Par Jean-Pierre Mbelu
« Pour avoir des dirigeants intelligents et dévoués au renouveau de notre société à long terme, il faudrait donc avoir des citoyens pareillement intelligents et dévoués. » – J. GENEREUX
Mise en route
Du point de vue de la réflexion et de la pensée, le temps peut être un allié sûr. Les grands changements étant souvent moléculaires et imperceptibles, travailler intellectuellement sur le temps long peut constituer un apport important à la production de l’intelligence critique collective.
Travailler intellectuellement sur le temps long peut constituer un apport important à la production de l’intelligence critique collective.
Le support offert par les livres [1] et la révolution numérique est nécessaire à ce travail. Il nous permet, au Kongo-Kinshasa, de revisiter le débat sur « la meilleure constitution du monde » et les appels à son changement.
Le temps et la création des écoles de la pensée au coeur de l’Afrique pourraient contribuer, de l’une ou de l’autre façon à son émancipation politique. En effet, « les experts ès constitution » ont donné un signe. Il mérite un petit décryptage et invite à élaborer des propositions pour le plus grand nombre.
Rompre avec « le magister dixit »
Le fait que « les experts ès constitution » aient rejoint le débat sur le changement de « la meilleure constitution du monde » est un signe. Après avoir finalement reconnu que tout texte peut être perfectible, ils viennent d’avouer que leurs thèses et/ou hypothèses doivent toujours être soumises au débat argumenté afin d’éviter qu’ils puissent être accepté par le plus grand nombre comme une parole d’évangile. (D’ailleurs, à ce sujet, il y a quatre évangiles canoniques…)
les communautés citoyennes kongolaises de base (ou les collectifs citoyens) devraient se méfier des « experts ès constitution » et des autres « technocrates » dont les intérêts coïncident souvent avec ceux de ceux qui veulent prendre le pays en otage ou le néocoloniser. Donc, elles devraient participer de l’écriture de tous les textes des lois devant régir le pays.
Le recours à l’intelligence critique collective devrait servir comme arme au plus grand nombre pour sortir le pays de la tendance à magnifier fanatiquement l’argument du « magister dixit » au nom des titres académiques et/ou des diplômes accumulés. D’où l’importance de l’instauration des « tables palabriques » dans les communautés citoyennes kongolaises de base, « les tutunga », et leurs regroupements afin que la participation au débat public, la délibération et les décisions collectives sur des questions d’intérêt général y soient les choses les plus partagées.
Donc, dans cet ordre d’idées, si jamais changement constitutionnel il y a, les communautés citoyennes kongolaises de base (ou les collectifs citoyens) devraient se méfier des « experts ès constitution » et des autres « technocrates » dont les intérêts coïncident souvent avec ceux de ceux qui veulent prendre le pays en otage ou le néocoloniser. Donc, elles devraient participer de l’écriture de tous les textes des lois devant régir le pays. Car, il est con de se laisser gouverner par des lois rédigées par autrui pour des objectifs non définis collectivement.
Le pays et « le tshididi »
Oui. « Les experts ès constitution » ont donné un signe en rejoignant le débat sur le changement de « la constitution ». Ils viennent de dire, en filigrane, que chaque fois qu’ils confisquent un débat public, le plus grand nombre devrait soupçonner qu’il y a anguille sous roche.
Chaque fois que cela pourrait se produire, le plus grand nombre devrait se convaincre que le pays est face au « tshididi », c’est-à-dire au degré zéro de la politique, au sens noble du terme.
Chaque fois que cela pourrait se produire, le plus grand nombre devrait se convaincre que le pays est face au « tshididi »[2], c’est-à-dire au degré zéro de la politique, au sens noble du terme. C’est-à-dire de la politique comme partage des paroles et des actions entre les citoyens et les citoyennes pour édifier collectivement leur cité, pour organiser le bien-vivre-ensemble dans le respect de la différence et dans la maîtrise du conflit.
« Le tshididi », c’est la politique réduite au mensonge (dont elle peut être de temps en temps victime) devenant son unique principe directeur. C’est « la politique sale » devenue l’unique essence de l’organisation du vivre ensemble.
Petite conclusion : un « nous kongolais » fort
Le signe donné par « les experts ès constitution » devrait mettre des puces aux oreilles des Kongolais(es). Il est temps que l’insurrection des consciences les pousse à se constituer en un « nous kongolais » fort et en une masse critique capable de bâtir un pays plus beau qu’avant, une « Terre promise »[3]. Ce « nous fort » pourrait participer, grâce à sa participation au débat argumenté, à la palabre, à l’écriture des règles du bien-vivre-ensemble pouvant impulser le changement systémique. Se servir de l’hymne national du pays comme texte fondateur pourrait, entre autres, soutenir cette lutte. Les supports livresques et numériques abondent sur toutes ces questions existentielles.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] En 2021, dans J.-P. MBELU, La fabrique d’un Etat raté. Essais sur le politique, la corruption morale & la gestion de la barbarie (Paris, Congo Lobi Lelo, p.29-31), la question de la constitution kongolaise, de ses intouchables et des responsabilités citoyennes est posée au moment où »les experts ès constitution » clamaient sur les toit que débat sur la constitution devrait être laissé aux constitutionnalistes.
[2] Lire J.-P. MBELU, Ingeta. Dictionnaire citoyen pour une insurrection des consciences, Paris, Congo Lobi Lelo, 2017, p.243.
[3] Une méditation philosophico-politique sur l’hymne national kongolais peut être lue dans J.-P. MBELU, Terre promise. Néocolonisation & souveraineté : le cas du Kongo-Kinshasa, Paris, Congo Lobi Lelo, 2023,p.121-136.