Si les obus sont tombés sur la ville de Goma, tuant plusieurs civils congolais, c’est que l’armée congolaise est en train de perdre la main, malgré les propos rassurants des responsables de la Monusco. Le M23 aura donc réussi à se renforcer, suffisamment pour être en capacité de menacer Goma, voire de reprendre la ville avec l’aide du Rwanda. On sait qu’à Kigali les autorités piaffent d’impatience pour à nouveau franchir la frontière, les guerres du Congo étant indispensables à la prospérité économique du régime de Paul Kagamé, « allaité » par les gisements miniers du Kivu. Depuis 1996, le Rwanda a juste besoin de trois conditions pour intervenir au Congo : une « rébellion congolaise », un « prétexte légitime » et un « contexte international favorable ».
Le M23 comme « rébellion congolaise », ce n’est pas l’idéal, mais le Rwanda peut s’en contenter. Le contexte international est en train de se dessiner. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne préparent une opération militaire contre la Syrie ce qui devrait absorber l’attention des médias internationaux. En effet, le Rwanda a toujours mené ses opérations au Congo en profitant de l’inattention des médias focalisés sur une « importante » actualité internationale. Ce fut le cas en novembre 2012 lorsque la ville de Goma a été occupée pendant que le monde saluait la réélection de Barack Obama face à Mitt Romney. Ce fut également le cas en novembre-décembre 2008 lorsque le CNDP, l’ancêtre du M23, a mené une offensive contre le Congo profitant de l’euphorie planétaire qui accompagnait l’arrivée du premier « Président noir » à la Maison Blanche. Même stratégie de « dissimulation médiatique » lors du déclenchement de la Première Guerre du Congo en novembre 1996 profitant de l’attention des médias focalisés sur la réélection de Bill Clinton.
Pour ce qui est du « prétexte » de guerre, le Rwanda semble également au point. Ce sera « la légitime défense ». En effet, des obus sont tombés sur la ville congolaise de Goma, tirés à partir du Rwanda[1]. Mais les autorités rwandaises s’activent dans les médias pour faire croire à l’opinion internationale que c’est le Rwanda qui a été bombardé[2]. C’est une vieille astuce de communication dont les dirigeants rwandais usent et abusent[3] depuis les maquis du FPR (Front Patriotique Rwandais) : faire passer les agresseurs pour des victimes[4] et les victimes pour des coupables. Lorsque l’armée rwandaise aura réoccupé Goma, personne ne sera en mesure de vérifier si réellement des obus étaient tombés sur le territoire rwandais. Il faudra se fier au discours officiel de la « légitime défense ».
Tout ceci est supposé être connu des autorités de Kinshasa à qui revient la responsabilité de protéger le territoire national et la population congolaise. Et pourtant…
On se retrouve à nouveau avec des dirigeants congolais qui donnent l’impression de n’avoir rien vu venir et de ne rien comprendre à ce qui se passe. Dans au moins trois domaines, le Congo fait étalage des faiblesses qui ne pardonnent pas. La tactique militaire, l’identification de l’ennemi et l’enjeu de la guerre. Manquer de lucidité sur ces trois points signifie exposer sa population à ce qui vient d’arriver aux habitants de Goma.
Se « tromper » sur le plan tactique
Il y a quelques semaines, l’armée congolaise était au point d’« écraser » le M23. Sous le commandement d’un certain colonel Mamadou Ndala, on a vu des soldats congolais extrêmement motivés, disciplinés et enchainant des victoires éclatantes sur les combattants rwandais en déroute. La fin du M23 était imminente, et l’avantage, sur le plan patriotique, c’est que ce sont les soldats congolais qui réglaient le problème sans aucune aide extérieure. Soudain, l’offensive s’arrête sur ordre, semble-t-il, de la Monusco et du Président Kabila. La population de Goma proteste contre la Monusco et le régime de Joseph Kabila accusé de trahison. Les démentis suivent mais ne convainquent personne. Dans tous les cas, le mal est fait. Sur la ligne de front, on n’entend plus un seul coup de feu.
Comme de nombreuses fois par le passé, on vient d’offrir aux combattants rwandais l’occasion de se réapprovisionner en armes et de renforcer leurs effectifs. Les soldats congolais, eux, attendent les ordres de Kinshasa qui ne viendront jamais[5]. Ils perdent en motivation. La suite, on la connaît et on est en train de la vivre presque en direct. Des obus tombent sur Goma et la population congolaise, se retrouve, comme depuis 1996, en train de ramasser des cadavres dans les rues et d’enterrer ses morts.
