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Et si la guerre contre le M23 faisait partie de la stratégie du pouvoir congolais de faire la politique autrement ?

Et si la guerre contre le M23 faisait partie de la stratégie du pouvoir congolais de faire la politique autrement ?

Et si la guerre contre le M23 faisait partie de la stratégie du pouvoir congolais de faire la politique autrement ? 800 444 Ingeta

Par Jean-Jacques Wondo

Le théoricien et stratégiste prussien Carl Von Clausewitz écrivait dans son manuel, De la Guerre, devenu un classique dans l’étude stratégique : « La guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens. La guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une poursuite des relations (ou transactions) politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens ». Pour cet auteur, c’est la politique qui fixe les buts de la guerre, qui détermine quand il faut conduire une guerre ou quand il faut adopter une trêve. A l’analyse de la guerre qui sévit à l’est de la RD Congo depuis mai 2012 du fait de la rébellion armée M23, les analystes et experts commencent de plus en plus à croire à une stratégie de dupes savamment mis en place entre les belligérants : Le pouvoir de Kinshasa et le M23, tous deux des reliquats de l’AFDL créée et instrumentalisée par le Rwanda et l’Ouganda.

Après la chute de Goma en novembre 2012, à la suite notamment des trahisons et des complicités avérées de la haute hiérarchie militaire congolaise, Kinshasa placée dos au mur n’avait pas d’autre solution que d’aller négocier avec le mouvement rebelle à Kampala. Une stratégie de profil bas rejetée par la majorité de l’opinion publique congolaise qui ne voyait aucune valeur ajoutée pour le Congo d’aller négocier avec un groupe négatif qui sème la terreur au sein des populations du Kivu. La pression populaire exercée sur les délégués gouvernementaux dont les faits, gestes et déclarations étaient surveillés ne leur permit pas de conclure un accord suivant le cahier des charges proposé par le M23. Cela pour dire que l’opinion publique congolaise avait encore bien en mémoire les accords du 23 Mars 2009 conclus avec le CNDP, à la surprise générale et octroyant plus des prérogatives aux rebelles qu’à la partie gouvernementale.

Face à l’impasse politique à Kampala, seule l’option belliciste restait le seul moyen pour le M23 de forcer Kinshasa à négocier. En effet, dans l’étude des mécanismes de la guerre on constate que celle-ci éclate quand la diplomatie et les autres mécanismes de négociation pour résoudre un conflit ou atteindre les objectifs politiques mis de l’avant se révèlent inefficaces, pour quelque raison que ce soit, et que le recours à la force armée devient l’ultime moyen de réaliser ses vues et d’appliquer ses stratégies politiques.

Ainsi, après six mois de trêve fragile, où chaque camp essayait de renforcer ses positions militaires, les combats reprirent en mai 2013 à Mutaho dans les environs de Goma. Le passage dans la région de Ban Ki-Moon et du directeur général de la Banque mondiale permettra d’obtenir une accalmie de courte durée car les négociations n’ont pas repris à Kampala.

Et là où s’arrête la politique commence la guerre en prolongement de la politique, naturellement, les combats reprirent à nouveau en juillet avec une nouvelle donne cette fois-ci : pour la première fois depuis le début des hostilités, les FARDC prennent le dessus sur leur adversaire, non seulement en repoussant leur offensive, mais en menant des contre-offensives qui leur ont permis de grappiller quelques Km2 à l’ennemi M23, affaibli entre autres à la suite d’un conflit interne en février-mars 2013 qui a vu près de 800 de ses hommes, fidèles à Ntaganda, fuir au Rwanda. Conscient de leur infériorité militaire face aux FARDC qui ont notamment connu une réorganisation dans le commandement, le général Olenga ayant remplacé le Général Amisi Tango Four accusé par ses troupes de trahison, la logistique étant assurée par les chinois de peur de voir les officiers congolais détourner les fonds et le matériel de guerre et les unités au combat bénéficiant des conseils techniques des instructeurs belges, le M23 n’avait pas d’autre discours que celui de se dire favorable aux pourparlers de paix de Kampala, comme seul cadre de résolution de la crise.

Oubliant qu’une fois en situation de force, c’est le langage des armes qu’il affectionne qu’il brandit généralement en temps normal. Une façon pour ce groupe rebelle de gagner du temps pour mieux se réorganiser et nous l’avions expliqué en son temps lorsque nous mentionnions un étrange ballet diplomatique au moment où les FARDC dominent le M23, qui fut suivi par une trêve inexpliquée alors que les FARDC pouvaient conclure les manœuvres.

