L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu rappelle pourquoi nous devons sortir du processus mensonger dans lequel s’inscrit le débat sur la révision de la constitution congolaise, décrit comment le peuple congolais est pris en otage par la majorité présidentielle, décrypte la doctrine des bonnes intentions de Washington et invite les partis politiques et les forces de changement à inventer un imaginaire alternatif pour créer le Congo de demain.
Sur le débat sur la révision de la constitution au Congo
Quand on reste attentif à ce qui se passe dans notre pays, on se rend compte que tout le processus commencé depuis la guerre de l’AFDL jusqu’à ce jour est un processus mensonger. Et plusieurs d’entre nous acceptent de se mentir à eux-mêmes. Vous ne pouvez pas croire un seul instant que quelqu’un qui est venu aux affaires par les armes puisse se réveiller un matin et dire ‘maintenant, je vais suivre ce que dit la constitution et accepter qu’il y ait une alternance politique’.
L’une des meilleures choses à faire serait de sortir de ce processus mensonger. Il ne s’agit pas aujourd’hui de s’inscrire dans un processus d’alternance, il faut créer une alternative crédible. Or, pour la majorité présidentielle et son autorité morale, il n’y a absolument pas question de cela. Ils veulent s’éterniser au pouvoir et cette autorité morale a dit sans ambages que rester là où elle se trouve aujourd’hui est une question de survie.
Sur la prise en otage du peuple congolais
L’objectif majeur de la majorité présidentielle est de conserver le pouvoir. Et pour eux tous les moyens sont bons pour réaliser cet objectif. Nous sommes tombés dans la politique conçue comme moyen de survie, comme moyen aidant la clique qui tourne autour de Kabila à conserver le pouvoir.
Il y a une prise en otage de tout un peuple par les dinosaures mobutistes et nouveaux prédateurs kabilistes et tout un réseau transnational qui tient à voir le Congo devenir tout simplement et davantage un simple réservoir de matières premières. On pourrait demander à Monsieur Ebola d’exterminer tout le peuple congolais pour qu’il ne reste plus qu’un terrain vague dans lequel on irait puiser les ressources du sol et du sous-sol, on le ferait.
Conserver le pouvoir est devenu, pour les thuriféraires de la majorité présidentielle et le réseau transnational, est un problème de survie, un problème qui doit répondre à leur instinct de conservation. Nous sommes tombés au niveau bestial.
Si nous ne restons pas attentifs à ce que ces gens sont en train de concocter, le pays risque de basculer dans un bain de sang. D’ailleurs, on parle déjà de la résurgence du M23 à partir de Kisangani…
Sur l’intérêt de la mise en place d’un nouveau gouvernement au Congo
C’est une distraction. Parmi les «opposants » qui font trop de bruit, on va confier des postes ministériels à certains d’entre eux pour pouvoir les faire taire. Ils seront débauchés donc, et chercheront à faire croire à notre peuple que demain sera mieux qu’aujourd’hui.
Une autre hypothèse est qu’il y a un effort déployé pour remettre les compteurs à zéro comme cela le raïs pourra avoir autant de mandats qu’il voudra.
La troisième hypothèses est celle-ci : mettre un gouvernement en place aiderait les thuriféraires et le réseau transnational à pouvoir faire main basse sur les richesses de la RDC.
Sur Kabila le taiseux
Plusieurs d’entre nous disent souvent que Kabila ne parle pas. Mais il est resté fidèle à son approche de la politique au Congo depuis qu’il est là. Toutes les voix discordantes sont assimilées à l’opposition. Ecraser toutes les voix discordantes est une constante de l’approche martiale de la politique propre au camp de Kabila. Croire aujourd’hui que ce monsieur qui a une approche guerrière de la politique va changer pour accepter de son propre gré les élections, l’alternance politique ou l’alternative politique, c’est se mentir à soi-même.
