L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte le jeu politique au Congo et les insuffisances de la soi-disant « opposition » congolaise, analyse les dessous de la fortune présumée de Joseph Kabila, explique pourquoi en 1960, le Congo n’est pas devenu indépendant mais une colonie américaine, pro-occidentale.
Sur le front populaire contre la révision constitutionnelle et pour des élections crédibles
Le débat sur la révision constitutionnelle a un côté faux très prononcé et est en train de cacher bien des choses. Il y a la catastrophe humanitaire des refoulés de Brazzaville, la question de l’argent congolais déposé dans des paradis fiscaux, le silence sur des contrats ou autres conventions qui pourraient être signés et dont on ne parle pas…
Le coordinateur de ce front a été, il n’y a pas si longtemps, membre de l’opposition républicaine et maintenant, il lance ce front… Qu’y a-t-il de plus important ? Se mettre ensemble pour lutter contre illégitimité des pouvoirs en place au Congo afin que le Congo devienne réellement un pays indépendant et souverain ou se limiter à la question de la révision constitutionnelle?
Cette question de la révision constitutionnelle est un point d’une question beaucoup plus large, celle de la légitimité politique en RDC.
La place que prend le débat sur cette révision constitutionnelle occulte d’autres questions très importantes liées aux élections au Congo : Qui va financer ces élections ? Est-ce que les patriotes ont compris qu’il faut mettre en place un front pour les élections libres, et avec quel argent ? Est-il idoine d’organiser des élections dans un pays sous-tutelle et sous occupation ?
Voilà les questions qui doivent être débattus notamment avec les masses populaires à la base. Au lieu de cela, ce débat sur la révision constitutionnelle semble n’être qu’un débat entre copains et coquins autour d’éventuels postes ministériels envisageables dans un court terme.
Il faut dépasser les débats qui s’inscrivent dans le court terme pour aborder des questions fondamentales qui s’inscrivent dans le court, moyen et long terme.
Sur le jeu politique en RDC aujourd’hui
Tant que l’on n’aura pas résolu la question de la légitimité au Congo, tant qu’on n’aura pas résolu la question de la direction du pays, qui est aujourd’hui sous-tutelle et sous occupation, les fronts politiques éparpillés risquent de constituer une distraction qui fera long feu.
Dans le chef de certains acteurs politiques congolais, il y a une sorte de vacuité politique qu’ils n’arrivent à combler et donc ils se laissent aller à des débats futiles.
Pourquoi les compatriotes congolais n’ont-ils pas jugé bon de ne pas tout simplement prendre en compte le fait que Malu Malu est là et de faire le petit bonhomme de chemin en cherchant à se battre autrement ?
Malu Malu est l’artisan de ce que le Congo connaît depuis 2006. Au lieu d’aller en justice contre Malu Malu, les compatriotes auraient dû simplement déclarer que tant que ce monsieur est à la tête de la commission électorale nationale indépendante (CENI), nous n’irons pas aux élections. Malu Malu a été désigné de l’extérieur à la tête de la CENI pour sauvegarder les intérêts de ceux qui l’ont choisi et des leurs nègres de service au Congo.
Tant que nous n’aurons pas des acteurs politiques capables de mener un lobbying populaire qui aide nos masses à comprendre les véritables enjeux de ce qui se passe en RDC afin que ces masses se mettent debout pour renverser les rapports de force, toutes ces démarches risquent de ne pas aboutir. Quand dans son immense majorité, le peuple se sera mis, alors les choses vont bouger.
Sur le processus électoral et les congolais
Le processus électoral ne va rien apporter à la RDC. Non pas seulement, parce qu’il est piloté par quelqu’un qui n’a pas été désigné par les congolais, mais aussi parce qu’il s’agit d’un processus qui n’est pas porté par les congolais eux-mêmes. Ce ne sont pas les congolais qui vont financer ce processus électoral. Qu’est-ce que ceux qui vont le financer vont attendre en retour ?
Regardons ce qui se passe depuis 2006. Comment n’arrivons-nous pas à nous faire à l’idée que ce qu’il y a eu en 2006 et 2011 risque de se reproduire en 2016 tant que nous n’avons pas, en tant que congolaises et congolais, dans notre immense majorité, la maîtrise du processus électoral, des médias et de l’économie du pays.
