Source: La Libre Belgique.
Que se passe-t-il au Nord-Kivu, où la guerre a été relancée par le M23 ? Tous, sauf les paysans, y trouvent intérêt, dénonce un connaisseur du terrain.
La Libre Belgique » a interrogé un directeur d’agence internationale de coopération, qui connaît bien le contexte de la guerre au Nord-Kivu, sur le nouvel épisode d’instabilité déclenché au printemps par la rébellion du M23 ; elle est formée de mutins, anciens rebelles du CNDP de Laurent Nkunda (rébellion tutsie) intégrés à l’armée en 2009. Pour protéger notre source, nous n’indiquons pas le nom de celui qui est frappé de « constater l’absence d’analyse systémique de cette situation qui a un fort impact sur les populations rurales « . Selon lui, un « consensus mou » semble s’être installé entre les acteurs de cette guerre « dite de basse intensité ».
Notre interlocuteur note qu’aux yeux des populations kivutiennes, la position du M23 est « purement prédatrice ». « A court terme, l’objectif de ce mouvement semble essentiellement financier, en contrôlant les frontières et l’ensemble du trafic routier ; un véhicule paye ainsi 500 $ pour être autorisé à se rendre à Goma, à 60 km de la zone occupée par le M23. La zone est aussi riche en produits agricoles, charbon de bois, bois de feu, minerais ; le simple contrôle du trafic intérieur et extérieur assure des revenus confortables aux rebelles . »
A plus long terme, juge notre source, « le mouvement rebelle espère négocier en position de force avec Kinshasa des positions de décideurs dans des entreprises publiques, des institutions, des administrations et dans l’armée congolaise. En 2008, lors de la précédente guerre au Nord-Kivu, le CNDP avait réussi à obtenir des positions de choix dans l’appareil étatique, militaire et parapublic congolais après avoir remporté une victoire significative sur l’armée gouvernementale congolaise. Il s’agit d’une vision de ‘guerriers-prédateurs’ dans une logique d’ ‘Etat prédateur’ et dans un contexte pudiquement appelé par les experts internationaux ‘Etat fragile ’ », ajoute-t-il.
« Les nombreux mouvements armés exploitant illégalement les matières premières sylvicoles (selon l’Institut congolais de conservation de la nature, l’ICCN, l’exploitation illégale du charbon de bois et du bois de feu dans le Parc national des Virunga rapporterait 35 millions de dollars / an) , halieutiques (lac Edouard) et minières, ne peuvent que se réjouir de la situation actuelle : le retour à un Etat de droit et à un contrôle rigoureux de l’exploitation des matières premières est de facto retardé de plusieurs années. Les FDLR (rebelles hutus rwandais issus des génocidaires ) ont ainsi repris le contrôle de l’axe Ishasha-Rutshuru, seule frontière ouverte avec l’Ouganda, et ce sous les yeux de la Monusco (Mission de l’Onu pour la stabilisation du Congo) qui, à ce jour, n’a pas réagi. »
On pourrait croire que les perdants de ce conflit seraient les officiers de l’armée régulière (FARDC), qui a perdu les principales positions stratégiques dans la zone. Mais, souligne notre interlocuteur, tant que les rebelles ne prennent pas la capitale provinciale, Goma, de nombreux observateurs locaux jugent et soulignent la situation financièrement prospère des principaux officiers des FARDC.
En effet, « la justification et le contrôle des dépenses considérables affectées à la logistique, aux achats d’armes, de munitions, de carburant, de nourriture, sont quasi inexistants. Ces dépenses, couvertes par le secret des ‘dépenses de souveraineté’, ne sont pas auditées, ni ‘auditables’, par les partenaires techniques et financiers du Congo (dont le FMI). La plupart des transactions commerciales étant payées en espèces, de nombreuses fraudes et surfacturations sont signalées par les opérateurs économiques qui tra vaillent dans le circuit logistique destiné à l’armée congolaise. Les affrètements d’avions pour transférer les troupes et les armements seraient facturés au double de leur valeur et les quantités de carburant livrées aux FARDC significativement plus faibles que celles facturées. »
On pourrait également penser que les ONG internationales inscrites dans l’action humanitaire seraient négativement affectées par le conflit. Mais, souligne notre source, « sous la condition que Goma reste accessible et sécurisée par les casques bleus, ces ONG se voient confortées dans leur action, leur financement et la justification de leur présence. En 2008, juste avant la guerre initiée par le CNDP, le Nord-Kivu sortait du cycle de l’urgence pour rentrer enfin dans celui du développement, après 16 années de troubles. La conséquence immédiate du retour de la paix et de la libre circulation des biens et des personnes aurait été une diminution significative de l’aide humanitaire internationale et la reprise de la coopération structurelle avec les partenaires publics et privés nationaux et provinciaux au Nord-Kivu. Comme au Rwanda en 1996, les ONG internationales humanitaires s’apprêtaient à réduire significativement leur effectif et à être remplacées par d’autres partenaires techniques institutionnels ».