Les autorités congolaises n’expliquent jamais à l’opinion les raisons qui se cachent derrière ces manœuvres consistant à stopper les opérations de l’armée, juste au moment où les troupes sont dans les meilleures conditions pour remporter la victoire définitive sur l’ennemi. Des manœuvres pourtant lourdes de conséquence parce que les Congolais, civils et militaires, les payent systématiquement de leurs vies, et depuis trop longtemps.
Plusieurs souvenirs douloureux doivent être rappelés. En juin 2012, dans la localité de Bunagana, l’armée congolaise avait le dessus sur le M23 et s’apprêtait à donner l’assaut final. On demanda aux soldats d’observer une trêve. Le M23 et ses parrains, le Rwanda et l’Ouganda, en profitèrent pour se renforcer. Le 06 juillet 2012, les Congolais furent surpris par une attaque qui coûta la vie à un casque bleu indien et plusieurs soldats loyalistes. Là aussi la suite, on la connait. De revers en revers, la ville de Goma finit par tomber le 20 novembre 2012. Des dizaines de femmes furent violées[6]. La ville fut pillée par les combattants rwandais qui emportaient leurs butins de l’autre côté de la frontière. Qui avait donné l’ordre d’observer la trêve à Bunagana ?…
L’autre souvenir douloureux est celui de la localité de Mushake en décembre 2007. L’armée congolaise maîtrisait les opérations[7] et le CNDP, l’ancêtre du M23, était aux abois. Des ordres contradictoires arrivèrent de Kinshasa. Des officiers performants furent mutés et des unités démobilisées. Comme d’habitude, les combattants rwandais en profitèrent pour accumuler des renforts en armes et en hommes. Une offensive meurtrière fut lancée et se termina dans un effroyable bain de sang. Plus de 2.600 soldats congolais furent massacrés[8] sans être en mesure de se défendre. Qui avait ordonné l’arrêt des opérations à Mushake ? Qui donne ces ordres qui paralysent l’action de l’armée ? Et pourquoi n’y-a-t-il jamais d’enquêtes (judiciaires ou parlementaires) sur ces actes manifestement de haute trahison ?
Se tromper d’ennemi
Le Congo est en guerre contre le Rwanda, qui l’agresse depuis 1996. Etonnamment, à Kinshasa, les autorités donnent l’impression de ne pas voir ce que le monde entier voit. L’Etat-major de l’armée congolaise continue d’engager les opérations sur le terrain en tablant sur un « ennemi » de l’intérieur. Pourtant de nombreux rapports d’ONG, des appels d’ONG, ainsi que les rapports des experts de l’ONU décrivent la situation comme étant des agressions extérieures menées par le Rwanda. Le rapport S/2012/843[9] des experts de l’ONU décrit l’organisation hiérarchique et logistique du M23 qui remonte jusqu’au ministère rwandais de la défense. Même le Président américain, Barack Obama, a publiquement dénoncé les interventions rwandaises en demandant, en décembre 2012 au Président Kagamé de cesser tout soutien au M23[10]. Le 23 juillet dernier, les Etats-Unis sont revenus à la charge en demandant ouvertement au Rwanda de « retirer son personnel militaire »[11] du territoire congolais. Dans n’importe quel pays, ce sont les militaires congolais qui seraient en avance en matière de renseignement et de communication pour informer journalistes, ONG et organisations internationales sur les agressions que subit le Congo de la part du Rwanda.
Naturellement, on devrait s’attendre à ce que les généraux congolais préparent au moins deux plans : un plan consistant à combattre les unités du M23 sur le territoire congolais et un deuxième plan consistant à préparer la riposte militaire en cas d’une nouvelle agression rwandaise contre le Congo. Mais rien.
Des obus de l’armée rwandaise tombent sur Goma tuant des civils congolais. N’importe quel pays réagirait au quart de tour en massant des troupes à la frontière, en fermant la frontière et en envoyant des hélicoptères d’attaque et des avions de combat pour détruire les sites d’où sont partis ces obus. Israël fait la même chose, les Américains font la même chose à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Le Congo, quant à lui, pourtant en situation de légitime défense, mondialement reconnue, reste passif. Les autorités se contentent d’accuser le coup pendant que la population enterre des citoyens nationaux tués dans leur propre pays par l’armée d’un pays étranger.
Etrange ambiance à Kinshasa où l’ambassadeur rwandais n’est même pas convoqué par le gouvernement congolais. Quant aux diplomates congolais à l’étranger, ils devraient obtenir au moins une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU. Rien… A Kinshasa, on parle des concertations nationales et d’un prochain gouvernement où « tous » les politiciens espèrent décrocher un poste. Les civils congolais tués à Goma ? Connais pas… Avec des dirigeants congolais comme ceux-là, le Rwanda n’a même pas besoin d’équiper son armée.