Mais si en 2012 c’étaient des contre-ordres ou des ordres de repli qui étaient donnés aux troupes, cette fois-ci, ce sont des non-ordres ou la consigne : dès que le M23 vous attaque, vous ripostez et puis il faut attendre les ordres de Kinshasa pour la suite des manœuvres. Des ordres qui ne viennent jamais », nous a confié un officier de l’Etat-major opérationnel de renseignement militaire que nous avons joint à Goma. Ce dernier nous a même fait part de sa désillusion car ne comprenant pas pourquoi les ordres opérationnels devaient venir de Kinshasa, située à plus de 1.500 Km de la zone de combats, alors que dans une guerre, c’est l’état-major opératif, établi dans la zone de bataille et au contact avec la réalité de terrain, qui est le mieux placé pour apprécier de l’opportunité de la poursuite ou non des hostilités.

D’où la trêve inexpliquée de deux mois pendant que les FARDC ont infligé de lourdes pertes au M23 et auraient été capables d’anéantir le M23. Une trêve favorable bien sûr au M23 qui s’est reconstitué, malgré des menaces farfelues et mensongères d’une Monusco défaillante sur toute la ligne.

Entretemps le train des concertations versus Kabila démarre mais avance à reculons

Lorsque le 15 décembre 2012, acculé par l’opinion publique du fait de la prise de Goma par le M23, le président Joseph Kabila prend l’engagement solennel, devant les deux chambres du parlement réunies en Congrès, d’organiser au début de l’année 2013 un cadre pour les concertations entre les différentes les forces vives de la Nation, pour l’initiateur de cette formule c’était en vue de consolider la cohésion nationale ébranlée du fait de la guerre de l’est. Certes, M. Kabila s’est vite rendu compte, contrairement à son prédécesseur en août 1998, que son régime n’était pas soutenu par la population. Alors que dans les études polémologiques, il est démontré que la santé de l’Etat, c’est la guerre (Randolph Bourne) car la guerre présente parfois une fonction positive de fédérer la population derrière son gouvernement, fût-il dictatorial ou opprimant, c’est le contraire qui se produisit : Les trahisons et défaites à répétitions ont exacerbé la méfiance de la population à l’égard de ses gouvernants. Tout cela dans un contexte postélectoral d’une crise de légitimité (reconnue par les observateurs les plus neutres ; Carter, MOE UE, Congo SADC…) où la majorité de la société civile et les principaux partis et acteurs de l’opposition parlementaire (UDPS et alliés, UNC, FAC…) réclamaient un dialogue inclusif, transparent, crédible qui devait se conformer aux engagements pris par Kinshasa dans l’accord-cadre signé à Addis-Abeba en plus d’introduire de la crise électorale comme un des points centraux du dialogue pour la cohésion nationale qui ne résulte pas selon eux du fait de la guerre. Celle-ci n’étant qu’un épiphénomène de la crise électorale et la crise de légitimité des institutions issues des élections jugées non crédibles et non transparentes à cause de l’ampleur des fraudes et des irrégularités qui les ont émaillées.

Pour revenir à Randolphe Bourne afin de mettre en lumière la stratégie d’instrumentalisation de la guerre contre le M23 par le pouvoir de Kinshasa, la guerre est une activité inhérente à l’État, tant pour des motifs externes qu’à usage interne : elle permet de restaurer l’autorité de l’État en faisant taire les dissensions, en imposant des disciplines inacceptables en temps de paix et en assurant de juteux bénéfices politico-économiques. L’Etat se justifie pleinement dans la guerre qui est sa vocation. Selon BOURNE : La guerre met très clairement en relief l’idéal de l’Etat et révèle des attitudes et des tendances jusque là enfouies… Car la guerre est essentielle à la santé de l’Etat.

L’idéal de l’Etat est que son pouvoir et son influence sur son territoire soient universels. La guerre,… déclenchée par une république contre un ennemi (M23 pour notre cas), semble accomplir pour une nation presque tout ce que l’idéaliste politique le plus enflammé pourrait rêver d’accomplir. Les citoyens cessent d’être indifférents à leur gouvernement (Comme sous Laurent-Désiré Kabila et c’est le but recherché actuellement en vain par Kinshasa) et chaque cellule du corps politique déborde de vie et d’activité. On tend enfin à la réalisation complète de la communauté globale où chaque individu est en quelque sorte l’expression virtuelle du tout. Dans une nation en guerre – comme l’est actuellement la RD Congo – chaque citoyen s’identifie au tout et se sent considérablement renforcé par cette identification… La loyauté – ou la dévotion mystique à l’Etat – devient la plus haute valeur humaine concevable (Bourne cité dans Les Armées Au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC).

