Après avoir été militairement malmené lors des combats qui eurent lieu en juillet 2013, le M23 n’avait d’autre choix que d’appliquer la technique de la retraite stratégique. Il s’agissait en réalité d’échanger de l’espace, non vital pour ses objectifs à court terme et ses positions tactiques contre le temps. L’abandon de positions non vitales, faute d’effectifs suffisants, lui a permis de raccourcir les lignes de communication et le front, de concentrer ses forces restantes sur les positions vitales et de se fixer un axe principal sur lequel il va déployer toutes ses forces.
Pendant cette période d’essoufflement du M23, c’est le recours à la stratégie de dissuasion et de persuasion par une action diplomatique et de lobbying tous azimuts que le M23 s’est évertué à miser pour gagner du temps afin de se reconstituer militairement. Et Kinshasa semble avoir facilité cette tâche au groupe rebelle par une attitude passive sur le champ de batailles. Plutôt que battre le fer pendant qu’il était chaud, Kinshasa s’est limitée à répondre aux attaques du M23 sans en aucun moment prendre l’initiative des opérations offensives visant à détruire le M23 visiblement affaiblie. C’est ainsi que le M23, dans une subtile action diplomatique via ses soutiens rwandais et ougandais, est parvenu à élargir le front de son soutien au Kenya. Museveni et Kagame ont fini par confier au président Uhuru Kenyatta, une mission de facilitation auprès du président Kabila en juillet 2013 afin de persuader ce dernier à adopter une trêve militaire unilatérale contre le M23, juste au moment où les forces loyalistes étaient déterminées à en finir avec le M23.
Depuis, dans l’incompréhension des officiers de renseignement de l’état-major opérationnel des FARDC à Goma que nous avons pu joindre en juillet 2013, Kinshasa n’a plus ordonné aux troupes combattantes des FARDC de mener des initiatives militaires sans l’accord de la haute hiérarchie militaire restée dans la capitale. Ainsi, après l’épisode des contre-ordres ou d’ordres de repli en 2012, Kinshasa adopte insidieusement cette fois-ci la subtile stratégie de non-ordre en ordonnant aux troupes combattantes d’attendre leurs ordres qui ne viendront jamais. De sorte, personne ne pourrait cette fois-ci accuser la haute hiérarchie militaire de Kinshasa d’avoir donné des ordres contradictoires ou des ordres de repli.
Il n’est dès lors pas étonnant, face aux manifestations de colère des populations de Goma contre une Monusco indolente et inefficace, et contre une brigade d’intervention virtuelle incapable de s’acquitter jusqu’à ce jour de sa mission offensive, la hiérarchie des FARDC, mise à nue par son comportement d’opter une ligne tactique défensive en place d’actions offensives, a pris le soin d’assurer les populations que l’accalmie qui a suivi la bonne réplique des FARDC après les attaques du weekend dernier à Kibati lorsque les rebelles du M23 ont tenté d’attaquer les positions des FARDC, ne devrait pas être interprétée comme un quelconque cessez-le-feu. Pour le porte-parole des FARDC au Nord-Kivu, le Colonel Olivier Hamuli, cette trêve « relève tout simplement de la tactique militaire sur la ligne de front ». (Radiookapi.net – 27/08/2013) Une justification anticipative qui cache l’anguille sous roche que bien des stratèges et tacticiens militaires avertis trouveront équivoque alors que les populations de Goma et tout le peuple Congolais n’exigent ni plus ni moins que l’armée adopte afin une tactique offensive unilatérale. D’autant que la mission première des FARDC est de défendre l’occupation du territoire national congolais et repousser hors de nos frontières toute force étrangère ennemie ou négative. Le rôle d’une armée ne doit pas se limiter à se contenter à des opérations limitées visant à réagir aux attaques rebelles tout en se contentant de cohabiter avec ces forces négatives qui pillent, violent et sèment désolation au sein des populations congolaises ?
Le but fondamental d’une guerre est la défaite de l’ennemi, son écrasement total en le soumettant à la volonté du vainqueur de sorte qu’il ne puisse plus raisonnablement espérer de la continuation de la lutte un redressement politico-militaire qui lui permettrait d’obtenir de meilleures conditions de cessation des hostilités comme le souhaite actuellement le M23. Est-ce le cas avec le M23, malmené il y a un mois au point d’être écrasé, mais qui par l’absence d’instructions militaires de Kinshasa aux FARDC de l’achever, se refait une santé militaire lui permettant de causer des morts innocentes à Goma et environs ?