Se tromper d’enjeux
La guerre entre le Rwanda et le Congo est une guerre d’accès aux gisements miniers. Les Rwandais et les Congolais qui se massacrent sur la ligne de front ne le font pas parce que les « Tutsis » sont méchants ou les « Congolais » sont méchants. Ces Africains-là sont en train de s’entretuer parce que les multinationales de l’électronique tiennent à maintenir l’Est du Congo dans une situation de guerre sans fin pour pouvoir se procurer des minerais à vil prix. Le jour où cette vérité sera parfaitement comprise par les populations des deux pays, un sourire reviendra sur le visage des Rwandais et des Congolais. Pour le moment, on y est pas encore, mais un début de chemin est déjà amorcé.
En effet, le 12 juillet 2010, le Congrès américain a adopté une loi passée presque inaperçue concernant les gisements miniers du Congo. Quatre minerais hautement stratégiques sont visés. Hautement stratégiques parce que ces minerais entrent dans la fabrication des appareils électroniques (téléphones portables, consoles de jeux, i-phones, appareils électroménagers,…). Ces minerais, nommément cités dans la loi dite « Dodd-Frank »[12] sont le tantale/coltan, l’étain, l’or et le tungstène. Le hasard a voulu que les gisements les plus riches du monde se retrouvent dans l’Est du Congo. Le Rwanda, dépourvu de richesses minières, a entrepris de se transformer en plaque tournante de la mafia internationale « spécialisée » dans l’approvisionnement en minerais de sang. Les parlementaires américains l’ont déjà compris.
La loi américaine (article 1502) oblige les entreprises cotées en bourse et utilisant ces minéraux, de rendre publiques les informations sur leur chaîne d’approvisionnement et les sommes qu’elles versent aux autorités des pays producteurs (le Congo) et les pays impliqués dans les violences au Congo (le Rwanda et l’Ouganda).
Cette loi met directement le Rwanda en difficulté. Si elle est appliquée par les autorités congolaises, les multinationales viendraient s’approvisionner directement dans les villes congolaises comme Goma, Bukavu ou Kinshasa, c’est-à-dire dans le pays qui dispose des gisements concernés et de la capacité à fournir les certificats de traçabilité. Du jour au lendemain, le Pays de Paul Kagamé pourrait tomber dans l’oubli sur le plan international, et le discours victimaire sur le « génocide des Tutsis » risque d’être inaudible face aux millions de dollars qui se négocieraient directement dans les villes du Congo.
Le Rwanda a ainsi un intérêt vital à ce que le Congo soit maintenu dans l’instabilité et l’impossibilité de contrôler ses régions minières du Kivu. C’est le seul moyen de permettre à la maffia internationale de continuer à s’approvisionner de l’autre côté de la frontière.
L’autre stratagème du Rwanda consiste à imposer au Congo des agents rwandais et à les faire placer dans les institutions, comme ce fut le cas de Bosco Ntaganda. Si ces agents contrôlent le Kivu, la prospérité de l’élite rwandaise est assurée. C’est tout l’enjeu des négociations de Kampala, un piège dans lequel le Président ougandais Yoweri Museveni essaie d’entraîner les autorités congolaises. Difficile, toutefois, parce que la population congolaise a appris, dans la souffrance, à ne plus laisser les autorités signer n’importe quel engagement avec les Rwandais et les Ougandais.
Toutes ces données sont supposées être connues par les autorités de Kinshasa en charge d’organiser la défense du territoire national et la sécurité de la population.
Dès lors, si la situation militaire tourne à nouveau à l’avantage du Rwanda, et que la liste des victimes congolaises s’allonge, il faudra bien se demander à qui la faute…
Boniface Musavuli
[3] Charles ONANA, Europe, Crimes et Censure au Congo, les documents qui accusent, Ed. Duboiris, 2012, pp. 230 et svts.
[4] Pierre PEAN, Carnage – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Éditions Fayard, novembre 2010, pp. 75-101.
[5] JJ Wondo sur www.ingeta.com (https://www.ingeta.com/strategie-du-pouvoir-congolais-de-faire-la-politique-autrement/)
[8] Les pertes gouvernementales subies au cours de la bataille de Mushake sont considérables : sur environ 6 000 hommes engagés, 2 600 militaires ont été tués dont 2 000 policiers en tenue militaire et 600 éléments de la garde républicaine et 600 blessés. Le matériel saisi par les rebelles est également impressionnant : 6 tonnes de munitions, dont des munitions d’hélicoptères, 45 blindés, 20 lance-roquettes, 15 000 caisses de grenades, 6 000 caisses de fusil militaire FAL, ainsi que 15 missiles sol-air. C’est la plus importante défaite de l’armée gouvernementale depuis la bataille de Pweto en novembre 2000. La fiabilité de certaines troupes de la MONUC est également mise en cause. Sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre…