierre Mbelu
La rupture de Jean-Claude Muyambo avec la Majorité Présidentielle (MP) peut, à première vue, paraître anodine. Il y procède sous le coup de l’émotion. Seul, dans un avion, sans une concertation préalable de ses collaborateurs. Ce qui trahit un certain fonctionnement des partis politiques congolais ! Mais il procède quand même à cette rupture en lisant dans l’appel lancé par un autre membre de la MP, le gouverneur du Kasaï Oriental, une atteinte aux règles de la démocratie. Ici, il y a lieu de poser la question de savoir depuis combien de temps le Congo-Kinshasa, un ‘’Etat raté’’, est compté parmi les pays démocratiques. Pourquoi certains acteurs politiques congolais parlent-ils de ‘’frein à la démocratie’’ là où les mercenaires des entreprises mortifères sont engagés à détricoter la souveraineté du pays pour en faire un marché autorégulé sans plus ? Où en est la bataille des idées sur ces questions au Congo-Kinshasa ?
Embarqué dans un avion pour une matinée politique à Mbuji-Mayi[1], Jean-Claude Muyambo, président du parti congolais SCODE, a appris d’une hôtesse de l’air qu’il devait retourner à Lubumbashi sur ordre des services de sécurité. Sa réponse ne s’est pas fait attendre. Il a décidé de claquer la porte de la Majorité Présidentielle (MP). Sa vie et celle de ses collaborateurs ayant été mises en danger par un membre de cette MP, le maire de Mbuji-Mayi, Jean-Claude Muyambo a tapé du poing sur la table en disant : ‘’On n’est plus dans la Majorité Présidentielle à partir de ce jour et on entre dans l’opposition totale’’. A ses yeux, un membre de la MP obéissant aux ordres des services de sécurité a constitué ‘’un frein à la démocratie’’.
Le cas de Jean-Claude Muyambo et la crédulité de certains congolais
Pour rappel, la SCODE est l’un des rares partis de la MP a avoir dit tout haut qu’elle s’opposait à la révision constitutionnelle et surtout à celle de l’article 220. Est-ce pour cela que sa matinée politique prévue à Mbuji-Mayi (après versement de la somme exigée à qui de droit) a été interdite ? Plusieurs analystes politiques et journalistes congolais répondent positivement à cette question. Mais, est-ce là la question essentielle à poser pour le moment ? Qui a dit à Jean-Claude Muyambo que la MP travaillait à la promotion de la démocratie au Congo-Kinshasa ? Qui est ‘’l’autorité morale de la MP’’ ? Qui a défini sa mission dans ce pays ? Claquer la porte de la MP pour ‘’une opposition totale’’ pose un certain nombre de questions. Une ‘’opposition totale’’ contre qui ? Pourquoi ?
Depuis les années 90 (et même un peu plus tôt !), le Congo-Kinshasa est pris dans un engrenage politico-économique que plusieurs de ses filles et fils apprennent maîtriser. Plusieurs résistent aussi à cette maîtrise. Cela, même quand les faits viennent les forcer à laisser tomber les écailles de leurs yeux. Leurs cœurs et leurs esprits mangés par un discours néolibéral mensonger ont de la peine à opérer la rupture. Le cas de Jean-Claude Muyambo et son parti est un exemple patent de la crédulité où s’enfoncent au quotidien un certain nombre de compatriotes congolais : ils croient que ‘’le conglomérat d’aventuriers’’ venu du Rwanda et de l’Ouganda pour aider les acteurs pléniers à avoir la mainmise sur les matières premières stratégiques du Congo-Kinshasa était aussi porteur de ‘’la bonne nouvelle de la démocratie et de la liberté’’.
