Par Jean-Pierre Mbelu
« Soyons réalistes : c’est l’impossible qui arrive. Quand l’Afrique retrouvera toute sa capacité de penser, alors elle se remettra debout, libre et fière. » – J.-M. Ela
Mise en route
Il y a trente-deux (32) ans qu’une marche pacifique organisée par des chrétiens kongolais fut étouffée dans le sang par la soldatesque de Mobutu. Les organisateurs de cette marche avaient un objectif à atteindre : la réouverture de la Conférence Nationale Souveraine.
Célébrer l’anniversaire de cette marche participe de l’entretien de la mémoire des luttes socio-politiques kongolaises. Ces luttes, signe manifeste de la résistance au système néocolonial, sont liées à une quête permanente d’un bien-vivre et d’un mieux vivre ensemble.
Des chrétiens, ayant cru que la Conférence Nationale Souveraine pouvait être un moment refondateur du pays, ont versé leur sang pour que cette « palabre africaine » puisse poursuivre ses travaux.
Trente-deux ans après
Trente-deux ans après, il serait souhaitable de se poser la question de savoir si cette Conférence Nationale n’est pas « une affaire à suivre »[1], comme l’écrivait Fabien Eboussi Boulaga.
Convivialité, reconnaissance mutuelle, dignité, égalité, bien public, force argumentative de la parole, respect de l’autre, rejet de la violence réelle ou symbolique devraient être des concepts structurant le vivre ensemble kongolais dans un pays en proie à une guerre perpétuelle.
Souffrant d’un manque criant d’une souveraineté réelle et d’une véritable indépendance économique, d’un déficit de cohésion sociale et nationale, le Kongo-Kinshasa n’a-t-il pas besoin d’institutionnaliser « une palabre africaine » ou « une agora » pouvant être mise en place tout moment, afin de faire du « pouvoir de concevoir et d’entreprendre ensemble, par la délibération et le pacte » un principe refondateur d’une conscience nationale, d’une communauté historique décidée à bâtir ensemble « un pays plus beau qu’avant »?
S’inspirer de « la palabre africaine » ou de « l’agora grecque » est nécessaire et cela à plusieurs titres. En effet, « au coeur d’une crise de souveraineté, la Grèce antique inaugura un nouvel espace mental à une vie sociale et politique. Les bases de la convivialité dans la reconnaissance mutuelle de la dignité et de l’égalité se trouvent notamment, dans l’un et l’autre modèle (africain et grec), dans l’espace public où le bien public se place à égale distance de tous, des intérêts privés, et la force argumentative de la parole dans le respect de l’autre et loin de la force brutale. [2]»
Convivialité, reconnaissance mutuelle, dignité, égalité, bien public, force argumentative de la parole, respect de l’autre, rejet de la violence réelle ou symbolique devraient être des concepts structurant le vivre ensemble kongolais dans un pays en proie à une guerre perpétuelle. Mais où sont-ils pensés ? A l’école ? A l’université ? A l’église ? En famille ? Les rares moments de convivialité et de reconnaissance mutuelle ne sont-ils pas réduits à ceux au cours desquels des compatriotes assistent ensemble à un match de football ou à un concert d’Ipupa ?
Créer des millionnaires, c’est bien. Mais des millionnaires non pétris des valeurs susmentionnées ne peuvent devenir que des Mammonistes vampires, agents du nihilisme sociétal, de « la déification du vide ». Donc, repenser la Conférence Nationale Souveraine dans un contexte où la conscience nationale est quasi inexistante devrait être une priorité.
Repenser le contexte historique
Cela étant, le contexte historique dans lequel cette Conférence Nationale Souveraine a pu avoir lieu au Kongo-Kinshasa avant de sombrer après dans l’oubli mérite d’être repensé.
Est-ce possible d’ignorer la Conférence Nationale Souveraine et de croire que « la démocratie » est au rendez-vous au Kongo-Kinshasa ? Est-ce possible de mettre entre parenthèse la remise en question du mobutisme faite au cours de ces assises et des propositions refondatrices qui y ont été élaborées et de croire que »nous bâtirons un pays plus beau qu’avant ?
La chute du mur de Berlin venait d’avoir lieu en 1989. Il a symbolisé, dans les coeurs et les esprits des « vainqueurs de la guerre froide », « la fin de l’histoire ». « La fin d’une histoire » au cours de laquelle ils étaient confrontés à un bloc antagoniste. Ils ont estimé, à partir de ce moment-là, qu’ils étaient »les seuls maîtres du monde ». Ils s’engageaient à le régenter à leur guise en vendant « la démocratie du marché », en magnifiant « le fondamentalisme démocratique ».
Avant 1989, ils ont déjà soutenu, en 1986, la chute du régime de Milton Obote en Ouganda. Au début des années 1990, ils soutiennent les incursions du FPR de Kagame au Rwanda [3]. Leur objectif est d’arriver au Kongo-Kinshasa pour une guerre de basse intensité. Et ils y seront en 1996-1997.
Le rappel de ce contexte peut aider à comprendre pourquoi ce moment refondateur n’a pas pu être un rendez-vous abouti. Y revenir , c’est replacer « le fondamentalisme démocratique » dans son lieu originaire et chercher à replanter « l’arbre à palabre » pour une lutte souverainiste cohérente et minimalement consensuelle. Pourquoi ?
L’impression est que le pays a un sérieux problème de conscience historique et de conscience politique. Comment peut-il réussir à créer la cohésion sociale et nationale sans cela ? Il avancerait au gré des vagues sans penser les grands moments de sa marche.
Est-ce possible d’ignorer la Conférence Nationale Souveraine et de croire que « la démocratie » est au rendez-vous au Kongo-Kinshasa ? Est-ce possible de mettre entre parenthèse la remise en question du mobutisme faite au cours de ces assises et des propositions refondatrices qui y ont été élaborées et de croire que »nous bâtirons un pays plus beau qu’avant ? J’en doute. Les mêmes causes produisant les mêmes effets. Comment bâtir un pays plus beau qu’avant sans penser ses moments refondateurs ? Peut-être magiquement…Dernièrement, un Président d’un grand pays du monde a relu, devant un journaliste américain, toute l’histoire de ce pays en répondant à « une question d’actualité ». Eteya biso…
« La fin de l’histoire » fut un leurre. Une autre histoire inaugurée par les BRICS est en marche. Elle se nourrit des pensées refondatrices.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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