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Le processus électoraliste et la tradicratie ouverte (suite avant fin)

Le processus électoraliste et la tradicratie ouverte (suite avant fin)

Le processus électoraliste et la tradicratie ouverte (suite avant fin) 2048 1134 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

 

« Vous ne pouvez pas lutter et vouloir que les dirigeants soient dans un luxe insultant »
– I. TRAORE

La guerre de basse intensité imposée contre le Kongo-Kinshasa se mène sur plusieurs fronts. Le front extérieur est le plus visible. Les efforts conjugués pour y mettre fin peuvent être compromis de l’intérieur. En effet, cette guerre suscite tellement des commentaires qu’elle peut faire oublier le front interne, celui de la discrimination, de l’exclusion et de la reproduction d’une « oligarchie » ou plutôt d’une caste au détriment du plus grand nombre de la population kongolaise.

Coupée de la culture historique africaine et kongolaise millénaire, dépourvue de la conscience historique et du courage politique, cette caste devient de plus en plus nuisible pour les jeunes générations et pour le pays tout entier. Elle se régénère au grand jour en participant à la fabrication de l’Etat-raté-manqué kongolais pendant que tous les regards sont tournés vers les adversaires externes. Le processus électoraliste touchant à sa fin participe de ce phagocytage d’un Etat digne de ce nom. La régénérescence de cette caste fragilise la cohésion nationale et sociale. Sa conception du pouvoir est néocolonialisante. Des voix s’élevant et un témoin de l’intérieur la nommant « oligarchie » invitent à une grande lucidité et un grand discernement sur ce qui est en train de se passer au coeur de l’Afrique.

Tout n’est pas que de la faute des autres. Le ver est dans le fruit. Le consentement de cette caste et de ses fanatiques à la descente du Kongo-Kinshasa aux enfers mérite d’être décrypté. Une réorganisation tradicratique ouverte du pouvoir peut sortir ce pays de cette tragédie. A condition que les veilleurs et les éveilleurs s’en emparent et travaillent courageusement au renversement des rapports de force.

 

Des voix s’élèvent

Le processus électoraliste est en train de toucher à sa fin au Kongo-Kinshasa. Entre-temps, des voix s’ élèvent pour réclamer leur participation au prochain gouvernement. A Beni, des pygmées voudraient que leurs desiderata à ce sujet soient pris en compte. Interviewé par 7 sur 7.CD du 27 janvier 2024, l’un d’eux, après un voyage à Kinshasa, a fait le constat suivant : « J’ai vu plusieurs tribus à Kinshasa lors de mon séjour. Mais les pygmées ne sont pas visibles dans différents bureaux politiques. Que le chef de l’Etat récemment élu pense à toutes les personnes y compris les pygmées qui sont en mesure de travailler».

La représentation issue du « fondamentalisme démocratique » pose un sérieux problème. Elle exclut des masses importantes des populations kongolaises réduites au rang d’applaudisseurs, de thuriféraires, de tambourinaires et de fanatiques de la caste de copains et de coquins ayant pris le pays en otage au profit leurs intérêts égoïstes et à celui du système néocolonial et néolibéral. Il y a pire. Cette caste est en train de se reproduire et/ou de se régénérer en cooptant ses enfants ou en leur facilitant l’accès à ce système.

Le même journal en ligne mentionne le fait que les chefs coutumiers du Kasaï Central souhaitent avoir, au prochain gouvernement, le poste de premier ministre et quatre ministres. Ils s’expriment au nom du peuple kasaien. Il y a aussi l’appel lancé par un groupe de femmes kongolaises demandant que la parité soit respectée dans la composition du prochain gouvernement. Pourquoi ces différentes voix s’élèvent-elles après un processus électoraliste dit « démocratique » ?

Est-ce simplement parce que la liberté d’expression leur permet de pouvoir exprimer leurs desiderata ? Veulent-elles tout simplement avoir leur part au partage du gâteau kongolais ? Ou expriment-elles des failles dans ce processus lié au « fondamentalisme démocratique » et à la sélection que réalise son mode représentatif biaisé ?