L’aide humanitaire au Nord-Kivu a débuté en 1992-93, avec les premiers conflits inter-ethniques congolais, a atteint son apogée de 1994 à 1996 avec l’afflux de réfugiés rwandais et est restée très présente durant les 20 dernières années. « Selon des chercheurs congolais, indique notre source, les coûts de transactions de cette aide (soit les coûts nécessaires pour fournir 1 euro de biens ou services aux populations fragilisées par le conflit) sont très élevés, atteignant régulièrement 50 % des budgets alloués, contre 6 à 20 % dans une coopération institutionnelle structurelle. Globalement, dans un contexte d’ ‘urgence’, les interventions humanitaires financées ont été peu évaluées de manière indépendante, contrairement à la coopération structurelle. Les observateurs locaux s’étonnent néanmoins que des ONG qui s’inscrivent dans l’action humanitaire urgente restent présentes durant 20 ans, planifient et construisent des routes en lieu et place des acteurs institutionnels nationaux publics et privés et réhabilitent même la piste pour gros porteurs de l’aéroport international de Goma : 15 millions d’euros de travaux confiés à une ONG allemande active dans la sécurité alimentaire. »
En 2008, les habitants du Nord-Kivu décrivaient ainsi la situation des ONG humanitaires : « No Nkunda, no job. » Laurent Nkunda était le principal dirigeant militaire rebelle du CNDP à l’époque. « En 2012, après trois années de paix relative et un retour potentiel à une programmation structurelle du développement, la situation pour les ONG humanitaires avant la rébellion du M23 était assez comparable à celle de 2008 avant la guerre du CNDP. »
La position de la Monusco paraît conforter également ce consensus mou, note la source : en 2012 comme en 2008, tant que les rebelles ne menacent pas l’aéroport international et la ville de Goma, les casques bleus restent dans une position d’observateurs. « Au départ, la mutinerie du M23 concernait 300 mutins. Les Kivutiens ont du mal à admettre que 300 mutins puissent narguer les 17 000 hommes de la Monusco en plus de l’armée congolaise. Si celle-ci connaît des problèmes récurrents de logistique et de formation, en principe il n’en est rien des casques bleus, bien équipés, régulièrement payés et approvisionnés.
« Or les mutins ont clairement et publiquement expliqué plusieurs semaines à l’avance qu’ils allaient occuper successivement Bunagana (poste frontière RDC/Ouganda), Rusthuru (100 000 habitants), Rumangabo (principal camp militaire FARDC) et Kibumba (22 km au nord de Goma) , créant ainsi un rectangle stratégique d’environ 1 000 km2, adossé à la haute montagne et aux sanctuaires rwandais et ougandais. Comment est-il possible qu’aucune mesure significative n’ait été prise par la Monusco pour garantir la sécurité des biens et des personnes dans cette zone très peuplée, clairement et publiquement identifiée par les rebelles eux-mêmes ? Ceux-ci en ont ainsi pris le contrôle. »
Il en irait de même pour le Rwanda. Contrairement à 2008, les Nations unies ont rapidement mis en évidence le rôle joué par le Rwanda dans le conflit grâce des preuves irréfutables. « Le camp de formation des rebelles est installé sur la frontière rwandaise, en haute montagne (2 800 m), entre les volcans Mikeno et Karisimbi, au cœur du Parc national des Virunga (côté RDC) et du Parc national des Volcans (côté Rwanda), à 6 heures de marche de la grande ville du nord du Rwanda, Ruhengeri. Quand on connaît le niveau de surveillance de cette zone par les forces de sécurité et d’immigration de Kigali, zone d’excellence touristique rwandaise grâce à la présence de gorilles de montagne, on a vraiment du mal à imaginer un Rwanda vierge de toute intervention logistique, médicale, militaire directe ou indirecte en faveur du mouvement rebelle congolais M23″, poursuit notre source.
« Il est remarquable qu’aucune menace de sanction internationale n’ait stigmatisé l’appui du Rwanda au M23 tant que le mouvement rebelle n’était pas en position de prendre la ville de Goma. Mais comme en 2008, quand les victoires répétées des rebelles contre les FARDC ont menacé la ville et l’aéroport international, des suspensions des aides budgétaires au gouvernement rwandais ont été annoncées par certains gouvernements (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne). »
« La rébellion peut donc exister, enrichir de nombreux acteurs dont les officiers des FARDC, les rebelles, les vendeurs d’armes et de munitions, conforter la présence des ONG humanitaires et de la Monusco, appauvrir et menacer la vie de centaines de milliers de Congolais, tant que la ville de Goma et son aéroport restent sous contrôle gouvernemental et reste accessible à l’ensemble des acteurs – y compris aux dirigeants rebelles du M23 qui y séjournent sans problème aucun. »
« Ce consensus, basé sur un équilibre instable en défaveur des pauvres ruraux, est non seulement mou, il est surtout honteux », conclut notre source.
MFC/Lalibre.be
USA: nouvelle mesure contre les « minéraux du sang » du Congo-Kinshasa
USA: nouvelle mesure contre les « minéraux du sang » du Congo-Kinshasa
WASHINGTON (Sipa) — Le gendarme de la bourse américain a adopté mercredi une mesure obligeant les sociétés minières publiques à fournir des informations sur les produits minéraux provenant de République démocratique du Congo (RDC, Congo-Kinshasa) et des pays voisins, pour éviter de financer les groupes armés qui commettent des atrocités dans cette région.
La SEC (Securities and Exchange Commission) a adopté la mesure concernant les « minéraux du sang » par trois voix contre deux, dans le cadre de la réforme financière de 2010.
Les sociétés publiques devront rendre compte chaque année de leurs efforts de traçabilité des produits minéraux qu’elles utilisent notamment dans l’électronique ou la joaillerie.
Certaines entreprises affirment qu’il est difficile de savoir si et en quelle quantité leurs produits contiennent des minéraux suspects.
st/AP-v359
(Sipa / 22.08.2012 18h11)