Par Jean-Pierre Mbelu
Dans la première partie de cet article, nous avons essayé de dégager, en partant des propos tenus à Kingakati le 25 août 2014 par certains membres de la MP et leur ‘’autorité morale’’, l’approche politique de ce camp de la ‘’kabilie’’. Ces propos nous ont poussé à revisiter un rapport de la FIDH rédigé en 2009[1]. Nous y revenons dans les lignes qui suivent pour mieux comprendre les racines historiques de ladite approche politique et la cause qu’elle sert.
En 2009, une délégation de la FIDH a mené une mission au Congo-Kinshasa avec l’aide des associations des droits de l’homme opérant au pays. Elle tenait à examiner ‘’l’action des autorités élues de la RDC et de leurs agents’’. Elle a relevé des constats aussi simples que ceux-ci : le nombre élevé de partis politiques congolais n’est pas synonyme de pluralisme politique étant donné le verrouillage de l’espace public et les pires sévices que peuvent subir les militants politiques s’ils arrivent à exprimer publiquement leur opinion sur la marche du pays ; « les membres de la société civile sont systématiquement assimilés à des opposants dès lors qu’ils dénoncent les atteintes aux libertés fondamentales et à l’Etat de droit commises par le pouvoir en place ou tout simplement, comme les journalistes, relaient ces informations » ; et « la liste des forces de sécurité procédant à des arrestations, détentions et enquêtes est en effet longue. Interviennent entre autres : la police nationale Congolaise et ses unités et services spéciaux tels que la Police d’Intervention Rapide (PIR) et la Direction Générale des Services Spéciaux de la Police, la Garde Présidentielle, l’Etat Major des Renseignements Militaires (dénommé par tous les interlocuteurs par son ancien nom, Détection militaire des activités anti-patrie, DEMIAP), et l’Agence Nationale de Renseignements. Une situation qui, en fin de compte, ne rappelle que trop bien aux militants congolais des droits de l’Homme, la situation qui prévalait à l’époque mobutiste. »
Finalement, la mission de la FIDH est arrivée à la conclusion suivante : « La politique menée par le pouvoir en place depuis quelques mois est en effet dénuée d’ambiguïté. Il s’agit – en violation de toutes les libertés fondamentales garanties par la Constitution et les instruments internationaux ratifiés par la RDC – de mettre au pas tous les contre-pouvoirs et plus généralement ceux qui osent encore dénoncer et/ou s’opposer aux dérives du régime, qu’ils soient parlementaires, magistrats, militants politiques, défenseurs des droits de l’homme, journalistes, étudiants ou simples citoyens. » Elle a remarqué que cette mise au pas de tous les contre-pouvoirs se faisait avec ‘’le soutien’’ de ‘’la communauté internationale’’ encline à ‘’vanter la jeune et nouvelle démocratie congolaise’’.
Ce rapport, malgré ses limites, aide à comprendre que ‘’les nouveaux prédateurs’’, impliqués dans la guerre de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa par les proxys ougandais et rwandais interposés, avec la complicité de plusieurs Congolais (dont quelques anciens dinosaures mobutistes), ne se sont pas convertis du tout en ‘’hommes politiques’’, encore moins en ‘’hommes d’Etat’’. Ils sont restés, dans leur âme, ‘’des seigneurs de guerre’’ décidés à ne pas se conformer aux règles fondamentales pouvant élever un pays, une nation. D’où leur refus catégorique de tous les contre-pouvoirs. Sur ce point, ‘’le raïs’’ dit une contre-vérité quand il veut faire croire aux membres de la MP présents à Kingakati qu’il a cru naïvement en l’apport démocratique de l’opposition. Non. Il n’en a jamais voulu.
Le rapport de la FIDH nous aide à comprendre que la violation de la Constitution congolaise (de Liège) comme celle des instruments internationaux ratifiés par le Congo-Kinshasa est une constante au Congo-Kinshasa.
