Par Jean-Pierre Mbelu
Une selfie est une photo, une image prise instantanément. Elle peut être commentée pour elle-même en marge du contexte socio-politico-économique et des circonstances historiques ayant permis sa prise. Le débat congolo-kinois semble être marqué par cette « selfisation ». Il est prompt à exclure certaines questions historiques posées par des « acteurs pléniers » invisibles habitués à travailler dans l’ombre sur le temps long au nom des questions dites d’actualité ou des « incantations magiques » du genre « cela n’arrivera jamais ».
Un certain débat « kinois » traite rarement des questions posées par les provinces. Comme si ce qui n’est pas « kinois » n’est pas congolais. Cette « kinoisisation » du débat congolais pourrait être lue comme un rétrécissement de la pensée collective. Il me semble que « la selfisation » et « la kinoisisation » d’un certain débat congolais peuvent être lourdes de conséquences. Elles peuvent être des signes visibles d’une certaine « défaite de la raison », d’une raison se moquant du contexte socio-politico-économique et de la mémoire collective. Elles peuvent aussi trahir un refus d’apprendre des autres congolais, des habitants des provinces et même de la diaspora. Un refus d’un apprentissage mutuel.
La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion
L’exemple de la problématique de la balkanisation du pays peut illustrer cette approche d’un certain débat congolais. En 2013, sous la direction de J. Kankwenda Mbaya et F. Mukoka Nsenda, les Congolais du pays et de la diaspora publient ensemble un livre très bien documenté sur cette question. Il est intitulé : « La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion ». Ce livre établit, entre autres, le lien entre la guerre de prédation et de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa par des proxies interposés.
Enfermés dans l’immédiat de « la selfie », ces compatriotes ignorent et/ou refusent d’apprendre des autres peuples confrontés, dans leur histoire, aux mêmes « acteurs pléniers ».
Il dit comment cette guerre désoriente, dépayse et déboussole les Congolais obligés de fuir leurs terres. Il expose les conséquences matérielles, morales, psychologiques et intellectuelles de cette guerre d’usure dans le chef des populations congolaises. Il en désigne « les acteurs pléniers », décrit leur mode opératoire, leurs méthodes et leurs stratégies. Habitués à opérer sur le temps long, ils ne se laissent pas prendre par ce qui se passent entre deux ou trois « élections-pièges-à-cons ».
Mais chaque fois que des articles des compatriotes reviennent sur cette question pour sensibiliser et rendre la mémoire collective vivante, une certaine « koinoiserie » et/ou certains fanatiques « kinoisifiés » réagissent en disant : « « Vos prédictions apocalyptiques ne se réaliseront jamais » ; « c’est depuis Lumumba qu’on nous en parle, mais ça n’arrive jamais » ; « c’est de la pure distraction », etc. »
Enfermés dans l’immédiat de « la selfie », ces compatriotes ignorent et/ou refusent d’apprendre des autres peuples confrontés, dans leur histoire, aux mêmes « acteurs pléniers ». Ils ont lutté contre l’URSS depuis 1940-1945 et l’ont vaincue vers les années 1991-1992. Ils n’ont pas exclu des alliances avec « le diable » pour arriver à leur fin.
Le Congo-Kinshasa, comme le Soudan et l’URSS
Cet extrait de l’interview entre l’une des têtes pensantes des « acteurs pléniers » et le Nouvel Observateur en dit long. Le voici :
« Le Nouvel Observateur : Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant il y avait un fond de vérité. Vous ne regrettez rien aujourd’hui ?
Zbigniew Brzezinski : Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège Afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique.
Le Nouvel Observateur : Vous ne regrettez pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ?
Zbigniew Brzezinski : Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? »
Le cas du Congo-Kinshasa est semblable à celui de l’URSS et celui du Soudan. Ce pays a connu 30 ans de guerre avant son implosion. Mgr Uringi vient de citer ce pays comme exemple de ce qui pourrait arriver au pays de Lumumba si le plan de balkanisation du pays est accepté par les compatriotes.
Ne pas avoir lu un texte de ce genre n’est pas grave. Néanmoins quand finalement on l’a lu, il est possible de voir les choses autrement.
D’un, Z. Brzezinski avoue qu’il y a eu une opération secrète, que la guerre menée par Moscou en Afghanistan fut un piège dont la démoralisation et l’éclatement de l’empire soviétique furent des conséquences.
Le cas du Congo-Kinshasa est semblable à celui de l’URSS et celui du Soudan. Ce pays a connu 30 ans de guerre avant son implosion. Mgr Uringi vient de citer ce pays comme exemple de ce qui pourrait arriver au pays de Lumumba si le plan de balkanisation du pays est accepté par les compatriotes. Il en a dévoilé les dimensions nationale et internationale ainsi que « le piège » de la guerre perpétuelle au cours de laquelle les Congolais sont instrumentalités. Il serait imprudent d’oublier que le Congo-Kinshasa a été programmé pour être produit comme « un Etat raté. »
Un grand mouvement citoyen pour dire Non à la Balkanisation
Le livre collectif auquel j’ai fait allusion est publié en 2013. Sept ans après, au cours d’une homélie de la fête de la Pentecôte, Mgr Uringi revient sur la même problématique.
Comment échapper à cette balkanisation et à l’implosion du pays ? En parler autour de soi est déjà un pas important. Lire et relire les livres traitant de « la création » du Congo-Kinshasa et des objectifs poursuivis par « ses créateurs » et les partager, cela est indispensable. Planifier, organiser sur toute l’étendue du pays un grand mouvement citoyen pour dire NON A LA BALKANISATION DU CONGO est essentiel.
Un grand mouvement des masses pourrait faire la différence dans le renversement du rapport de forces par le nombre.Personne ne nous fera de cadeau. « Les survivants » que nous sommes devraient le savoir.
Un mouvement capable de mourir petit à petit au fanatisme partisan et de se donner les moyens réalistes de sa lutte pour unifier le pays, se le réapproprier et en faire un Etat-nation fort au cœur de l’Afrique. Un grand mouvement des masses pourrait faire la différence dans le renversement du rapport de forces par le nombre.
Personne ne nous fera de cadeau. « Les survivants » que nous sommes devraient le savoir. Mais « savoir n’est rien si ce que nous savons ne devient pas notre sang. »
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961