Lorsqu’un pays sort d’une période prolongée de conflit et d’agitation, de nombreuses difficultés peuvent entraver la recherche de la justice et en particulier le jugement des auteurs de graves violations des droits de l’homme. Dans un tel contexte les approches de justice transitionnelle qui se basent sur des mécanismes soit purement domestiques soit purement internationaux souffrent de défauts indéniables tant sur le plan de la légitimité que sur celui de la capacité. Pour faire face à ce problème, certains ont suggéré que la création de tribunaux hybrides ou chambres mixtes pourrait représenter un compromis. Ce rapport traite les pratiques des tribunaux hybrides et des chambres mixtes dans plusieurs contextes historiques et évalue les possibilités d’appliquer ce modèle au sein de la République Démocratique du Congo.
Télécharger ce rapport réalisé par Rightslink (A Human Rights Research Community), et le Club des Amis du Droit du Congo.
Ci-dessous les conclusions de ce rapport:
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L’étude comporte deux volets.
Le premier est une analyse de l’ensemble des différents tribunaux internationalisés comme réponses apportées aux violations massives des droits l’homme et du droit international humanitaire sur le plan de la justice pénale internationale. En Sierra Léone, au Cambodge, au Kosovo, en Indonésie et au Timor Oriental, le processus judiciaire n’a pas abouti aux résultats escomptés. Ce qui démontre que ce mécanisme n’est pas un modèle parfait de répression des crimes graves mais une voie intermédiaire entre la justice internationale et la justice nationale. Une justice de proximité par rapport aux lieux des crimes, avec un coût moins élevé contrairement aux tribunaux pénaux ad hoc, un renforcement des capacités des acteurs locaux en matière des crimes internationaux. Si l’on s’accorde à dire que certains de ces tribunaux mixtes ont un bilan mitigé, il ne faut pas omettre qu’il s’agit d’un nouveau modèle de justice qui doit encore faire du chemin.
Et le second a été une analyse du projet de création, organisation et fonctionnement de la Cour spécialisée en RDC à la suite du Rapport Mapping.
De cette analyse, il ressort que le projet intègre quelques éléments positifs et des avancées importantes dont notamment : une compétence temporelle qui couvre les crimes commis à partir de 1990 jusqu’au transfert aux juridictions ordinaires, des chambres spécialisées créées au sein du système judiciaire, la reconnaissance à la Cour d’une compétence première et non exclusive, la garantie de la présence des juges étrangers en première instances comme en appel, des équipes d’enquêtes spéciales pour ces crimes internationaux, un fond au profit des victimes, l’introduction de la compétence universelle,…
Il fait également ressortir quelques inquiétudes aussi bien juridiques que d’ordres matériels, toutes liées à la question de la compétence de cette Cour à l’égard des membres de forces armées et de la police qui sont justiciables de cours et tribunaux militaires conformément à l’article 156 de la constitution, au risque de conflit de compétence avec la Cour qui sur base du code de l’organisation et de la compétence judiciaire est compétente pour les crimes internationaux, à l’absence d’harmonisation entre le texte de la « Cour spécialisée » et la proposition de loi de mise en œuvre du Statut de Rome sur la CPI, à la question des immunités devant cette juridiction interne, à la reconnaissance de la qualité de magistrat aux étrangers, à la question de la peine de mort , à l’absence d’un cadre législatif de protections des témoins et des victimes au Congo, aux garanties du droit de la défense, au manque de capacité chronique du système judiciaire et sans oublier à la question cruciale du financement de ces chambres spécialisées qui n’est pas abordée dans le projet de loi susmentionné.
L’objectif de cette analyse croisée était de savoir si cette Cour spécialisée sera à la hauteur de sa tâche autrement dit, si la Cour spécialisée pourrait être une réponse efficace contre l’impunité des crimes graves commis en RDC ?
Les expériences passées et en cours avec des systèmes de justice hybride ou mixte en Bosnie, au Cambodge, au Timor Oriental ainsi qu’au Kosovo offrent un aperçu utile de ce qui fait l’échec ou le succès de ces institutions quasiment internationales.
De ce qui précède, nous pouvons recommander ce qui suit :
Au Gouvernement Congolais :
– De revoir le texte du projet de loi sur la « cour spécialisée » en tenant compte des observations faite par la commission juridique du Sénat ;
– D’organiser un forum national sur l’importance de la mise en œuvre de cette Cour spécialisée en droit congolais ;
– Concrétiser la réforme de son appareil judiciaire et consacrer un budget conséquent pour sa justice.
Au parlement congolais :
– De voter le projet de loi portant sur la cour spécialisée après les amendements.
A la société civile congolaise :
– De soutenir la mise en place de cette cour spécialisée comme instrument de rétablissement des victimes des crimes odieux ;
– Sensibiliser la société congolaise de l’importance de lutter contre l’impunité de ces crimes graves à travers la création de cette Cour.
A la Communauté internationale :
– De soutenir le renforcement de la capacité de la justice congolaise ;
– D’aider le gouvernement congolais dans cette perspective de création de la Cour spécialisée mixte ;
– De veiller à l’exécution des décisions qui seront rendues par cette Cour notamment à l’égard des ressortissants d’Etats tiers.