Par Jean-Pierre Mbelu
« L’histoire nous apprend que nous ne savons pas apprendre de l’histoire » – Michaëlle Jean
Des compatriotes relisant notre histoire savent qu’une dizaine de jours après l’accession de notre pays à son indépendance formelle, le lundi 11 juillet 1960, Moïse Tshombe proclame la sécession du Katanga. Plus ou moins un mois plus tard, le 09 août 1960, Albert Kalonji, président d’une aile du M.N.C., proclame l’indépendance de l’Etat minier du Kasaï. Avant cette deuxième sécession, Albert Kalonji prend langue avec la « Forminière » (Société Internationale et Minière du Congo). Elle est proche de l’Union Minière du Katanga. Et les deux ont le même président. Qu’est-ce qui a décidé Kalonji de s’engager sur la même voie que Tshombe ?
« Dans une interview donnée en exil, au Dossier du mois, n° 4-5 d’avril-mai 1964, Kalonji explique sans fard que ce qui l’a décidé, c’est le fait que la seule puissance financière de la région sollicitée par lui, a répondu : « Faites comme Tshombe, proclamez l’indépendance, nous vous paierons la redevance que nous versons actuellement à Léo. » (Davister, cité par J. CHOME, L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko, Bruxelles, Complexe, 1974, p.53)
Elections Versus Pouvoir
Pour comprendre la décision de Tshombe, il est souhaitable de la remettre dans son contexte historique. Jules Chomé note que « ce n’était un secret pour personne que les blancs du Katanga formaient depuis des années des plans en vue de rendre leur province indépendante de la métropole et en tout cas du restant du Congo. » (p.25) Comment procèdent-ils pour arriver à cet objectif ? « L’on savait aussi, écrit Jules Chomé, qu’ils étaient parvenus à susciter un parti de noirs, se disent des « Katangais authentiques » par opposition aux Baluba que l’administration et les grandes sociétés avaient importés comme main-d’œuvre au cours des décennies précédentes. » (p.25-26)
Pour dire les choses simplement, ils ont l’indépendance politique et non l’indépendance économique. Ils ne contrôlent pas les ressources naturelles et les capitaux.
Ce « parti de noirs » et des « Katangais authentiques » avait un adversaire de taille parmi « les partis nationalistes » ayant gagné largement les premières élections congolaises. Il s’agissait de la Balubakat de Jason Sendwe. Et il était en coalition au gouvernement formé par Lumumba avec, entre autres, le MNC, le PSA (Parti Socialiste Africain) de Gizenga et Kamitatu, l’Abako du Président de la République Kasavubu.
Dans ce contexte, « les partis nationalistes » ont gagné les élections supervisées par la métropole en bonne et due forme mais n’ont pas le pouvoir économique. En d’autres termes, ils ne disposent pas de moyens matériels pouvant les aider à traduire leur pouvoir politique en actions concrètes pour construire un Etat et servir le bonheur collectif partagé de leurs électeurs. Pour dire les choses simplement, ils ont l’indépendance politique et non l’indépendance économique. Ils ne contrôlent pas les ressources naturelles et les capitaux.
Le fait économique a dominé le fait politique
Pour conserver leur mainmise sur ces ressources et contrôler l’argent, les grandes sociétés internationales susmentionnées suscitent « un parti de noirs » et des « Katangais authentiques » et doublent le MNC de Lumumba en soutenant le MNC Kalonji. « Le parti de noirs » et le MNC Kalonji finissent par devenir les « acteurs apparents » de la sécession du Katanga et du Kasaï moyennant le soutien multiforme des « acteurs pléniers » planificateurs restés tapis dans l’ombre.
Dès le lendemain de notre indépendance formel, le fait économique a dominé le fait politique, rendant ainsi « les partis nationalistes » ayant gagné les élections incapables d’avoir le pouvoir réel et de renverser le rapport de force.
Pour atteindre leur objectif, celui d’avoir la mainmise sur les ressources naturelles du pays de Lumumba, ces « acteurs pléniers » commencent par « s’acheter des congolais » pour les contrôler. Après, ils les opposent les uns aux autres pour des prétextes aussi farfelus les uns que les autres. Les Congolais se fragilisent en se divisant et en s’affrontant. Ce faisant, ils disent aux populations sous-informées que c’est de la politique pendant que le contrôle du pays leur échappe. Et que celui-ci se néocolonise.
Relire cette histoire montre à suffisance qu’il n’y a rien de nouveau sous le ciel congolais. Et que dès le lendemain de notre indépendance formel, le fait économique a dominé le fait politique, rendant ainsi « les partis nationalistes » ayant gagné les élections incapables d’avoir le pouvoir réel et de renverser le rapport de force face aux possesseurs des capitaux dans la Forminière, dans l’Union Minière du Katanga et dans les autres grandes sociétés des années 1960.
Relire notre histoire
Relire cette histoire nous enseigne que la démultiplication des partis politiques au Congo-Kinshasa est une vieille recette fonctionnant à merveille jusqu’à ce jour. Relire cette histoire nous apprend que gagner aux élections dans un pays comme le Congo-Kinshasa ne garantit pas nécessairement l’accès au pouvoir réel quand le rapport de force entre les oligarques d’argent et « les politicards » pèse en faveur des premiers.
Relire cette histoire nous met une puce à l’oreille : la guerre perpétuelle et multiforme chez nous est bien planifiée ; elle sert à dominer et à contrôler « les élites » (c’est-à-dire leurs têtes et les cœurs), les terres, les ressources naturelles et les capitaux.
Relire cette histoire nous met une puce à l’oreille : la guerre perpétuelle et multiforme chez nous est bien planifiée ; elle sert à dominer et à contrôler « les élites » (c’est-à-dire leurs têtes et les cœurs), les terres, les ressources naturelles et les capitaux. Cela ne peut se perpétuer que parce qu’il y a des « congolais (et des africains) achetables », des populations soumises, assujetties, abruties et sous-informées. Croire que cette guerre est menée au nom de la démocratie et des droits de l’homme, des élections libres, limpides et transparentes est une bêtise.
Sans un leadership collectif ayant de la voyance, sans des organisations citoyennes planifiant un devenir collectif différent et unifiant (dans le débat) les intelligences, les forces lucides et conscientes de la résistance participative, le fanatisme partisan ne sera d’aucun secours pour notre pays ; le tribalisme, non plus. L’instrumentalisation des tribus dans cette guerre perpétuelle fait partie de sa marque de fabrique. Elle est « le péché originaire » des partisans du « diviser pour régner ». « La chasse aux non-originaires », les efforts déployés par les « Katangais authentiques » pour balkaniser le pays, le culte de la personnalité des « gourous » démultipliant les partis (dits) politiques, la fabrication des « Tshombe » et des « Kalonji » contemporains, etc. participent de ce « péché originaire ».
Et voilà plus de cinq décennies que ça dure…
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961