Et dans ce jeu de dupes et de duplicité, le gouvernement congolais et la Monusco se renvoient mutuellement la balle de la responsabilité de combattre le M23 alors qu’en réalité, dans un camp ou l’autre, cette volonté est absente car la santé de l’Etat congolais et celle de la communauté internationale en RDC, c’est la guerre. Et nous avions eu l’occasion d’en démontrer dans notre dernière analyse. Ce qui est de plus surprenant depuis mai 2012, la personne qui doit la première montrer son soutien aux FARDC est aux abonnés absents sur le front, laissant à Köbler ou à Reynders devenir son porte-parole sur une guerre qui ravage une population dont il en censé être le père de la nation avec une armée dont il porte la fonction de commandant suprême ! 15 mois après le début de la guerre dans le pays où il est président, quel message donne le chef de l’Etat à l’opinion publique dès lors qu’il est absent aux côtés de ses troupes mais rigolant aux côtés des agresseurs et surtout à l’écoute de leurs desiderata (Ne pas ordonner aux FARDC de mener des actions offensives contre le M23) ?
Même Mobutu, malgré sa théâtralisation des guerres du Shaba, à l’instar de tout haut responsable de l’Etat (Obama, Cameron, Sarkozy, Hollande…), avait compris l’importance de se montrer aux côtés de ses troupes pour requinquer leur moral. Pourquoi cette absence du président Kabila aux côtés des troupes se sacrifiant pour la cause de la nation, préférant festoyer à Kinshasa avec la centaine de généraux infâmes promus pendant que le jeune Colonel Ndala fait ce qu’il peut sur le front à Goma, sans aucun message de félicitation présidentielle de son acte de bravoure?
Pendant ce temps, le M23 s’est renforcé militairement, tutoie à nouveau les FARDC et applique la dissuasion psychologique
Le corollaire prévisible de la ligne tactique molle et de factice adoptée par la hiérarchie militaire des FARDC était de permettre au M23 de se réorganiser, de finaliser la formation de nouvelles recrues à partir du Rwanda, de bénéficier du succès diplomatique entrepris notamment auprès de John Kerry qui a renvoyé dos à dos et face à leurs responsabilités le Rwanda et la RDC dans le courant de juillet 2013, là où la diplomatie molle de la RDC et ses fanatiques insensés s’attendaient à une condamnation du Rwanda. De même, tous les acteurs internationaux impliqués dans la résolution de la crise congolaise (Koblër, Robinson, le Général brésilien Carlo Alberto dos Santos Cruz de la Monusco, les Sénateurs américains…), sauf le belge Reynders (là c’est encore une autre histoire paternaliste et mercantile belgo-congolaise) semblent suivre la ligne diplomatique prise par le M23 en invitant Kinshasa à privilégier le dialogue avec le M23 à la voie des armes.
Une option qui, au fond, arrange d’ailleurs le pouvoir de Kinshasa qui éprouve des difficultés à faire avaler aux populations-gendarmes congolaises la solution politique avec un groupe qui vient encore de montrer sa nocivité au Congo en endeuillant de nouvelles familles à la suite des obus tirés sur Goma. Si les FARDC avaient poursuivi leur offensive en juillet contre le M23, pendant que ce dernier était en déroute, ce drame de trop ne serait peut-être pas survenu à nos populations. En donnant du répit au M23 et lui permettant de se renforcer, Kinshasa porte une part de responsabilité, par sa nouvelle stratégie et sa tactique d’omission uniquement défensives et non offensives, de vouloir cohabiter avec le M23 et laisser s’éterniser au Kivu une sale guerre de basse intensité. La population devra maintenir la pression sur le pouvoir congolais tout en maintenant son soutien aux FARDC et les pousser même à la désobéissance aux ordres manifestement illégaux qui ne profitent pas au Congo.