En même temps, le pouvoir essayera par toutes les manœuvres politiciennes de concevoir et organiser des concertations taillées sur mesure, en soudoyant une partie des opposants connus à la place publique de faire la politique du « ventre creux », elle se butera à la résistance des partis alliés à l’UDPS de Tshisekedi et à l’UNC de Vital Kamerhe, deux poids lourds de l’opposition, sans lesquels toute concertation/dialogue politique ne sera ni largement inclusif encore moins ne parviendra à cimenter la cohésion nationale. Pareilles concertations ressembleront davantage aux prolongations des messes de Kingakati, la triste célèbre ferme présidentielle où la majorité présidentielle (MP) est souvent convoquée pour se faire distribuer de l’argent frais du trésor public en vue de respecter des consignes et une ligne politique leur imposées par la haute autorité morale, ou encore des débats du parlement nommé, fonctionnant comme une caisse de résonance des décisions politiques de la MP.

L’intransigeance adoptée par les ténors de l’opposition politique et la majorité de la société civile aboutit forcément à l’impasse, malgré le forcing du duo Minaku-Kengo car conscients que l’alibi des concertations organisées unilatéralement et politisées à outrance -non dans le but de rechercher la cohésion nationale rompue du fait des éléctions mais bien d’atteindre certains objectifs politiques à moyen ou à long termes dans ce mandat finissant du président Kabila – ne résoudra pas le problème à la base.

Toutes choses étant égales par ailleurs, et nous l’avions démontré au début de cette analyse, quand la politique (ou les négociations/concertations) s’arrêtent ou butent à un obstacle, c’est la guerre ou la menace de la guerre qui prend le relai pour continuer la politique autrement (Clausewitz). Il faut donc alors que des motifs de la guerre servent de base pour justifier l’importance des concertations de la cohésion nationale du fait de la guerre et non des élections. Ainsi pour Kinshasa, la reprise des hostilités contre le M23 peut servir d’outil ou d’argument pour amener les gens à la table des concertations. Surtout à un moment où la population commence à renouer sa confiance et à soutenir l’armée loyaliste. D’autant qu’un pays en guerre a besoin de l’entier appui et de l’engagement total de ses citoyens, qui doivent être prêts à faire des sacrifices et à endurer des souffrances. (Les Armées Au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC).

Mais le pouvoir de Kinshasa semble oublier que cela n’est possible que lorsque le contrat social entre les gouvernants et les gouvernés est légitime et surtout, le pacte moral entre l’armée et la nation est réel et fort.

Ainsi, lorsque l’on analyse de plus près le début de la prise de conscience des congolais constatée ces derniers temps, notamment dans leur approche de cerner les enjeux derrière la guerre dite contre le M23, on peut avancer que mieux expliqués par l’élite politique et intellectuelle auprès de la masse critique populaire, les leçons tirées de cette ultime guerre, les défaites à répétition de nos armées (humiliation nationale, armée déliquescente, structures étatiques inexistantes, crise sociale et économique, corruption. . . ) et les enjeux (géopolitiques et géostratégiques) de cette guerre peuvent constituer une occasion exceptionnelle et un tournant décisif du début de la normalisation profonde de l’ordre politique congolais.

En conséquence, le dialogue pour la cohésion nationale (pas dans sa formule politicienne actuelle des concertations versus le président Kabila) peut être cette opportunité à la portée des congolais, s’il est organisé dans le but de privilégier l’intérêt général et suprême de la RD Congo. Pourvu que les congolais en prennent réellement et profondément conscience. En effet, l’effet direct d’une défaite militaire (ou d’une succession de défaites depuis 1997 pour le cas du Congo) est principalement la réduction à néant de la crédibilité des élites au pouvoir, voire de l’ensemble de classe dite politique ; la remise en question profonde des structures et du fonctionnement de l’Etat vaincu et défaillant ; ainsi que le rejet (pourquoi pas définitif ?) du mode de gouvernance ‘dictatocratique’ qui a été le seul modèle d’exercice du pouvoir jusque là appliqué au Congo. A cela, s’ajoute l’effet indirect qui se traduit par une crise sociale, identitaire, économique, de grands mouvements de protestation populaires (à l’instar des manifestations observées ces jours à Goma) qui représentent des facteurs d’instabilité politique interne pouvant déboucher à une crise systémique à la fois politique, institutionnelle et de régime comme point de passage et d’amorce vers une normalisation durable de l’ordre politique systémique. (Les Armées Au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC). C’est cela aussi la fonction positive de la guerre modélisée par le polémologue Gaston Bouthoul.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions politiques et sécuritaires de la RD Congo
Lire toutes ses analyses sur desc-wondo.org

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