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Débats et culture commune partagée au Congo-Kinshasa

Débats et culture commune partagée au Congo-Kinshasa

Débats et culture commune partagée au Congo-Kinshasa 1020 573 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

Pour participer efficacement au débat argumenté sur les questions que la cité congolaise pose, il me semble essentiel qu’il y ait un partage d’un fonds commun de culture. L’école et l’université congolaises auraient pu servir à cela, à la production d’une culture citoyenne commune et à l’initiation à une lecture critique de la tradition.

L’école et l’université auraient pu servir à magnifier le travail de l’esprit et de l’intelligence et son apport à l’édification de la cité. L’impression est qu’elles ne se sont pas remises des coups reçus du FMI quand, en 1986, il a imposé au pays de Lumumba, les programmes d’ajustements structurels. (Il y en a, au Congo-Kinshasa, qui ont déjà oublié cela, ils appellent le FMI à rééditer ses exploits. Oyo eza koloka te!)

Nous manquons d’une culture (politique) commune

L’apprentissage sur le tas par les autodidactes et l’apprentissage en commun dans les collectifs citoyens ne devraient pas être négligés. A voir l’allure que prennent certains de nos débats, l’impression serait que cette culture commune indispensable à l’édification collective de la cité congolaise n’est pas, à ce jour, la chose la mieux partagée.

Je prends quelques exemples pour étayer cette hypothèse. (Ceux que la question intéresse peuvent aussi en donner.) Parler de la démocratie en ignorant la tradition africaine de la palabre me semble être un manquement historique grave. Aborder les questions liées aux valeurs fondamentales, de l’éthique de notre société en mettant entre parenthèse « le BOMOTO » ou le « UBUNTU », c’est passer à côté de la plaque.

A voir l’allure que prennent certains de nos débats, l’impression serait que cette culture commune indispensable à l’édification collective de la cité congolaise n’est pas, à ce jour, la chose la mieux partagée.

En politique, traiter Mobutu de dictateur sans savoir comment sa dictature a été créée et imposée et à quelles fins, c’est refuser de comprendre le fonctionnement du néocolonialisme au Congo-Kinshasa. Chercher une issue à « la crise de légitimité congolaise » sans étudier « la voie lumumbienne », c’est se moquer de la tradition politique congolaise. Traiter de « la guerre de l’AFDL » sans établir des liens entre « les créateurs de Mobutu » et ceux de Paul Kagame, de Yoweri Museveni et de Laurent-Désiré Kabila, c’est vouloir ignorer le mode opératoire de l’adversaire réel du pays de Lumumba et sa capacité de perpétrer des « coups d’Etat permanents ».

Critiquer la présence de l’ONU au Congo-Kinshasa sans relire ce qu’elle a fait avant, pendant et après l’assassinat de Lumumba le 17 janvier 1961, c’est éviter de comprendre le rôle qu’elle joue dans l’anéantissement de toute velléité de résistance dans les pays à néocoloniser.

La nécessité de savoir et de comprendre

En économie, croire dans le fondamentalisme du marché (non régulé) dénommé « proprement » au Congo-Kinshasa « amélioration du climat des affaires », c’est ignorer toutes les critiques formulées contre le capitalisme ensauvagé à partir de plusieurs coins du monde à commencer par les Etats-Unis, le Canada, la France,la Suisse, la Belgique, etc. et que certains compatriotes ont étudiées et partagées.

A titre illustratif, C’est un ex-conseiller en économie de Bill Clinton, Joseph Stiglitz, qui écrit « Quand le capitalisme perd la tête » (2003), « un autre monde contre le fanatisme du marché » (2006), « Le triomphe de la cupidité » (2010), « Le prix de l’inégalité », etc. Une canadienne, Naomi Klein, écrit « La stratégie du choc. La montée du capitalisme du désastre » (2008). Une américaine naturalisée française, Susan George, publie en 2010 « Leurs crises, nos solutions ». Un suisse, Jean Ziegler écrit, en 2002, « Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent » et en 2014, « Retournez les fusils ! Choisir son camp ». Ce dernier livre contient une critique avertie du « Consensus de Washington » qui fait des émules au Congo-Kinshasa.

Sans un savoir et une connaissance historiques avertis sur le Grand Rift et le mépris des noirs qu’avait l’un des initiateurs de sa conquête par les Britanniques, « la guerre de prédation et de basse intensité » menée contre le Congo-Kinshasa risque de ne pas dévoiler l’un de ses secrets les plus gardés.

Et un américain, ayant travaillé comme « assassin financier » au FMI, écrit un livre magnifique pour avertir le monde sur les dégâts dont les IFI sont capables. Il s’agit de John Perkins et je le cite abondamment dans notre livre intitulé « A quand le Congo ? Réflexions & propositions pour un panafricanisme des peuples » (2016). (Il est curieux qu’il y ait encore au Congo-Kinshasa, des compatriotes pleurnichant puisque le FMI refuse d’aider le pays !!!! C’est fou. Oui, c’est dingue!!!) Economiquement, quand cette culture n’est pas généreusement partagée, débattre entre nous par exemple du rôle des IFI peut conduire au dialogue des sourds.

Géographiquement, sans un savoir averti sur la position de notre pays et l’Océan Indien ou sur son appartenance au golfe de Guinée, il est difficile de comprendre les visées économiques de ceux qui ont fait du pétrole une question de « leur sécurité nationale ». Sans un savoir et une connaissance historiques avertis sur le Grand Rift et le mépris des noirs qu’avait l’un des initiateurs de sa conquête par les Britanniques, « la guerre de prédation et de basse intensité » menée contre le Congo-Kinshasa risque de ne pas dévoiler l’un de ses secrets les plus gardés.

Pour une formation « bomotoïste »

A ce point nommé, les compatriotes qui publient, en 2013, un livre intitulé « La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion » font une œuvre merveilleuse. Ils étudient « la guerre de l’AFDL » sous ses différentes dimensions.

Médiatiquement, « la logique » des fanatiques,des applaudisseurs et des autres tambourinaires des « gourous congolais et de leurs alliés sous régionaux » se comprend mieux quand, après Chomsky et Edward Herman, on a étudié leur livre intitulé « La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie » (2008) et aussi « les dix stratégies de manipulation des masses ».

Il y a une tendance qui se dessine au pays de Lumumba : celle de former les jeunes aux métiers. Elle est bonne. Pourvu que la formation humaniste, « bomotoïste » et la culture générale ne soient pas sacrifiées au profit de la fabrication des bras utilisables, sans têtes, ni cœurs éveillés aux choses de l’esprit et de l’intelligence.

Je me limite à ces quelques exemples pour exprimer la difficulté qu’il y a à organiser des débats sérieux, argumentés et utiles à l’édification collective de la cité congolaise sans un partage permanent d’une culture commune et une reprise lucide de la tradition. L’école et l’université d’aujourd’hui et de demain devrait en tenir compte. Les intellectuels organiques et co-structurants doivent pouvoir assurer le relais entre leur culture originaire et celle proposée généreusement par l’autre dans sa diversité. Sans pédantisme. L’interculturalité est une richesse, me semble-t-il. Le repli sur soi peut être un rejet de la générosité offerte par « les prophètes » des temps nouveaux.

Il y a une tendance qui se dessine au pays de Lumumba : celle de former les jeunes aux métiers. Elle est bonne. Pourvu que la formation humaniste, « bomotoïste » et la culture générale ne soient pas sacrifiées au profit de la fabrication des bras utilisables, sans têtes, ni cœurs éveillés aux choses de l’esprit et de l’intelligence.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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