Néanmoins, ce rapport marque ses limites quand il ne réussit pas à pointer du doigt le réseau transnational de prédation incluant ‘’les nouveaux prédateurs’’, ‘’des vieux dinosaures mobutistes’’, leurs parrains occidentaux et les multinationales comme ‘’auteur matériel et intellectuel’’ de l’approche martiale de la politique au Congo-Kinshasa. Tout ce beau monde constitue ‘’la Nomenklatura’’ décidée à promouvoir le statu quo au pays de Lumumba. Il s’est fabriqué quelques éléments de langage pour présenter proprement ce pays (réduit à sa plus simple expression de ‘’réservoir de matières premières’’ et de ‘’colonie occidentale’’) dans les médias dominants en vantant ‘’la jeune et nouvelle démocratie congolaise’’ issue des ‘’élections au suffrage universel’’. Pouvait-il en être autrement ? Difficile à dire.
Pourquoi ? Plusieurs élites anglo-saxonnes menant la guerre de basse intensité contre le Congo-Kinshasa par proxys interposés ont entre autres pour objectif de créer des ‘’Etats manqués’’ ou simplement des ‘’Etats chaotiques’’ exploitables à moindre frais. Rappelons que les ‘’Etats manqués’’ « ne peuvent pas ou ne veulent pas protéger leurs citoyens de la violence, voire de la mort. Ils ont tendance à se croire au-dessus des lois nationales ou internationales, donc libres de se livrer à des agressions et à des méfaits. Et, quand ils ont les dehors d’une démocratie, ils souffrent d’un déficit démocratique qui prive leurs institutions formelles de contenu réel. [2]» Dans ces ‘’Etats’’, l’adversaire politique est vu comme un ennemi à éliminer, à abattre. Le Congo-Kinshasa en est là.
Et pour dire les choses simplement, l’ouverture du Congo-Kinshasa au capitalisme sauvage devait coïncider avec son ensauvagement. La communauté occidentale a, pour sauvegarder les intérêts de ses multinationales (dont l’existence est incompatible avec la démocratie[3]) dans ce pays situé au cœur de l’Afrique, participé aux crimes et à la censure au pays de Lumumba[4] en reconnaissant Joseph Kabila comme Président élu à l’issue des ‘’élections piège à cons’’ de 2006 et en fermant les yeux sur ‘’les dérives’’ de son régime d’occupation. Quand ‘’le raïs’’ parle de la politique en terme de ‘’survie’’, il serait bon de prendre en compte et sa survie individuelle et celle de sa ‘’ Nomenklatura’’ pour laquelle il joue le rôle de ‘’Kapita médaillé’’.
Cette approche ensauvagée de la politique ne serait pas sauve d’un fond de mépris et de racisme ; d’un racisme exercé à l’endroit des ‘’noirs’’. Cette race que la traite négrière et la colonisation n’ont pas pu exterminer serait vouée à disparaître de la face de la terre avec la complicité de plusieurs ‘’nègres de service’’. Une lecture de Mufoncol Tshiyoyo sur cette question serait intéressante[5]. Le dernier assassinat de Mike Brown aux Etats-Unis aurait plusieurs leçons à apprendre aux Congolais sur le sort réservé à leur race[6].
Revenons au rapport de la FIDH et à la rencontre de Kingakati. Ils nous apprennent que l’une des questions essentielles du Congo-Kinshasa aujourd’hui est celle de la mise sur pied d’un véritable contre-pouvoir. Certains propos tenus à Kingakati incitent à croire que la force la plus redoutée par la ‘’kabilie’’ est le peuple congolais. Elle cherche à le prendre à son piège en apprêtant certains éléments de langage et certaines réalisations à impact visible. Or, dans son âme, la ‘’kabilie’’ prouve, par son approche guerrière de la politique et son appartenance au réseau transnational de prédation opérant au Congo-Kinshasa, qu’elle milite pour la disparition pure et simple de ce pays. Comment, dès lors, travailler à créer des contre-pouvoirs unifiés, panafricains et transnationaux faisant des populations congolaises et africains les démiurges de leur propre destinée ? Quelles structures socio-économiques et sécuritaires faut-il créer avec ces populations congolaises, contre vents et marées, pour conjurer leur disparition de la face de la terre ? La balle est dans les camps des forces de changement capables de résister au débauchage de la ‘’kabilie’’ et de rompre les chaînes du statu quo créées et entretenues par ‘’la Nomenklatura’’ ayant fait de la politique au Congo-Kinshasa une question biologique de survie et d’instinct de conservation.
Mbelu Babanya Kabudi