Oui. La représentation issue du « fondamentalisme démocratique » pose un sérieux problème. Elle exclut des masses importantes des populations kongolaises réduites au rang d’applaudisseurs, de thuriféraires, de tambourinaires et de fanatiques de la caste de copains et de coquins ayant pris le pays en otage au profit leurs intérêts égoïstes et à celui du système néocolonial et néolibéral.

Il y a pire. Cette caste est en train de se reproduire et/ou de se régénérer en cooptant ses enfants ou en leur facilitant l’accès à ce système. La pratique du népotisme et du clientélisme favorise cette régénérescence.

Steve Mbikayi : un témoin de l’intérieur

Un témoin de l’intérieur, Steve Mbikayi, dans un Tweet du 22 janvier 2024 arrive au même constat. Il s’en prend au principe du seuil de recevabilité édicté par la Commission Electorale (dite) Indépendante au cours du processus électoraliste.« Comme nous, écrit-il, le président de la CENI vient aussi de constater que le seuil de recevabilité est venu créer davantage de confusion. Ce seuil a engendré une multitude des candidats sans ambitions politiques, recrutés pour la circonstance . À cause de ces seuils, les jeunes leaders politiques ne sauront émerger. Une part belle n’est faite qu’à ceux qui occupent les postes de gestion qui leur permettent d’engranger beaucoup de moyens pour payer les cautions, battre leurs propres campagnes et financer leurs candidats. À l’ analyse des résultats, ce sont les regroupements dirigés par les Ministres et les Chefs des Institutions qui ont tiré leur épingle du jeu aux législatives tant nationales que provinciales. C’est une exclusion de beaucoup de congolais à l’exercice du pouvoir qui entraîne la création d’une oligarchie en République Démocratique du Congo. »

Le mode de fonctionnement du système politicard kongolais n’intègre pas l’égalité des chances, il est discriminatoire, il est nuisible pour les jeunes des familles modestes au chômage endémique et garantit la promotion de ceux des familles nanties dont la réussite à l’université est assurée.

Steve Mbikayi soutient que ce processus électoraliste « censitaire » (et pas universel) a enfreint la participation de beaucoup de Kongolais à l’exercice du pouvoir et fait la part belle à « l’oligarchie ». Témoin de l’intérieur, il atteste que « l’analyse des résultats révèle que le système électoral en vigueur recèle une discrimination contre la nouvelle classe politique et des personnes issues des familles modestes. » Sa remise en question du système électoraliste est suivi d’une proposition. A son avis, « il faut supprimer les deux seuils en vue d’instaurer l’égalité des chances et permettre aux jeunes leaders politiques d’émerger, travailler avec la vielle classe afin de faciliter un renouvellement en douceur de la classe politique , sans jeter précipitamment les anciens à la mer. Si cette exclusion persiste, il y a lieu de craindre le retour de la manivelle. Une onde de choc de la jeunesse montante. Cette jeunesse en proie à un chômage endémique qui a fini par croire que la vie ne se gagne qu’en politique. Elle s’inspire de ceux de leur génération issus des familles nanties et branchées qui passent de l’université à la députation, au gouvernement ou dans les conseils d’administration des entreprises du portefeuille de l’ État. »

Cette proposition décrit, paradoxalement, le mode de fonctionnement du système politicard kongolais. Il n’intègre pas l’égalité des chances, il est discriminatoire, il est nuisible pour les jeunes des familles modestes au chômage endémique et garantit la promotion de ceux des familles nanties dont la réussite à l’université est assurée. Donc, Steve Mbikayi décrit le mode de reproduction des familles des « oligarques » kongolais à plusieurs niveaux de l’organisation de la société kongolaise.