Malgré toute la documentation montrant par a plus b que la guerre de prédation et de basse intensité menée par l’élite dominante anglo-saxonne dans les Grands Lacs africains par les proxies interposés n’a conduit aux élections libres, démocratiques et transparentes ni en 2006, ni en 2011 et que ces élections n’ont été ni plus ni moins des ‘’pièges à cons’’, plusieurs compatriotes, comme Jean-Claude Muyambo, ont encore foi dans ce processus.
La RD Congo et la bataille des idées
Il y a là, nous semble-t-il, un problème sérieux : la bataille des idées, sur le processus enclenché au Congo-Kinshasa et dans les Grands Lacs à partir des années 90, peine à faire sérieusement tache d’huile. Ceci comporte un risque : retarder le vrai début du processus d’émancipation politique totale du Congo-Kinshasa des forces néolibérales de la destruction et de la mort.
A moins que certaines minorités organisées et agissantes décident de passer à la vitesse supérieure en harmonie avec ‘’les progressistes’’ d’autres pays du monde, il sera difficile au Congo-Kinshasa de gagner la bataille de sa souveraineté économique, politique et culturelle tant que plusieurs de ses filles et fils n’auront pas purement et simplement rompu avec le statu quo créé par ‘’la guerre de l’AFDL’’ pour organiser ‘’une opposition totale’’ et une résistance farouche contre les acteurs pléniers de la descente de ce pays en enfer.
Il faudrait aussi que ces filles et ces fils du Congo-Kinshasa se convainquent que les acteurs pléniers de la guerre de basse intensité et de prédation menée contre leur pays ne croient pas en la démocratie et dans les droits fondamentaux. Ils ont opté depuis plus de 500 ans pour le déni de l’altérité[2]. Présentement, ils orchestrent le chaos sur fond de cupidité, d’avarice et de mensonge dans plusieurs pays du monde, les leurs y compris.
Un imaginaire alternatif à recréer comme socle d’un autre envol
Une lecture faussée des processus qu’ils conduisent à partir de l’ombre est le véritable frein à la véritable démocratie. Elle mène sur des fausses pistes en proposant des fausses cibles. Présentement, ils sont occupés à convaincre plusieurs d’entre nous que ‘’la fin de la kabilie’’ est une porte ouverte sur les lendemains qui chantent. Ils mentent comme ils l’ont fait en 1961 en participant à l’assassinat de Lumumba ; comme en 1997 en chassant Mobutu ; comme en 2001 en organisant l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila. Malheureusement, ils ont l’argent et les médias dominants ! Ils sont, comme d’habitude, disposés à acheter ‘’leurs nègres de service’’ dont une partie sera envoyée à la mort et organiser la propagande à travers les médias. D’où un appel à un effort de contre-propagande.
Un Front uni dans la bataille des idées pour un Congo libre et prospère, dans la production des moyens stratégiques, matériels et spirituels de cette bataille pourrait, à moyen terme, ouvrir de nouvelles perspectives au pays de Lumumba. Sur ce point, ‘’les intellectuels subversifs congolais’’ font du bon travail à travers certains journaux et livres. (Nous attendons avec impatience la mise sur la place publique de ‘’Stratégie du chaos et du mensonge. Poker menteur en Afrique des Grands Lacs’’ de Patrick Mbeko et Honoré Ngbanda pour enrichir cette bataille.)
Malgré certaines de ses ‘’alliances contre-nature’’, le Palu d’Antoine Gizenga, lors de sa récente Université, semble avoir indiqué une piste à exploiter pour aller plus loin dans cette bataille des idées. La diversité d’intervenants, la présence de certains compagnons des maquis de la résistance congolaise et la sérénité ayant caractérisé certains débats à cette Université sont, à nos yeux, des signes encourageants. Ces signes nous disent qu’un autre Congo est possible si ses filles et fils décident en conscience de gagner prioritairement la bataille des idées. Oui. Il y a un imaginaire alternatif à recréer comme socle d’un autre envol. Il y a un Etat social et national à refonder au cœur de l’Afrique sur des idées claires et une éthique humanisante.
Mbelu Babanya Kabudi