Par Marie-France Cros/La Libre Belgique
La Monusco (Mission de l’Onu pour la stabilisation du Congo) restera-t-elle au Congo jusqu’en 2035? C’est ce qui ressort de courriers qu’elle a envoyés, alors que Kinshasa veut son départ, après quinze ans de présence.
C’est ce qui ressort de courriers qu’elle a envoyés, alors que Kinshasa veut son départ, après quinze ans de présence. Le mandat de la mission onusienne, sans cesse renouvelé par le Conseil de sécurité, expire le 31 mars 2015. Le secrétaire général adjoint de l’Onu pour les opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous, a indiqué en décembre dernier que la Monusco ne quittera pas le Congo “avant trois, quatre voire cinq ans”.
La Libre Belgique a cependant obtenu copie de la lettre adressée il y a quelques semaines par le Chef de la section des achats de la Monusco à un propriétaire de villa au Nord-Kivu, lui demandant de prolonger le contrat de bail en cours jusqu’en “2035”. Selon un connaisseur des milieux onusiens que nous avons interrogé, “l’administration UN ne proposerait jamais cela sans un feu vert politique au plus haut niveau”.
Bras de fer
Ces courriers sont envoyés par la Monusco alors qu’un bras de fer oppose depuis quelque temps Kinshasa à la Mission. Lors de son discours sur l’état de la nation, en décembre dernier, le président Joseph Kabila, évoquant la “montée en puissance” de l’armée congolaise, avait déclaré que la “gestion” du “risque” constitué par les groupes armés ougandais (ADF Nalu) et rwandais (FDLR, issu des génocidaires) “exige certes une expertise et un équipement spécialisé, pour lequel le concours des Nations unies demeure le bienvenu, mais elle ne justifie cependant pas le maintien sur notre sol d’un contingent de 20000 hommes”.
“L’heure est donc venue d’amorcer la réduction du nombre de Casques bleus sur notre territoire”, concluait-il. Or, si des opérations conjointes armée congolaise/Monusco contre l’ADF Nalu ont été lancées en janvier 2014, celles contre les FDLR, annoncées à plusieurs reprises depuis des mois n’ont, de facto, toujours pas commencé.
Les FDLR se sont incrustés au Congo depuis la défaite des génocidaires au Rwanda, face au Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir) en 1994. Depuis, ces rebelles rwandais ont été, avec l’armée congolaise, les principaux auteurs d’exactions au Kivu (est du Congo).Leur nombre a fondu. Ils auraient été plus de 10000 hommes, réduits à quelque 2000, aujourd’hui. Un certain nombre d’entre eux ont en effet déserté discrètement, gagnant d’autres régions du pays et adoptant un nom congolais pour échapper aux représailles de leurs chefs.
La Libre Belgique a cependant obtenu copie de la lettre adressée il y a quelques semaines par le Chef de la section des achats de la Monusco à un propriétaire de villa au Nord-Kivu, lui demandant de prolonger le contrat de bail en cours jusqu’en “2035”. Selon un connaisseur des milieux onusiens que nous avons interrogé, “l’administration UN ne proposerait jamais cela sans un feu vert politique au plus haut niveau”.
Plusieurs milliers d’autres ont profité des opérations de désarmement menées par l’Onu et sont rentrés au Rwanda à la faveur de programmes de réinsertion. Ces programmes ne mettent toutefois pas à l’abri d’un procès pour participation au génocide; ce sont donc essentiellement les gens pas ou peu impliqués dans celui-ci qui y ont recouru. Ceux qui restent au Congo – le noyau dur – tentent d’exiger un retour en tant que groupe politique au Rwanda, ce dont Kigali ne veut évidemment pas entendre parler.
Enfin, plusieurs opérations conjointes (l’une rwando-congolaise, les autres congolo-onusiennes) ont été conduites contre les FDLR depuis 2008, mais jamais menées à terme. Pourquoi? Dans les chancelleries, beaucoup jugent Kinshasa “pas prête” politiquement à éliminer ces troupes: les FDLR ont été utilisés comme supplétifs par l’armée congolaise et sont les meilleures troupes de Kinshasa contre le Rwanda en cas d’attaque du voisin de l’est.
Selon un récent rapport de l’Onu, ces rebelles ont établi d’importantes complicités avec l’armée congolaise dans divers trafics, avec des connexions politiques à Kinshasa. Plusieurs fois reporté, le dernier ultimatum aux FDLR pour déposer les armes était fixé au 2 janvier dernier, faute de quoi ils seraient désarmés par la force. Mais il ne se passe toujours rien. Les élections Si en décembre dernier, le président Kabila a souhaité le départ des Casques bleus, deux mois plus tôt, il avait, à l’inverse, désiré que la “Monusco renforce sa présence à Béni”, théâtre de massacres attribués à l’ADF Nalu. Entre les deux, l’Onu s’est prononcée contre les projets de Kinshasa de modifier la législation en vigueur afin de permettre au président Kabila de se prolonger inconstitutionnellement au pouvoir.
Affrontement politique avec l’Onu?
Le chef d’Etat avait sèchement répondu qu’il n’acceptait pas d’“injonctions” de l’étranger au sujet des prochaines élections. Opération en solo Plusieurs déclarations publiques de l’Onu et de l’Union européenne avaient ensuite encouragé Kinshasa
à donner l’ordre de lancer les opérations militaires contre les FDLR, alors que le gouvernement congolais disait, le 3 janvier, ses préparatifs terminés, que les Casques bleus étaient “prêts” à les mener aux côtés de l’armée congolaise.
Mais le 29 janvier, Kinshasa annonce qu’elle lance son opération contre les FDLR seule, sans les Casques bleus. Surprise, la Monusco fait tout de même avoir qu’elle appuiera l’armée congolaise pour la logistique – jusqu’à ce qu’elle découvre que les responsables de l’opération congolaise viennent d’être remplacés par les généraux Bruno Mandevu et Fal Sikabwé – qui figurent tous deux sur “une liste rouge” de l’Onu pour leur implication présumée dans une centaine de violations des droits de l’homme commises en 2009. “Inacceptable”, pour l’Onu, la désignation des deux généraux est tout de même maintenue par Kinshasa:
le Congo n’est “pas sous tutelle”, justifie le porte-parole du gouvernement.
Le bras de fer militaire se double d’un affrontement politique avec l’Onu. En octobre, Kinshasa avait déclaré “persona non grata” le chef du Bureau conjoint des droits de l’homme de l’Onu, Scott Campbell, qui avait dénoncé les exécutions sommaires de délinquants durant une opération de police. Cela n’a pas empêché, en janvier, le numéro deux de la Monusco, le diplomate et général nigérien Abdallah Wafy – sur le départ – de déclarer que “seule la police” était habilitée à réprimer les émeutes anti-Kabila qui avaient éclaté dans plusieurs villes du pays (27 à 42 morts, selon les sources), “pas l’armée ni la Garde républicaine” (garde présidentielle), ajoutant qu’“on ne maintient pas l’ordre avec des chars de combat”.
Marie-France Cros