Par Bénédicte Kumbi Ndjoko
Les services de sécurité ougandaises ont mis la main sur un groupe de 40 espions rwandais qui opéraient au sein d’une église pentecôtiste en Ouganda. D’après l’article du SoftPower News, ces espions déguisés en pasteurs et membres des services secrets rwandais, opéraient directement sous la supervision de l’ambassade rwandaise à Kampala. Selon toujours le même article, le but des opérations des hommes de Kagame consistait à déstabiliser et à mettre à mal la sécurité du pays par le moyen de l’infiltration de la société ougandaise par l’entremise du religieux.
En lisant cette histoire, je n’ai pu m’empêcher de penser au Guatemala. Quelle relation y a-t-il entre le Guatemala et cette histoire d’espions rwandais me demanderez-vous?
Le Guatemala, la république bananière et la CIA
Dans l’histoire du Guatemala, l’année 1954 est une année clé. La United Fruit Company, une multinationale américaine, qui disposait de grandes quantités de terres et qui avait fait construire un chemin de fer pour uniquement faire acheminer des bananes (d’ou le nom « République bananière ») et qui avait aussi des activités d’espionnage dans le pays s’oppose à la politique de Jacobo Arbenz, alors président. Elle craint les syndicats de travailleurs qu’il décide de mettre en place et la restitution possible des terres aux indigènes, qui fait partie du programme gouvernemental. Cette nouvelle politique met également à mal le pouvoir des élites blanches d’ascendance européenne qui tiennent le pays depuis des siècles car elle favorise la montée en puissance de ceux qui ont toujours été considérés comme des déclassés sociaux, les Indiens. Les intérêts des classes dominantes ainsi que la peur qu’éprouvent les Etats-Unis de voir s’installer un gouvernement de gauche dans la région vont amener la CIA, avec l’aide de la United Fruit Company et sous la bénédiction des élites de mener un coup d’Etat militaire et de renverser le gouvernement d’Arbenz démocratiquement élu. Celui-ci sera forcé à l’exil. Il finira sa vie au Mexique, après que son pays d’origine, la Suisse, lui aura refusé le droit de s’y installer.
Lorsque l’on se penche sur les témoignages des populations indiennes qui subissent les attaques du gouvernement, c’est qu’avant les massacres de grandes ampleurs sous Ríos Montt, les Etats-Unis vont envoyer une grande quantité de missionnaires au Guatemala, dont des pentecôtistes. Les populations maya, à majorité catholiques, vont se convertir et se tourner en masse vers l’Eglise pentecôtiste croyant y trouver protection.
A dater de ce moment le Guatemala va inexorablement s’enfoncer dans la dictature. A partir de 1978, on commence à dénombrer des massacres des populations indiennes, maya en particulier, qui représentent 50 % de la population guatémaltèque. Les attaques des villages indiens, ainsi que les enlèvements de membres de cette population qui résiste s’intensifie sous la présidence d’Efraín Ríos Montt, qui commet à son tour un coup d’Etat en 1982, toujours avec l’aide de la CIA. Un fait intéressant à relever, lorsque l’on se penche sur les témoignages des populations indiennes qui subissent les attaques du gouvernement, c’est qu’avant les massacres de grandes ampleurs sous Ríos Montt, les Etats-Unis vont envoyer une grande quantité de missionnaires au Guatemala, dont des pentecôtistes. Les populations maya, à majorité catholiques, vont se convertir et se tourner en masse vers l’Eglise pentecôtiste croyant y trouver protection.
Il faut aussi ajouter que le président Ríos Montt est lui-même d’obédience pentecôtiste. Aussi, cette église occupe une place privilégiée dans la vie guatémaltèque en opposition à l’Eglise catholique qui est elle assimilée dans les discours officiels à un suppôt du communisme, idée soutenue par le fait que la Guerre froide n’es pas encore arrivée à son terme. Outre cette réalité, les sources de l’époque montrent également que beaucoup des massacres commis contre les populations indiennes avaient souvent lieu au moment où les fidèles se retrouvaient pour assister au culte. Ajoutons aussi un élément qui semble important dans la compréhension de l’implication des pentecôtistes dans les affaires de l’Etat, à savoir l’idée propre à ce courant protestant que la citoyenneté s’exerce activement par la prière, le jeune et la guerre spirituelle. Ce dernier aspect en particulier doit les amener à se reconstruire en tant que chrétiens et s’ils sont en mesure de se changer eux-mêmes, ils sont également en mesure de reconstruire des nations entières par la foi.
Les mouvements religieux et la déstabilisation des pays
Ceci étant dit, il ne s’agit pas ici de questionner en profondeur la vision du monde des pentecôtistes, même si c’est d’un grand intérêt, mais de remarquer comment les techniques de mobilisation des esprits, un modus operandi de la suggestion et de la domination prend forme sur des territoires et contre des populations soumises à des attaques violentes. Trop souvent, nous avons le sentiment que les problèmes que nous rencontrons sont singuliers, (ils le sont dans une certaine mesure) et ne peuvent s’expliquer en dehors de leur propre production. Pour ce qui nous intéresse ici, le cas guatémaltèque met en lumière une des manières de travailler de la CIA. L’utilisation de mouvements religieux par les services américains est particulièrement lié au nom de Allen Dulles; nom qui devrait faire réagir chaque Congolais, dans la mesure où il est intimement lié à l’assassinat de Patrice Lumumba.