D’ailleurs, l’idée de pardon et de réintégration revient à nouveau subtilement dans les propos des autorités congolaises et le Colonel Olivier Hamuli l’a explicitement déclaré en demandant aux rebelles du M23 de déposer les armes, car «la République est disposée à leur accorder son pardon». De qui se moque-t-on ? Pourquoi pardonner, sans aucune forme de procès, les tueurs de nos populations qui, plus est, sont des militaires mutinés, ayant enfreint la discipline militaire, la base d’une armée ? Alors qu’au même moment un discours d’indignation d’un député national dans son fief électoral, exaspéré par les complicités de cette guerre, lui vaut une arrestation ? Pourquoi cette justice politique à deux vitesses ? Pourquoi un régime de faveur au M23 qui est la continuation des rébellions commencées depuis l’AFDL et le RCD, responsables de 6.000.000 de victimes congolaises et une justice intransigeante contre les politiciens qui revendiquent sans les armes ?
Et voici cette stratégie molle de complaisance de Kinshasa avec le groupe rebelle amener à nouveau le M23 reprendre sa rhétorique guerrière préférée et brandir la menace psychologique en déclarant avoir capturé au moins trois soldats de la force de réaction rapide, le fameux 322ème bataillon des paracommandos formés par les Belges lors des récents combats. Des soldats déployés en première ligne et capturés le lundi 26 août à Kanyarucinya selon les déclaration de Bertrand Bisimwa, le président du M23, à la suite de violents affrontements avec les FARDC. L’état-major du M23 aurait identifié ces prisonniers de guerre comme étant le Capitaine Nyembo Wawina, le capitaine Patrick [S2 (agent de renseignement militaire non autrement identifié) du 322è bataillon Commando], le Lieutenant Murhula Nshombo du 8ème régiment ainsi que le chauffeur du Colonel Padiri. Des militaires sacrifiés une fois de plus par la hiérarchie congolaise suite à une duplicité tactique l’ayant poussé dans la gueule du loup.
Et le M23 ne s’est pas fait avare de commentaires face à cette pêche et a saisi cette opportunité pour augmenter la pression psychologique sur Kinshasa en faisant croire que les officiers FARDC capturés étaient sous les ordres du Lieutenant-colonel Mamadou Ndala, leur bête noire. Une stratégie visant à démontrer la vulnérabilité de cette unité d’élite et de démystifier psychologiquement la vaillance de ce fils du Congo qui est sur les traces de ses ainés Léonard Mulumba Nyunyi, Donatien Mahele ou encore Félix Nkumu Embanze dit Mbuza Mabe.
Et pour ternir davantage l’image des FARDC qui se sont illustrées en juillet 2012 par des images de profanation et d’humiliation des rebelles du M23 tués ou capturés, la direction politique du M23 fait croire que les prisonniers « reçoivent un bon traitement », conformément au droit humanitaire international dit le « jus in bello ». Une subtile stratégie diplomatique bien orchestrée par le M23 et ses parrains pour s’attirer la sympathie de la Communauté internationale, déjà friande à la position du M23 répétée encore par M. Bisimwa qui a affirmé le lundi 26 août que les pourparlers de paix sont le seul moyen de construire une paix durable en RDC.
Voilà comment par une stratégie diversive et soporifique de Kinshasa remet le M23 sur le front et fait de la guerre à l’Est du Congo la santé du gouvernement congolais et des relations internationales. Aux populations congolaises abandonnées par la Congofatigue de la communauté internationale et par son gouvernement incapable d’assumer correctement ses fonctions régaliennes de se prendre sérieusement en charge en pactisant avec les FARDC tout en multipliant la pression sur le pouvoir de Kinshasa, premier responsable de l’incapacité de restaurer l’autorité de l’Etat à l’Est et la Monusco en promenade de santé au Congo. Il est temps d’agir et non de se plaindre car le décor sur les complicités, trahisons est clair et bien planté. Comme me dirait un haut responsable de la Monusco en poste à Kinshasa : « Tant que l’ordre politique restera inchangé en Ouganda, au Rwanda et en RDC, il ne faudrait surtout pas s’attendre à un miracle sur le front Est ». Ceux qui sont à la tête de ces trois Etats sont mandatés pour maintenir cet équilibre géopolitique instable qui ne profite guère à leurs populations respectives !
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions politiques et sécuritaires de la RD Congo
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