Par Patrick Mbeko
Dans un communiqué publié le 23 septembre 2019, l’ONG Médecin Sans Frontières (MSF) accuse l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de rationner le vaccin contre le virus Ebola, d’avoir mis en place un « système opaque de gestion des vaccins », et demande la création d’un comité indépendant pour coordonner la vaccination contre ce virus mortel qui sévit à l’Est de la RDC. Dans le même communiqué, l’ONG dénonce l’absence de transparence dont l’OMS fait montre dans la gestion de l’épidémie, soulignant que le taux de mortalité était toujours très élevé.
Ce qui confirme les informations que j’ai révélées récemment dans mon dernier billet sur l’arrestation du docteur Ilunga et l’épidémie d’Ebola. Dans ce papier, je faisais en effet observer ceci : « Contrairement à ce que laissent entendre le gouvernement congolais et le professeur Muyembe, Ebola ne reculerait pas sur le terrain. Bien au contraire. Les données du gouvernement ne reflèteraient pas non plus la vérité des faits. »
Coordonner la riposte contre Ebola
S’agissant des molécules utilisées sur le terrain, je soulignais, en citant une source : « La communication du professeur Muyembe est mensongère et trompeuse. Ces deux molécules sont utilisées depuis août 2018. Les résultats préliminaires de l’essai clinique révèlent que le Regeneron est la meilleure molécule disponible à ce jour, le mAb114 (co-produit par le professeur Muyembe et un centre de recherche américain) arrivant en seconde position. Son médicament agit efficacement seulement dans les 48h et permet de réduire le taux de létalité des patients à 11%. Administré après 48h, le taux de létalité remonte à 66%. Ce qui n’est pas si différent du taux de létalité des patients lors de l’épidémie de l’Afrique de l’Ouest lorsque les molécules thérapeutiques n’existaient pas encore. »
Pour dire les choses sans faux-fuyant, nous savions déjà que le prof Muyembe était mouillé dans cette affaire aux contours obscurs.
Et que dit MSF ? Exactement la même chose à une « très petite » différence près : on est face à une mortalité extrêmement élevée, 67% de mortalité. Le communiqué de MSF intervient 24 heures seulement après l’annonce de l’introduction d’un deuxième vaccin dans la lutte contre Ebola. Il s’agit du vaccin produit par la firme belge Janssen Pharmaceutica, filiale de Johnson & Johnson. Or le docteur Ilunga avait démissionné de son poste de ministre de la Santé pour protester entre autres contre l’introduction de ce vaccin en RDC « par des acteurs qui ont fait preuve d’un manque d’éthique manifeste, en cachant volontairement des informations importantes aux autorités sanitaires », pouvait-on lire dans sa lettre de démission.
Qui sont ces acteurs ? Au regard des derniers développements et surtout du communiqué accusateur de MSF, il y a des raisons de croire qu’il s’agit bien de l’OMS et du docteur Jean-Jacques Muyembe qui a été nommé par Félix Tshisekedi pour coordonner la riposte contre Ebola. Pour dire les choses sans faux-fuyant, nous savions déjà que le prof Muyembe était mouillé dans cette affaire aux contours obscurs.
Muyembe était juge et partie
Tenez. L’idée d’introduire un deuxième vaccin expérimental dans la lutte contre Ébola émane du SAGE (The Strategic Advisory Group of Experts), un groupe d’experts relevant directement de l’OMS. Ce sont ces experts qui ont préconisé l’introduction du vaccin développé par la firme Johnson & Johnson, rejetant au passage les vaccins développés par les Chinois et les Russes qui avaient proposé les leur.
Le professeur Muyembe était l’enquêteur principal dans le dossier du second vaccin recommandé par l’OMS. Autrement dit, il était juge et partie. Voilà pourquoi il en voulait au docteur Oly Ilunga et l’avait dénigré auprès de la Présidence, selon des sources dignes de foi.
Il faut dire que depuis les attentats du 11 septembre 2001, les pays membres du Conseil de sécurité et le Canada ont développé des vaccins et des traitements expérimentaux pour lutter contre la « souche Congo » du virus Ebola. Le vaccin utilisé depuis le début de l’épidémie en RDC est un vaccin canadien découvert il y a près de 14 ans. Les Canadiens l’ont cédé au géant pharmaceutique Merck pour un montant avoisinant les 50 millions de dollars.
C’est ce vaccin baptisé le RVSV-ZEBOV qui a toujours été utilisé jusqu’à l’annonce récente de l’introduction du second vaccin parrainé par le docteur Jean-Jacques Muyembe qui, comme je le faisais remarquer dans mon billet, «entretiendrait non seulement des rapports pour les moins étroits avec la firme Johnson & Johnson, mais serait aussi rémunéré par la firme pour réaliser l’essai clinique du second vaccin en RDC. » Pour tout dire, le professeur Muyembe était l’enquêteur principal dans le dossier du second vaccin recommandé par l’OMS. Autrement dit, il était juge et partie. Voilà pourquoi il en voulait au docteur Oly Ilunga et l’avait dénigré auprès de la Présidence, selon des sources dignes de foi.
Par ailleurs, on peut se demander pourquoi le professeur Muyembe tient-il absolument, avec l’OMS, à introduire un second vaccin en RDC, alors que le premier semble bien fonctionner ? Voilà aussi pourquoi MSF en appelle dans son communiqué à la mise en place d’un comité de coordination international indépendant du vaccin.
Cette affaire d’Ebola est extrêmement grave
Les autorités congolaises, le professeur Muyembe et l’OMS ont pointé la défiance de la communauté et son ignorance supposées comme des obstacles majeurs dans la lutte contre le virus. Réponse de MSF : « Nous devons arrêter de faire des communautés les premiers responsables de leurs morts, et leur donner plus d’accès concret aux traitements et aux vaccins », a déclaré Natalie Roberts, coordinatrice d’urgence pour MSF.
Les autorités congolaises, le professeur Muyembe et l’OMS ont pointé la défiance de la communauté et son ignorance supposées comme des obstacles majeurs dans la lutte contre le virus. Réponse de MSF : « Nous devons arrêter de faire des communautés les premiers responsables de leurs morts, et leur donner plus d’accès concret aux traitements et aux vaccins »
Cette sortie de l’ONG aurait dû interpeller les Congolais, notamment la classe politique et les journalistes. Hélas ! Dans ce pays, on est tellement porté sur des futilités que les événements et autres faits d’extrême importance sont quasiment ignorés. De toute façon, que peut-on attendre d’une classe politique composée de délinquants, de voyous et d’inconscients ? Que peut-on attendre des journalistes habitués à des sujets « légers » et sans substance ? Que peut-on attendre d’une population qu’on abrutit au jour le jour par des esprits méphistophéliques ?
L’inconscience, la médiocrité, l’insouciance, la petitesse et la légèreté caractérisent la plupart des Congolais. Aussi bien au pays que dans la diaspora, le niveau est tellement bas qu’il faut aborder des sujets « légers » pour être pris au sérieux par quelques-uns. Dès que vous osez élever le niveau, les gens se barrent sans demander leur reste. Pourtant cette affaire d’Ebola est extrêmement grave et mérite d’être traitée avec le plus grand sérieux.
L’OMS n’est pas une organisation de bienfaisance. Les Africains en général et les Congolais en particulier devraient le savoir. Autour cette organisation internationale gravitent toutes sortes d’intérêts, et ceux-ci ne sont pas toujours disposés à faire de la charité pour soulager des Africains touchés par le virus Ebola quelque part au cœur de l’Afrique.
À bon entendeur…
Patrick Mbeko