Il ne s’agit pas ici de questionner en profondeur la vision du monde des pentecôtistes, même si c’est d’un grand intérêt, mais de remarquer comment les techniques de mobilisation des esprits, un modus operandi de la suggestion et de la domination prend forme sur des territoires et contre des populations soumises à des attaques violentes.
Allen Dulles, qui deviendra par la suite chef la CIA, s’illustre déjà durant la Deuxième Guerre mondiale par son utilisation d’hommes d’Eglise, catholiques ou protestants, pour mener à bien des missions d’espionnages. C’est à partir de la Suisse particulièrement, qui durant cette période fourmillait d’espions, que nombre de ces opérations seront menées. A sa mort, en 1969, l’agence ne se départira pas des pratiques qu’il aura inaugurées. Ainsi, le Church Committee institué en 1975 pour étudier les opérations américaines liées aux activités des services secrets discutera au moins de quatorze cas où au moins 21 individus, des hommes d’église, des missionnaires, seront utilisés afin de mener à bien des opérations secrètes de la CIA. On peut ainsi lire dans le rapport que: « La CIA a payé des salaires, des primes ou les dépenses du personnel religieux ou a aidé à financer des projets qu’ils dirigent. La plupart des individus ont été utilisés à des fins d’actions secrètes. Plusieurs ont participé à de grands projets d’actions secrètes au milieu des années 1960, visant à «concurrencer» le communisme dans le tiers monde…. »
Selon l’idée de la division du travail, d’autres organisations façades de la CIA, comme USAID, vont également soutenir et financer des organisations à caractère religieux, pour la traduction de la Bible en plusieurs langues notamment, et dans le même but de déstabiliser des Etats et imposer les vues américaines. Le Guatemala est un des pays qui a eu à souffrir de l’intrusion américaine par l’entremise de ses missionnaires, mais on peut également nommer des pays comme l’Inde, la Colombie, le Mexique, le Brésil, la Papouasie Nouvelle Guinée.
Museveni, Kagamé et la question du soutien américain
Il me semble, que c’est à la lumière de ce que nous savons des activités des services secrets américains sur l’utilisation de la question religieuse que nous devons lire ce qui se passe aujourd’hui en Afrique avec les églises évangéliques et en Ouganda en ce moment.
Après la chute du mur de Berlin et l’accession de l’administration Clinton au pouvoir, les cartes vont être reconfigurées afin de présenter au devant de la scène ceux que l’on appelle les new African leaders, Kagame et Museveni, entre autres. Ceux-ci bénéficieront de l’expertise américaine en matière militaire et certainement aussi en matière de manipulation des masses. Les expériences latino-américaines sur cette question, où encore le fait qu’en 1972, Indira Gandhi prend la décision de ne plus accepter des universitaires américains sur le sol indien, du fait des opérations qu’ils menaient pour le compte de CIA sous couvert de recherches académiques, ont mondialement jeté une lumière négative sur les activités de l’agence de renseignements américain.
Il est important pour nous de bien comprendre le mode opératoire de ceux qui chapeautent la misère mortifère dans nos pays et qui manquent singulièrement d’imagination lorsqu’il s’agit de mettre à genoux les peuples considérés comme inutiles mais dont les terres et leurs richesses sont estimées indispensables à leur sécurité extérieure.
Ceci a certainement dû peser sur la décision des services américains de ne plus utiliser leurs propres hommes d’églises ou missionnaires de façon massive mais de plutôt favoriser le travail des locaux dans leurs entreprises. Les young African leaders, Tomikotisa, et les nombreuses « églises » que l’on connaît au Congo sont les matérialisations de cette idée. Ce que fait le Rwanda en Ouganda, c’est ce que les Américains ont fait eux-mêmes dans différents pays pris pour cibles durant plusieurs années. Ceci nous amène également à observer de très près ce qui se joue autour de la foi au Congo, avec un président féru de représentations mystiques et des pasteurs prêts à vendre le paradis au tout venant et à trouver des sorciers tapis dans l’ombre et prêts à en découdre avec une société ignorant sa propre déliquescence.
La question que l’on peut se poser alors et que l’article du SoftPower News semble laisser de côté est celle-ci: Yoweri Museveni, comme Mobutu en son temps, a-t-il fait son temps pour les Américains? Plus qu’une question d’incompatibilité d’humeur entre le vieux boucher et son jeune protégé, s’agirait-il, encore une fois d’un remaniement dans la région des Grands lacs piloté de l’extérieur? De l’autre côté, on peut également se demander si Paul Kagame est réellement tombé en disgrâce auprès de ses parrains comme on ne cesse de nous l’annoncer depuis bientôt deux ans avec insistance? En attendant de voir ce qui va se passer sur le terrain et de répondre avec certitude à ces questions, il est important pour nous de bien comprendre le mode opératoire de ceux qui chapeautent la misère mortifère dans nos pays et qui manquent singulièrement d’imagination lorsqu’il s’agit de mettre à genoux les peuples considérés comme inutiles mais dont les terres et leurs richesses sont estimées indispensables à leur sécurité extérieure.
Bénédicte Kumbi Ndjoko