Par Jean-Pierre Mbelu
Les derniers événements xénophobes survenus en Afrique du Sud peuvent être relus à partir de l’histoire des indépendances (politiques) africaines.
Au cours des années 60, l’Afrique de l’Ouest en avait déjà été le théâtre. Frantz Fanon en attribue la grande responsabilité à « la bourgeoisie nationale », « paresseuse », « indigente », « courroie de transmission à un capitalisme acculé au camouflage » et « ennemie de l’unité africaine ». Voici ce qu’il écrit :
« Lorsque l’exigence de négrification ou d’arabisation des cadres présentée par la bourgeoisie (nationale) ne procède pas d’une entreprise authentique de nationalisation mais correspond simplement au souci de confier à la bourgeoisie le pouvoir détenu jusque-là par l’étranger, les masses à leur niveau présentent la même revendication mais en restreignant aux limites territoriales la notion de nègre ou d’arabe… Entre les affirmations vibrantes sur l’unité du continent et ce comportement inspiré aux masses par les cadres, des multiples attitudes peuvent être décrites. On assiste à un va-et-vient permanent entre l’unité africaine qui sombre de plus en plus dans l’évanescence et le retour désespérant au chauvinisme le plus odieux, le plus hargneux. »
« Du chauvinisme sénégalais au tribalisme ouolof la distance ne saurait être grand. Et, de fait, partout où la bourgeoisie nationale par son comportement mesquin et l’imprécision de ses positions doctrinales n’a pu parvenir à éclairer l’ensemble du peuple, à peser les problèmes d’abord en fonction du peuple, partout où cette bourgeoisie nationale s’est révélée incapable de dilater suffisamment sa vision du monde, on assiste à un reflux vers les positions tribales : on assiste, la rage au cœur, au triomphe exacerbé des ethnies. Puisque le seul mot d’ordre de la bourgeoisie est : remplaçons les étrangers e, et qu’elle se hâte dans tous les secteurs de se rendre justice et de prendre les places, les petits nationaux – chauffeurs de taxi, vendeurs de gâteaux, cireux de souliers- vont également exiger que les Dahoméens rentrent chez eux ou, allant plus loin que les Foulbés et les Peuhls retournent à leur brousse ou à leurs montagnes. » (Frantz Fanon, Oeuvres, Paris, La Découverte, 2011, p.550-551)
L’histoire de l’Afrique serait-elle un éternel recommencement à cause des « élites prédatrices », « nègres du capitalisme ensauvagé sur le déclin », incapables de produire une véritable conscience nationale et africaine ?
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961