Kabila abhorre d’être qualifié de rwandais et pourtant la politique, de survie et d’instinct de conservation, qu’il applique est une politique qui nous est imposée depuis la guerre de l’AFDL.
Sur la nécessité d’inventer un imaginaire alternatif
Il est temps que les compatriotes comprennent que l’on peut manger autrement qu’en allant à la mangeoire où l’on risque d’avoir des ampoules dans sa bouche. Il est temps que se constituent des structures à la base de notre société, qui étudient comment, avec nos populations, créer de la richesse, créer à manger, créer des routes qui créent des liens entre nos différents villages et villes, sans que ce soit nécessairement le fait de ce système.
Pourquoi est-ce qu’il faut absolument qu’on aille à la mangeoire pour pouvoir penser à réparer une route, à construire une école ou un dispensaire. Le peuple congolais est très inventif, s’il est rejoint par les masses de ceux qui estiment qu’aujourd’hui elles peuvent faire quelque chose avec les populations de la base, il y a moyen de travailler efficacement. Sauf que notre imaginaire a été un peu abusé par une conception de la politique qui est dévoyée. Il y a comme une urgence à pouvoir ré-avoir une autre approche de la politique, à pouvoir inventer un imaginaire alternatif, à pouvoir comprendre qu’on ne peut pas laisser reposer sur les épaules d’une clique d’amis, de thuriféraires, de dinosaures, de nouveaux prédateurs, le poids d’un pays aussi grand que le Congo.
C’est là que les partis politiques qui estiment être les forces du changement doivent comprendre qu’ils sont appelés à changer leurs méthodes. Ils n’ont pas besoin d’être aux affaires pour rejoindre les mamans maraîchères ou nos paysans cultivateurs, pour en faire des éléments essentiels du Congo de demain. On vient à Kinshasa faire de la politique mais il est important de commencer aussi à aller à la base pour travailler avec nos populations.
Sur les intentions de Washington
Pouvez-vous citer 3 ou 4 pays que Washington et le Pentagone ont aidé ? Nous voyons aujourd’hui la Libye détruite, la Syrie attaquée, l’Irak détruit, l’Afghanistan détruit. Et certains d’entre nous estiment que nous sommes les plus beaux, les plus intelligents, les plus sages, chez qui les partenaires (comme on les appelle abusivement) viendraient pour que le bonheur puisse être partagé. Non. Penser cela c’est être à côté de la plaque. Mais le fait est que nous nous instruisons de moins en moins, nous commentons ce que nous voyons à la télévision, qui est une machine de fabrication de mensonges.
Si on ne s’instruit pas, comment va-t-on créer un imaginaire alternatif ? Si on reste sur les médias mensonges comment va—t-on créer un imaginaire alternatif ? Aujourd’hui, on peut avoir un autre son de cloche mais il y a le poids de l’hégémonie impérialiste qui pèse sur nos esprits et nos cœurs qui fait que nous puissions nous réveiller un matin et croire que ces messieurs qui détruisent d’autres pays, qui se sont installés au Congo après l’assassinat de Lumumba pour quelques décennies, peuvent faire au Congo ce qu’ils ne font pas ailleurs.
Ces derniers opèrent en plus le plus souvent avec un double discours. Ce qu’on nous dit ce sont souvent des « bonnes intentions ». Mais ces bonnes intentions ne remettent pas en question la politique profonde menée par les acteurs majeurs de la politique américaine. Il faut étudier la politique profonde américaine !
La politique étrangère américaine n’a jamais été conçue pour promouvoir la démocratie mais pour étendre le «grand domaine».
Ces gens là n’ont pas de principes et n’ont que des intérêts et pour leurs intérêts, ils sont prêts à tout. Et quand on se laisse entraîner dans leurs intérêts, on perd à leurs yeux, toute consistance. Ils n’ont pas beaucoup de pitié à l’endroit de gens qui trahissent leurs peuples. Beaucoup de présidents africains semblent ne pas le savoir.