Sur la fortune de Joseph Kabila
Qui ne sait pas que depuis que ces gens là sont aux affaires, ils ne font que détourner l’argent du pays. Il y a eu multiples rapports et commissions qui ont travaillé sur la gestion du pays. C’est d’ailleurs à partir du rapport Kassem en 2002, que la journaliste belge Colette Braeckman a écrit le livre « Les nouveaux prédateurs : Politique des puissances en Afrique». Ce livre montre qu’il y a, à partir de la guerre de l’AFDL, un groupe de nouveaux prédateurs qui est venu chez nous, qui s’est accaparé les richesses du pays, brade les matières premières. Ce groupe est venu rejoindre les vieux dinosaures mobutistes.
Alors qu’on nous dise qu’il y a tant et tant d’argent à l’extérieur du pays, cela ne peut surprendre que les naïfs.
Et si nous avions été dans un pays normal, la justice se serait saisie de ce dossier autour de la fortune de Kabila, pour savoir où se trouve cet argent et comment il est sorti du pays.
Si nous voulons que les choses changent, la question à se poser est : Quelles sont les mécanismes, quelles sont les structures que nous sommes capables, déjà, ici, maintenant, aujourd’hui, de mettre sur pied de façon que cette évasion d’argent ne puisse plus se reproduire ?
Est-ce que ceux qui aspirent à aller aux affaires demain ont une idée sur la façon dont ils devront procéder pour que ceux qui gèrent le Congo aient la possibilité de faire en permanence une reddition des comptes ?
Puis on se focalise sur le raïs, mais Kabila n’est que la face visible de l’iceberg, l’arbre qui cache la forêt.
Sur la CPI
Comme ce qui se passe au Congo est une guerre de la justice et de la politique occidentale, et que la CPI est une institution financée par les membres de cette communauté occidentale, elle sait comment s’arranger pour ne pas incriminer certains de ses clients.
3 congolais ont dit à la CPI à haute voix, ce que certains d’entre nous au pays murmurent à basse voix. Mais comme ils témoignent contre une marionnette, pendant que ces chefs n’ont pas encore décidé de le déboulonner, l’arbre risque de dévoiler la forêt qu’ils cachent. Nous avons aujourd’hui la région des grands lacs, des gens qui sont devenus un peu intouchables, à cause de ce qu’ils savent réellement sur la guerre au Congo. Quand leurs maîtres auront trouvé des pièces de rechange, ils feront sauter ces fusibles là. Dans l’attente, ils vont être protégés contre toute forme de justice à leur encontre.
Sur l’indépendance réelle de la RDC
Bien avant que le Congo soit proclamé indépendant, l’empire global avait déjà décidé d’occuper le Congo. Pendant que nous pensions qu’il y avait des forces américaines qui luttaient pour notre auto-détermination, nous nous trompions. Il avait déjà des calculs qui étaient faits pour que les USA s’emparent de la colonie belge. Même l’assassinat de Lumumba était déjà programmé avant les années 1960.
Quand nous disons que nous sommes devenus indépendants en 1960, nous faussons l’histoire, nous reproduisons l’histoire apprise à l’école et à l’université. Nous ne sommes pas devenus indépendants en 1960. Nous sommes devenus une colonie américaine, pro-occidentale. Les services secrets américains avaient décidé que le Congo pourrait être occupé pendant quelques décennies. Depuis les années 1960, le Congo n’a été ni souverain, ni indépendant.
Ceux qui auraient pu octroyer cette indépendance étaient eux aussi sous occupation, comme documenté dans le livre, « Aux origines du carcan européen (1900-1960) : la France sous influence allemande et américaine) » de Annie Lacroix Riz.
Il est beaucoup plus important de partir de l’histoire de ceux qui nous ont colonisé pour comprendre les doctrines qui géraient leurs Etats à eux, plutôt que de commenter la rhétorique bien travaillée et servie par les médias dominants.
A chaque période de l’histoire, les Etats qui nous ont colonisé ont été guidés par certaines doctrines et avaient leurs idéologues, comme les George Kennan, Allen Dulles, Henri Kissinger, Zbigniew Brzeziński. Ces gens là fabriquent, à partir de leurs cercles de réflexions, des théories qui guident leurs Etats et pays.