Revisiter le principe de l’émiettement du pouvoir

Néanmoins, la solution qu’il propose n’est pas tellement à la mesure du mal rongeant de l’intérieur la cette société. Il aurait pu regarder du côté de l’organisation tradicratique dans l’Afrique pré-coloniale et de son principe d’émiettement du pouvoir. Au sein de cette Afrique, « le pouvoir était amplement distribué. On disait que plus le pouvoir est partagé, plus il grandit. [1]»

La responsabilisation du candidat à la chefferie ou à la royauté passait par un ensemble de rituels liés à l’exercice éthique et moral du pouvoir. C’est cela qui fondait sa légitimité. Y renoncer pouvait lui coûter la vie. Le roi devait assimiler le fait que « ce n’est pas le roi qui a la royauté ; c’est la royauté qui a le roi. ».

Il était fondé sur les principes de responsabilité et de réciprocité. Le chef ou le roi étaient dans l’obligation de répondre de leurs actes. Et « le pouvoir en Afrique était largement partagé entre les différents groupes qui entouraient le chef ou le roi. On fait comprendre au roi, avant d’être investi, qu’il devait régner au profit du peuple. Le roi, dans la plupart des cas, prononçait des serments et s’engageait solennellement, au nom des ancêtres, à travailler pour la population et à ne pas commettre des abus, des actes de vol, de détournement de femmes, etc. Un contrat liant le roi et sa population par un engagement réciproque était souvent conclu (…). [2]»

La mise en pratique du principe de l’émiettement du pouvoir plaçait le chef ou le roi « sous la surveillance d’un certain nombre des pouvoirs partiels [3]» Les conseillers et les griots participaient de ces pouvoirs. Un roi ou un chef fautif pouvait être sanctionné par ses conseillers.

« Les griots de leur côté exprimaient au roi les idées et les critiques de la population. Ces critiques ne pouvaient pas être formulées par n’importe qui, seuls les griots avaient le droit, traditionnellement, de s’exprimer avec beaucoup de liberté devant le roi. Ces propos prenaient la forme de proverbes ou des contes qui faisaient entendre clairement que le roi était visé, mais en évitant de lui faire perdre la face devant l’assemblée.[4]»

La responsabilisation du candidat à la chefferie ou à la royauté passait par un ensemble de rituels liés à l’exercice éthique et moral du pouvoir. C’est cela qui fondait sa légitimité. Y renoncer pouvait lui coûter la vie. Le roi devait assimiler le fait que « ce n’est pas le roi qui a la royauté ; c’est la royauté qui a le roi». « « C’est la royauté qui a le roi » équivaut à une règle constitutionnelle qui oblige le roi à se plier à une norme supérieure à tous. L’idée de base intégrant à la fois la régionalisation, le fédéralisme et la décentralisation [5]» dans un grand respect d’une certaine division du travail.

Une petite conclusion

La caste kongolaise dont il est question dans cet article ne semble pas avoir compris que  »le fondamentalisme démocratique » et/ou  »la démocratie libérale » qu’elle copie servilement ne fonctionne plus. Elle voudrait se régénérer sur fond d’une matrice politique devenue obsolète. Donc, elle programme sa destruction et /ou son autodestruction en feignant de ne pas le savoir.

Pour cause. Dans une certaine manière, la dégénérescence de  »la démocratie libérale » questionne ses mimétistes. Vont-ils poursuivre leur marche sur leurs têtes ou penser à puiser dans  »la tradicratie » ? Quel intérêt auraient-ils à produire un système de pouvoir devenu obsolète ? La renonciation à la déraison du mimétisme ne serait-ils l’une des meilleures voies à emprunter ? Pour s’en convaincre, ils pourraient lire Emmanuel Todd[6], Muntu udi udilowa !

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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[1] J. KI-ZERBO, A quand l’Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Paris, Editions de l’Aube, 2009, p. 71.

[2] Ibidem, p. 73.

[3] Ibidem.

[4] Ibidem, p. 74.

[5] Ibidem, p. 77.

[6] E. TODD, La défaite de l’Occident, Paris, Gallimard, 2024

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