Par Jean-Pierre Mbelu
« Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler les hommes. »
– Heinrich Heine (1821)
La lecture du livre de Judi Rever intitulé « Rwanda. L’éloge du sang » (2020) vient conforter l’une des convictions des « minorités congolaises éveillées » ayant compris, depuis l’assassinat de Mgr Munzihirwa, que la guerre de prédation et de basse intensité menée contre les Grands Lacs Africains, en général, et contre le Congo-Kinshasa, en particulier, était prioritairement « une guerre contre les instruits » (Judi Rever, p. 68) ; non seulement Hutus mais aussi Congolais et Africains.
Cette guerre perpétuelle est une guerre hégémonique. Elle a comme objectif prioritaire l’imposition de l’hégémonie mondialiste anglo-saxonne au Congo-Kinshasa, dans les Grands Lacs Africains et partout en Afrique. L’un de ses premiers objectifs atteint est la déstructuration culturelle.
La destructuration culturelle au Congo-Kinshasa
Dès ses débuts, au Congo-Kinshasa, elle a procédé à la déstructuration culturelle. Des millions des Congolais chassés de leurs terres ont vécu le dépaysement, le déboussolement, le déracinement et l’errance comme un cauchemar quotidien. Ils ont erré à travers leur propre pays, à travers les pays voisins et à travers le monde à la recherche de la paix, de la justice et de la sécurité, sans relâche. Souvent, sans succès.
Assimilés aux indigents, ils sont opprimés, assujettis,massacrés, assassinés, etc. par les seigneurs de la guerre africains et congolais jouant le rôle de proxies des forces dominantes anglo-saxonnes et de »fonctionnaires » des armées ougandaises et rwandaises.
La question « qu’as-tu » s’est substituée à celle (fondamentale pour le BOMOTO) « qui es-tu ». L’avoir et le paraître ont pris toute la place dans les têtes et les cœurs au point de faire du clientélisme, de la vente et de l’achat des corps et des consciences « un sport favori » pour les seigneurs de la guerre au cœur de l’Afrique. Les faux diplômes et les faux titres académiques consacrent la médiocrité dans un pays détruit structurellement où les mots ont perdu leur sens.
Cette déstructuration culturelle, cette perte de repères et de racines a participé de l’imbécillisation, de l’aliénation et de l’abrutissement de plusieurs d’entre nous. Souffrants désormais de plusieurs syndromes dont ceux de Stockholm et du larbin, des compatriotes se sont « re-convertis » en ignorants-débatteurs, en fanatiques, en thuriféraires et en applaudisseurs desdits proxies (et de leurs clients) au point d’en faire « des autorités morales » et des « gouvernants ».
Cette « re-conversion » « maladive » est un gâchis dont les conséquences sont de plus en plus visibles à l’oeil nu. Le matérialisme et le militarisme ont gagné plusieurs cœurs et plusieurs esprits. La question « qu’as-tu » s’est substituée à celle (fondamentale pour le BOMOTO) « qui es-tu ». L’avoir et le paraître ont pris toute la place dans les têtes et les cœurs au point de faire du clientélisme, de la vente et de l’achat des corps et des consciences « un sport favori » pour les seigneurs de la guerre au cœur de l’Afrique. Les faux diplômes et les faux titres académiques consacrent la médiocrité dans un pays détruit structurellement où les mots ont perdu leur sens.
La mafia a presque tout corrompu. La dignité et la fierté d’être soi, un « Muntu », sont de plus en plus reléguées au second plan. Tuer pour « avoir » (de l’argent et des choses, les Bintu) en vue de « paraître important » favorise un militarisme non-sécurisant pour les Congolais. Ce « paraître important » trahit un certain évidement intérieur, un certain nihilisme.
Le crime de la pensée est devenu un des crimes les plus dangereux au Congo-Kinshasa
Cette déstructuration culturelle a conduit, plusieurs compatriotes, au rejet du livre. Un tweet d’un Professeur d’université publié le samedi dernier en témoigne : »Unilu: les étudiants mécontents brûlent la librairie du campus. Drôles de marioles! Même en rêve, penser qu’un étudiant brûle un livre est une insanité. Visage songeur..mais à bien y réfléchir, l’un des deux n’ est pas du tout à sa place (étudiant ou librairie)…j’hésite, lequel? Homme haussant les épaules » (Tweet du Prof. Kabeya Tshikuku du 26 septembre 2020). Les bibliothèques ont disparu de plusieurs écoles, plusieurs instituts supérieurs et plusieurs universités congolais.
#RDC Unilu: les étudiants mécontents brûlent la librairie du campus. Drôles de marioles! Même en rêve, penser qu’un étudiant brûle un livre est une insanité. 🤔..mais à bien y reflichir, l’un des deux n’ est pas du tout à sa place (étudiant ou librairie)…j’hésite, lequel?🤷♂️ pic.twitter.com/3pXH2oMB3n
— Albert Kabeya Tshikuku (@akabeya) September 26, 2020
Cette déstructuration culturelle a fait du « crime de la pensée » l’un des crimes les plus dangereux. Il est passible de la mort, de plusieurs années de prison et/ou de l’exil. Les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes économiques semblent être plus tolérés au cœur de l’Afrique que celui de « la pensée libre, insoumise et hérétique », sortant des schémas et des schèmes officiels et officialisés.
« Le crime de la pensée » est passible de la mort, de plusieurs années de prison et/ou de l’exil. Les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes économiques semblent être plus tolérés au cœur de l’Afrique que celui de « la pensée libre, insoumise et hérétique », sortant des schémas et des schèmes officiels et officialisés.
Dans ce contexte de la guerre perpétuelle contre « les instruits » et « l’intelligence », l’insurrection des consciences ayant réussi à créer « une fraternité de la nuit » est une des voies à proposer en plus d’une thérapie collective pouvant remettre les cerveaux à l’endroit. Ces voies devraient avoir comme objectif à moyen terme un état général de l’éducation pour la refondation d’une école et d’une université congolaises et africaines ayant un contenu tenant compte de la longue histoire de la déstructuration culturelle.
Néanmoins, sans une justice sécurisante et mettant hors d’état de nuire les seigneurs de la guerre, leur clientèle et leur mafia, tout ceci risque de demeurer lettre morte.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961